Les premiers effets du coronavirus, Covid-19 sur les secteurs agricole et alimentaire

A situation complexe, exercice ardu que celui de recenser les effets d'une crise sanitaire, dont nous ne connaissons ni l'ampleur, ni la durée. Bien évidemment, l'état de santé des Français est, à ce stade, une priorité pour les autorités. Mais il en viendra une autre très rapidement, celle de l'impact de l'épidémie de coronavirus sur l'économie de la France. Sur le sujet vital de l'approvisionnement alimentaire, Dominique Chargé, président de la coopération agricole s'est montré rassurant. « Nous gérons au mieux heure par heure pour assurer la continuité. Tout est en alerte. Tout est en flux tendu, mais il n'y a pas de rupture à ce stade », a-t-il garanti le 16 mars, à la suite des annonces du gouvernement pour contrer l'épidémie de coronavirus. Seule modification pour l'instant : est privilégiée la production de masse aux produits plus segmentés. Les taux d'absentéisme avoisinent 15-20 %, voire 30 % dans certaines usines, mais sont « tout à fait gérables ». Il assure que les coopératives sont mobilisées « pour fournir les clients, mais aussi approvisionner les usines » en maintenant la continuité de la collecte dans les exploitations. Parmi les points de vigilance pour les approvisionnements des exploitations figurent la nutrition animale et les semences pour les semis de printemps. L'ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire échangent deux fois par jour autour des ministres de l'Économie et de l'Agriculture pour faire un point de situation. Dimanche 15 mars, Bruno Le Maire en avait appelé au « comportement responsable des Français (...) pour ne pas se précipiter sur les rayons et acheter plus que de besoin ».
Consommateurs : ruée sur les pâtes et conserves de poisson
Pour autant, l'institut Nielsen avait indiqué dès le 3 mars une ruée des consommateurs sur certains produits et des ruptures en magasins liées à l'épisode de coronavirus. « Le samedi 29 février, le chiffre d'affaires a progressé de plus de 20 % sur un ensemble représentatif de catégories de grande consommation, selon un communiqué à partir des données en hyper et supermarchés. Certaines catégories ont même vu leurs ventes doubler, comme les pâtes ou les conserves de poissons. » Des ruptures en magasins se sont concentrées le même jour sur quelques catégories de produits comme les pâtes, la farine, les conserves de poissons. « Les pâtes symbolisent ce phénomène de stockage de la part des consommateurs, avec certains points de vente dévalisés, tout particulièrement en région parisienne et dans l'Oise, selon Nielsen. Dans certains magasins, les ventes de pâtes ont même été multipliées par cinq, et le taux de rupture s'est vu, lui, multiplié par sept par rapport à un samedi habituel. » Du 24 février au 1er mars, le chiffre d'affaires de la grande consommation progresse de 5 %, sous l'impulsion notamment des produits d'épicerie (+ 17 %), des aliments pour animaux (+ 11 %).
Distribution : une poussée des ventes en e-commerce
La pandémie de Covid-19 tire le drive à des sommets : une accélération des ventes quatre fois plus forte que dans les autres circuits de distribution y est observée du 2 au 8 mars, selon l'institut Nielsen. « Tous les circuits ont connu un afflux de consommateurs, venant en magasin ou commandant sur internet pour stocker produits alimentaires et d'hygiène, explique l'institut. L'e-commerce a néanmoins progressé quatre fois plus vite que les magasins physiques avec respectivement : + 31,2 % et + 8,1 % sur la première semaine de mars. Le drive enregistre un chiffre d'affaires de 164 M€ sur la période, dépassant les 7 % de parts de marché hebdomadaire pour la première fois, selon Nielsen. Une explosion des ventes qui profite notamment à l'épicerie : pâtes (+ 114 %), riz (+ 111 %), légumes secs (+ 106 %), plats cuisinés épicerie (+ 101 %), farine (+ 96 %), purées déshydratées (+ 84 %), poissons surgelés (+ 75 %). Selon BFM, plusieurs sites d'e-commerce ont été momentanément indisponibles, victimes de leur succès, dans les heures qui ont suivi l'allocation du président de la République, le 12 mars.
