Les marchés du bio face à un tournant
Les marchés des produits biologiques traversent une période de fortes turbulences, dans laquelle il est nécessaire de se réinventer. C’est ce que le Cluster Bio Auvergne-Rhône-Alpes, situé à Alixan, a souhaité mettre en lumière à l’occasion de son assemblée générale, à travers des témoignages aussi alarmants que source de défis.

«À la suite de l’épidémie de Covid-19, qui faisait entrevoir un monde d’après plus collaboratif, plus responsable et plus bio, dans lequel les questions de santé, d’écologie étaient prioritaires, nous nous retrouvons pourtant dans un monde fragilisé où le bio est déstabilisé », a dit Vincent Bascoul, président du Cluster Bio Auvergne-Rhône-Alpes dans son rapport d’activité, à l’occasion de l’assemblée générale le 3 mai dernier à Alixan. Ce jour-là, le réseau des entreprises bio de la région - qui compte 423 adhérents (soit 189 de plus par rapport à 2017) - a dressé un état des lieux des marchés des produits biologiques. « L’année 2021 a été marquée par le recul de 3,1 % (par rapport à 2020) des ventes de produits bio (alimentaire, hygiène, beauté) dans les grandes surfaces alimentaires », a indiqué Nadège Peteuil, consultante senior pour IRI Worldwide, suite à une étude réalisée sous le prisme du panel distributeur (grandes surfaces alimentaires - GSA).
Nadège Peteuil (consultante senior pour IRI), Loïc Danel (directeur général de Biotopia Insights) et Quentin Mathieu (responsable économie à La Coopération agricole) ont dressé un état des lieux - quelque peu inquiétant - des marchés bio en France. © AP
Une baisse à tous les niveaux
« Dès le premier trimestre 2021, la part du marché du bio dans les GSA ne s’est plus développée. Nous sommes dans une situation inédite, après de nombreuses années de croissance euphorique pour le bio. Pour la première fois, donc, nous avons une inversion entre la vente de produits biologiques et la vente de produits non biologiques », a-t-elle poursuivi. Pourtant, le bio faisait, pour tout ou partie, la croissance des GSA ces dernières années. « Dans ce contexte, le bio va sur-contribuer au repli de la grande distribution », a prévenu Nadège Peteuil. Un phénomène qui s’observe de manière transversale, sur la quasi-totalité du territoire, mais aussi sur les gammes de produits alimentaires. « Pratiquement tous les rayons sont en négatif. Les deux seuls où le bio résiste aujourd’hui concernent les bières et cidres et les spiritueux et champagnes, des rayons où le poids du bio est encore petit. »
Vers une rationalisation de l’offre obligatoire ?
« Les difficultés sont les plus marquées dans les rayons où le bio pèse le plus lourd, à l’image du rayon crèmerie (- 8,5 %) », a expliqué la consultante. D’une manière générale, l’ensemble des acteurs voient une contraction de leurs ventes en bio. Toutefois, les marques spécialistes - aussi appelées pure players - sont un peu moins touchées. « Aujourd’hui, le bio ne peut plus compter sur le développement de l’offre. Nous sommes même dans un processus de rationalisation des produits en GSA, où nous devons réduire l’assortiment de produits », a-t-elle ajouté. La spécialiste a même annoncé qu’en hypermarchés, près de 10 % des produits proposés sont biologiques, alors que la part du marché est de seulement 4,4 %. « Il va être nécessaire de rationaliser l’offre pour avoir un meilleur équilibre entre l’offre et le chiffre d’affaires », a complété Quentin Mathieu, responsable économie à La Coopération agricole.
Redéployer une stratégie commerciale
De son côté, Loïc Danel, directeur général de Biotopia Insights, a fait un état des lieux sur la santé des magasins biologiques. « Nous sommes à l’aube d’un véritable tournant mais il ne faut pas céder à la panique. Il faut se réinventer », a-t-il insisté. En 2021, le chiffre d’affaires de ces magasins spécialisés s’est contracté de 6 %. Il a d’ailleurs rappelé que depuis une dizaine d’années, la croissance endémique est assez faible et portée essentiellement par le développement des points de vente. La concurrence, entre magasins bio mais aussi avec les GSA, est également plus élevée que jamais. « On remarque d’ailleurs que les consommateurs fragmentent de plus en plus leurs achats selon le bénéfice de chaque circuit. »
Pour regagner du terrain, les magasins bio ont plusieurs défis à relever : une meilleure visibilité sur internet avec des services en lignes (livraison à domicile, paniers bio, livraison de paniers repas), une plus grande approche avec les produits locaux, le respect d’une meilleure saisonnalité des produits frais, le renouvellement de la confiance... « Revenons aux consommateurs, à leurs attentes, à leurs besoins », a insisté Loïc Danel, tandis que Quentin Mathieu affirmait le besoin de redéployer une stratégie commerciale pour se montrer plus résilient face à ces difficultés de marchés.
