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Foncier

Les notaires de France mobilisés pour préserver les terres agricoles

Alors que la pression immobilière et l’étalement urbain se font de plus en plus forts, les notaires de France sortent un livre blanc pour préserver le foncier agricole. Ils préconisent une évolution de la loi et invitent les élus locaux à prendre leurs responsabilités.

Les notaires de France mobilisés pour préserver les terres agricoles

L'Institut notarial de l'espace rural et de l'environnement (Inere) a sorti, à l'occasion du 100e congrès des maires de France qui s'est tenu du 20 au 23 novembre, un « livre blanc sur le foncier agricole ». Face à la réduction des espaces agricoles, grignotés par l'étalement urbain, les notaires de France notent que, malgré les dispositifs législatifs déjà mis en place pour préserver les terres agricoles et les zones rurales, la pression immobilière incite les élus locaux à urbaniser toujours plus. « Il faut maintenir l'équilibre dans la gestion des sols entre l'habitat, l'agriculture et les espaces naturels », a rappelé Jean-Pierre Gilles, notaire à l'Inere, le 22 novembre devant les élus locaux réunis Porte de Versailles à Paris.

Jean-Pierre Gilles, notaire à l’Inere (Institut notarial de l’espace rural et de l’environnement).

Élargir la définition de l'activité agricole...

À partir d'auditions menées auprès du monde agricole et rural (syndicats, OP, centres de gestion, commission rurale de l'Association des maires de France, juristes...), l'Inere énumère, dans son livre blanc, des propositions pour faire évoluer « le cadre législatif du foncier agricole ». Parmi elles, l'Inere suggère d'élargir la définition de l'activité agricole. Il s'agirait de ne plus la limiter à la production de denrées animales ou végétales, mais de l'ouvrir à « toute activité de l'exploitant agricole utilisant son sol et(ou) son capital d'exploitation ». Une fois cette nouvelle définition posée, se pose cependant la question de celle de l'exploitant agricole.

... et de l'actif agricole

Sur cette question, l'Inere propose également une définition élargie, plus en phase avec les pratiques et les structures agricoles contemporaines (sociétés), qui s'éloignent peu à peu de la traditionnelle « agriculture familiale ». Classiquement, est qualifié d'actif agricole celui qui « participe de manière effective et permanente aux travaux », rappelle l'Inere. Pourtant, poursuit-il, « n'est-on pas exploitant agricole lorsque – surtout dans un cadre sociétaire – on dirige, manage l'entreprise, recourt aux services d'une entreprise agricole, de plus en plus nécessaire eu égard à la taille des exploitations et surtout des investissements nécessaires en matériels ? » Sur l'accès au foncier, l'Inere constate que « les dernières évolutions législatives n'ont pas donné pleinement satisfaction ». Partant du principe que la propriété foncière n'est finalement pas si intéressante pour les agriculteurs, puisque le retour sur investissement n'est effectif « qu'après de longues années, voire des décennies », l'Inere suggère d'une part de moderniser le statut du fermage, et d'autre part de « créer un véritable permis d'exploiter dont le contrôle serait assuré par les services de l'État ». « La suppression du contrôle des structures et son remplacement par un permis d'exploiter pourraient permettre de redéfinir les véritables enjeux du contrôle de l'activité », estiment les notaires. Ils suggèrent d'ailleurs de faire fusionner les Safer, que Jean-Pierre Gilles qualifie d'« agents immobiliers agricoles », « au sein d'une agence régionale ayant en charge le foncier quelle que soit sa destination ».

« Sanctuariser les terres agricoles »

Si l'évolution de la loi semble indispensable à l'Inere, il faut aussi que les élus locaux prennent leurs responsabilités. « Il faut sanctuariser les terres agricoles », a lancé Jean-Pierre Gilles devant les maires de France, ajoutant : « C'est votre responsabilité d'élus ». Pour maintenir l'équilibre des territoires, ce sont les juges et les élus qui peuvent être aux manœuvres. Si l'Inere apporte des suggestions au législateur, ce sont aux élus d'accepter de ne plus prendre les terres agricoles comme des réserves constructibles plus rentables, concluent les notaires.

 

RAPPORT / L’artificialisation des terres  en question

Saisis par les pouvoirs publics début 2016, l’Inra et l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR), ont présenté le 8 décembre la synthèse de leur travail de recherche sur l’artificialisation des sols. Leur rapport montre que, pour limiter l’artificialisation des sols, la France doit se doter d’outils financiers, réglementaires et méthodologiques pour réduire les impacts de ce phénomène. Les chercheurs avancent une proposition originale. « Augmenter la qualité de vie en ville améliorerait l’attractivité des zones urbaines, pourrait limiter l’expansion des surfaces artificialisées en zones périurbaines et réduirait l’artificialisation » des terres agricoles. C’est partir du principe que l’étalement urbain est lié à un effet repoussoir des villes qu’il faut casser. Les chercheurs n’oublient pas que le manque de logements disponibles à des prix accessibles provoque également le départ d’un certain nombre d’habitants vers les zones périurbaines, responsable de l’étalement urbain et de l’augmentation de la pression foncière.
Ils proposent aussi d’agir sur la densification des villes. « Cela pourrait être un levier pour limiter la périurbanisation résultant d’un étalement urbain diffus et discontinu qui est une forte source d’artificialisation des sols », écrivent-ils. La réhabilitation des espaces vacants et des friches industrielles au sein des espaces déjà urbanisés serait un levier efficace de réponse à la demande de logements ou d’espaces productifs et, porteur de services pour les quartiers alentour. Mais tout cela ne peut se faire que si des outils efficaces tels la planification urbaine associée à une politique d’aménagement du territoire pensée à l’échelle intercommunale sont mis en place.
L’irréversibilité de l’imperméabilisation
Les auteurs du rapport tiennent à distinguer deux phénomènes : l’imperméabilisation du sol (bâti, goudron, etc.) et l’urbanisation qui peut inclure des espaces végétalisés en son sein. Dans le cas d’un sol imperméabilisé, c’est un sol définitivement perdu pour l’agriculture car la vie souterraine est largement détruite et la contamination des milieux par des polluants urbains est forte. Moins d’un quart des sols agricoles artificialisés sont destinés au bâti, la majeure partie étant finalement « revêtue » ou « stabilisée », c’est-à-dire consacrée aux voiries par exemple. De fait, le retour à l’affectation agricole est quasiment impossible. Les chercheurs notent, en revanche, que les espaces naturels ou boisés sont moins sujets à un changement d’affectation vers le bâti ou le revêtement. Même artificialisés, ils restent dans la moitié des cas enherbés ou nus. Un retour à leur affectation initiale est par conséquent envisageable. Cette différence s’explique, selon les chercheurs, par une moins bonne protection réglementaire des sols agricoles par rapport aux sols naturels.