Les nucicultures espagnoles et portugaises se professionnalisent

Ce ne sont pas des pays références en la matière. Pour autant, ces dernières années, la nuciculture en Espagne et au Portugal connaît une nouvelle dynamique. Pour mieux connaître la production de ces pays voisins, la Senura (Station d'expérimentation nucicole Rhône-Alpes) a invité, lors de son assemblée générale le 13 avril, Neus Aleta, chercheuse à l'Irta (l'Institut de recherche de Catalogne) et spécialiste de la culture du noyer.
Dans ces deux pays, la consommation de fruits secs est importante. Elle a d'ailleurs encore été renforcée par les campagnes mettant en avant leurs bienfaits pour la santé. De ce fait, la consommation de noix aussi est privilégiée. Elle est d'un kilo par personne en Espagne, contre 700 grammes au Portugal (500 grammes en France). S'il s'agit d'une consommation traditionnelle, la tendance est toujours à la hausse. A noter que les consommateurs espagnols sont prêts à payer la qualité d'une noix espagnole, jusqu'à quatre euros le kilo pour des calibres supérieurs à 34.
Importateurs
Selon Neus Aleta, les nucicultures espagnoles et portugaises présentent de nombreuses similitudes. Que ce soit en Espagne ou au Portugal, les productions sont encore peu importantes, de l'ordre de 14 000 tonnes en Espagne, contre 4 000 au Portugal. Mais, pour faire face à leur importante consommation, ils importent beaucoup. Depuis les années 2000, les espagnols font rentrer dans le territoire, environ 32 000 tonnes de noix par an, principalement de Californie, mais aussi de France (5 000 tonnes). Cependant, on observe, depuis 2012, une diminution de l'importation de noix en coque, au profit du cerneau. Les espagnols en importent autour de 9 000 tonnes et les portugais 3 000. Evoquant la question du prix de la noix aux producteurs, Neus Aleta indique qu'il est stable depuis quelques années, entre 2 et 2,50 euros et plutôt autour de 3 euros au Portugal. Mais elle précise que ces chiffres permettent simplement de donner une idée, qu' « ils sont certainement plus élevés en réalité ».
Chandler
En 2012, environ 9 000 hectares de noyers étaient plantés dans toute l'Espagne. Une nouvelle estimation, réalisée en 2016 grâce aux pépiniéristes, ferait état d'un verger de 12 000 hectares. La situation portugaise est différente. De nombreux noyers sont naturellement présents dans le pays, mais comme le consommateur est de plus en plus exigeant, les nuciculteurs ont acheté de nouveaux plants et ont fait d'importantes plantations. En 2016, une estimation révèle que le pays compterait moins de 3 000 hectares.
Concernant le matériel végétal, les premières plantations fruitières se firent avec Franquette et même avec quelques variétés locales. Les variétés californiennes telles que Serr, Hartley, Pedro et Vina sont introduites en 1976. Les vergers se sont développées avec ces variétés, dans les deux pays, depuis les années 1990. En 2005, Chandler est introduite de façon généralisée. Jusqu'en 2012, ce sera même la seule variété, sauf dans les secteurs les plus froids où Franquette, Fernor et Lara prédominent. La Chandler, qui arrive à maturité début octobre, est privilégiée parce qu'elle est productive et que sa mise à fruit est rapide. Par contre, sa sensibilité à la bactériose pose problème. Depuis 2012, de nouvelles variétés (Howard, Lara, Serr) sont plantées pour avancer la période de récolte, de façon à ce que les mises en marché puissent se faire avant l'arrivée de la noix californienne.
Comme en Isère, les vergers ne sont pas exempts de problèmes sanitaires. Ils doivent faire face à des problèmes de maladies sur fruits (bactériose, anthracnose et autres champignons peu connus) et sur arbre mais aussi de ravageurs comme le carpocapse et le puceron. Pour l'instant, ils n'ont encore pas à faire face à la mouche du brou.
Atouts et contraintes
La chercheuse a précisé les atouts et les contraintes de ces nouvelles plantations. Le fait que ces vergers soient implantés avec de bons plants, dans de grandes surfaces (minimum 50 hectares) sur des sols bien préparés permettant la mécanisation est un atout. Par contre, elle estime que « les variétés ne sont pas toujours bien choisies, surtout au Portugal. On pense trop à la quantité et pas assez à la qualité ». Elle reconnaît aussi qu'il peut être difficile de résister à la tentation de planter trop serré avec des formations peu adaptées à ces distances.