Le prix, frein majeur
Par ailleurs, le changement des modes de consommation des Français est un enjeu majeur. Aujourd’hui, tous les consommateurs veulent mieux consommer et plein de labels, mentions viennent répondre à cette demande. L’offre du “bien-consommer” est priorisée, au détriment du bio qui perd en visibilité. à cela s’ajoute la question des prix, frein majeur à l’expansion de la demande en bio. D’ailleurs, l’arbitrage financier du consommateur se fait plus que jamais ressentir, dans un contexte inflationniste important. « Nous entrons dans un état de stagflation, ce qui englobe une période de forte inflation et une croissance économique proche de zéro », a annoncé Quentin Mathieu. « Les produits bio sont jugés trop chers au regard des consommateurs et 28 % n’ont d’ailleurs pas confiance dans le bio, a alerté Nadège Peteuil. Il va être urgent de réexpliquer les fondamentaux du bio, de mettre l’accent sur la pédagogie et de dire aux consommateurs pourquoi il est nécessaire de consommer bio, pourquoi cela coûte plus cher, à quoi correspond ce surcoût. »
Un recul qui tend à s’aggraver
En moyenne, en GSA, une différence de prix de + 57 % est remarquée entre un produit bio et un produit conventionnel. « Le bio a-t-il sa place en grandes surfaces ? », s’est interrogé alors Quentin Mathieu, expliquant la nécessité d’une segmentation pour éviter la comparaison en rayons. De plus, selon la consultante senior à IRI Worldwide, le bio est un parent pauvre des promotions dans les GSA. « Les produits bio sont beaucoup moins mis en avant, et pourtant, améliorer l’image prix est l’une des solutions », a-t-elle ajouté. Pour Quentin Mathieu, le renforcement du marketing est un enjeu phare, notamment auprès des 26-45 ans dont le pouvoir d’achat est le plus élevé des catégories d’âge. « Il faut créer des offres familiales, des promotions, pour aller chercher ces consommateurs », a-t-il indiqué.
Pour le début d’année 2022, la situation a tendance à s’aggraver. « Les ventes de bio connaissent un recul de 7 % dans tous les circuits : hypermarchés, supermarchés, e-commerce et drive, enseignes de proximité, hard discount, etc. C’est vraiment l’alimentaire bio qui impulse ce repli », a conclu Nadège Peteuil. Pour les magasins bio, Loïc Danel a quant à lui annoncé un recul de 15 % des chiffres d’affaires par rapport à l’année précédente.
In fine, les enjeux des marchés sont nombreux pour que le bio reste une valeur écologique et sociétale de référence.
Amandine Priolet
Les enjeux du plan bio 2023
«Nous sommes en phase d’écriture du plan bio régional 2023 », a évoqué Adrien Petit, directeur du Cluster Bio, un plan qui fera suite à celui engagé en janvier 2017. Rédigé par divers partenaires que sont la chambre d’agriculture Auvergne-Rhône-Alpes, la coopération agricole, la Fédération régionale de l’agriculture biologique (Frab Aura) et le Cluster Bio, ce nouveau plan bio aura comme mission d’assurer un développement des filières bio cohérent au regard des dynamiques de marché. « Nous aurons comme objectif de susciter le partage et les rencontres entre opérateurs économiques, agriculteurs et organisations professionnelles agricoles pour impulser les dynamiques de coopération », a ajouté le directeur du Cluster Bio. Parmi les autres ambitions de ce plan bio : identifier et développer les filières prioritaires d’excellence qui répondent aux enjeux de souveraineté alimentaire en cohérence avec les spécificités régionales, revenir dans le top 3 des dynamiques de conversion à travers notamment l’installation et éviter les déconversions. « Concernant notre Cluster Bio, nous souhaitons maintenir le leadership de la région Auvergne-Rhône-Alpes en opérateur de l’aval, et favoriser la complémentarité des circuits de distribution pour une alimentation locale de qualité », a-t-il conclu.
A. P.
Le bio en Auvergne-Rhône-Alpes
Première région en nombre de transformateurs et distributeurs : 3 860 opérateurs de l’aval certifiés (dont 515 nouveaux en 2021).
Troisième région en surfaces certifiées : 298 028 hectares.
Troisième région en nombre d’exploitations bio : 7 321 fermes certifiées (dont 830 ont démarré l’agriculture biologique en 2021).