Selon Christian Mathieu, le président de la Senura, « il est toujours intéressant d'avoir une veille sur ce qui se passe dans d'autres pays producteurs de noix. Il y a de la place pour tout le monde, mais il faut rester vigilant et ne pas s'endormir sur nos lauriers. Je constate que les nuciculteurs espagnols plantent de grandes surfaces, alors que nos plantations sont, au maximum de l'ordre de cinq à dix hectares. Il faut que nous plantions. Mais il faut aussi que nous gardions bien notre AOC, gage de qualité de notre produit. Au Chili aussi, les plantations sont importantes (autour de 500 hectares par an), il faut donc que nous nous interrogions sur notre avenir, peut-être faire une noix de très haut de gamme, quitte à en vendre un peu moins les « mauvaises » années », analyse le nuciculteur. Quant à la question de la lutte contre les ravageurs, Christian Mathieu a bien noté que la pression était également forte en Espagne. Il a déploré que les règles d'utilisation des produits phytosanitaires ne soient pas les mêmes à l'intérieur de la Commission Européenne. « La strate supplémentaire française pénalise nos exploitations », regrette-t-il.
Isabelle Brenguier
Fonctionnement de la stationLes enjeux financiers demeurent
Si la Senura (Station d'expérimentation nucicole Rhône-Alpes) continue de mener ses travaux de recherche* avec dynamisme, leurs conditions de mise en œuvre ne sont guère sereines, à cause des baisses de financement de la station. « La baisse drastique des budgets alloués par France Agrimer nous inquiète vraiment, nous avons perdu plus de 70 000 euros en deux ans, soit 10 % de notre budget », reconnaît Christian Mathieu, président de la Senura, à l'occasion de l'assemblée générale de la station le 13 avril à Chatte. D'où sa démarche de demande d'engagement auprès des producteurs indépendants (50 % des producteurs ne cotisent pas à la station) et des collectivités locales. « La situation est difficile. Le budget prévisionnel 2017 est à équilibrer, mais nous restons confiants pour trouver un modèle économique qui soit plus pérenne. Nous avons de nombreux atouts à mettre en avant : le fait de travailler dans une filière porteuse, boostée par l'AOP Noix de Grenoble et l'engagement professionnel, que nous pouvons voir à travers les cotisations professionnelles s'ajoutent à l'implication des agriculteurs et techniciens de la filière sur l'expérimentation ». Pourtant l'enjeu est important. Sans financements, la station ne pourra plus continuer ses expérimentations, alors qu'elles sont importantes, tant pour les agriculteurs que pour l'ensemble de la société qui a des attentes de plus en plus fortes en matière de qualité de produits et de préservation de l'environnement.Sur le projet de mutualisation des stations (Sefra, Serail et Ratho) au niveau régional, ce n'est pas le scénario de fusion qui a été retenu, mais plutôt une volonté de collaboration avec elles pour mettre en place une stratégie de filière et un rapprochement avec la station de Creysse (Dordogne), avec laquelle la Senura partage de nombreuses préoccupations.* concernant notamment la lutte contre le colletotrichum, la bactériose, la mouche du brou et le carpocapse, l'homologation des produits utilisés en nuciculture, la préservation de la ressource en eau, la taille des noyersIB
Recherche nucicole /
Gestion des l'eau et des intrants : les essais sont lancés
En nuciculture aussi, la question de la ressource en eau est cruciale. Dans le cadre du contrat de rivière sud-Grésivaudan qui été signé en 2015, la Senura (Station d'expérimentation nucicole Rhône-Alpes) teste différents dispositifs en matière d'irrigation, de gestion des intrants et de traitement des eaux de lavage.« Afin d'économiser la ressource en eau, nous avons mis en place un protocole pour rechercher à optimiser la production tout en baissant la quantité d'eau que nous utilisons », explique Delphine Sneedse, chargée d'expérimentation à la station. Des essais sont réalisés avec des sondes implantées dans des parcelles de la Senura ou chez des producteurs.Pour la partie intrants, des expérimentations sont mises en place pour diminuer les apports afin de préserver la qualité des eaux du sud-Grésivaudan. « Le protocole consiste à séparer en deux une parcelle, en gardant une partie témoin et en travaillant l'autre avec des produits choisis pour leur faible impact sur les eaux de surface. Des suivis de production et de calibre sont opérés », précise Marianne Naudin, chargée d'expérimentation à la Senura
Essais sur plusieurs années
En matière des gestion des eaux de lavage, cinq procédés de traitement sont actuellement testés (décantation avec stockage et épandage des effluents, filtre tangentiel Conoscreen Axflow avec stockage et épandage des effluents, système Machael Paetzold avec trois bassins et filtres à sable, station d'épuration Aderbio ou Techn eau, phytoépuration avec deux filtres plantés de roseaux). L'objectif étant de trouver des systèmes efficaces et économiquement viables, pour ces eaux très chargées en limon et en terre. Les premiers résultats indiquent qu'il est obligatoire de prévoir un système de stockage.
Ces expérimentations s'inscrivent dans le long terme (six ans), car, comme l'indiquent les deux techniciennes, « dans le cas de cultures pérennes comme le noyer, cela n'a pas de sens de faire des essais sur un an. Il est obligatoire qu'ils soient menés durant plusieurs années ».
Le contrat de rivière, financé en partie par l'Agence de l'eau et la région Auvergne Rhône-Alpes, en ce sens, est une bonne opportunité.
IB.