Coup d'arrêt pour l'approvisionnement des cantines
L'annonce de la fermeture des établissements scolaires à partir du 16 mars a eu pour effet l'arrêt immédiat de l'approvisionnement des cantines. « Nous avons eu un appel vendredi matin [13 mars] de notre client, la Sogeres, qui nous a informés de la suspension des commandes », expliquait lundi 16 mars, Gilbert Chavas, gérant de Vergers lyonnais. Le groupement de huit producteurs associés livre en fruits et légumes frais deux cuisines centrales en région lyonnaise et douze autres cuisines en direct, pour alimenter la restauration hors domicile, dont celle des écoles. « Outre les volumes importants que ces commandes représentent pour nous, ce sont aussi des produits spécifiquement adaptés aux demandes de la RHD que nous livrons », poursuit Gilbert Chavas, prenant l'exemple des « pommes portions » et des « pommes compotes », qu'il ne pourra pas « recycler sur d'autres circuits ».
Autre exemple, en Isère, où là aussi les plateformes d'approvisionnement locales sont à l'arrêt. Les frigos sont pleins, les commandes annulées et il faut trouver comment écouler les stocks. « Il y en a pour plusieurs milliers d'euros de marchandises », explique Marianne Molina, directrice de la légumerie IsèreAsaisonner-AB Epluche, qui travaille exclusivement avec la restauration hors domicile. Chez ReColTer, la plateforme de Saint-Prim qui fournit tout le Nord-Isère : « on arrête, confirme Luc Armanet, producteur de fruits à Bougé-Chambalud et membre de ReColTer. Tout ce qui a été livré est revenu. Tout notre personnel est au chômage. Il va rester quelques Ehpad. Nous allons essayer de tenir le cap en assurant les livraisons nous-mêmes. Mais nous allons mettre un gros coup de frein sur la production. » Chez Mangez Bio Isère, « on est dans l'urgence : beaucoup de produits périssables sont en transit, déclare le directeur, Lydéric Motte. Toute notre équipe bosse sur du dégagement. » Avant de se mettre au chômage technique. Heureusement, partout, les maraîchers et les fournisseurs comprennent : beaucoup acceptent de reprendre leur marchandise, par solidarité. Les structures drômoises subissent bien évidemment la même situation.
Viticulture : des ventes par internet, loin de compenser
Tel un boxeur sonné par un dernier coup qu'il n'attendait pas, la viticulture chancelle suite à l'aggravation de l'épidémie de Covid-19. Ainsi, les annulations de Salons se succèdent impactant le commerce amont et aval. Directeur de l'interprofession bourguignonne, Christian Vanier avoue être inquiet. « Nous avons du mal à évaluer les conséquences. Cela va être très, très dur pour quantité de restaurateurs. Par ailleurs, pour ce qui est du travail dans les vignes, dans une période charnière comme le printemps, il est compliqué de mettre en place un mode de fonctionnement. Commercialement, cela a aussi des conséquences négatives pour le marché intérieur et les marchés proches. En revanche, pour l'export plus lointain, il y a eu des achats de couverture, notamment aux États-Unis. Et il faut noter qu'économiquement, la Chine est en train de redémarrer ». Gardant espoir aussi, le prestigieux concours des Grands Vins de France à Mâcon a, pour l'instant, été simplement reporté au 6 juin prochain. D'autres rendez-vous vineux et manifestations plus para-agricoles (Vinéquip, démonstrations...) sont reprogrammés. Alors que le Brexit, les taxes Trump... avaient déjà assombri les perspectives, de nombreux domaines viticoles faisant de la vente directe risquent de ne plus voir de clients. Les coopératives et les Maisons de négoce ne sont pas épargnées. Ici en fermant leurs magasins, là en mettant en place du télétravail, du chômage partiel ou encore en réorganisant totalement les chaînes de production. Seul signe positif, les ventes par internet progressent mais cela est loin de compenser...
Page co-réalisée par Christine Dézert et Sébastien Duperay, avec la participation de Marianne Boilève, Étienne Grosjean et Cédric Michelin
Filières viande / Viandes bovine et porcine : menaces sur les marchés export ?
En début de semaine dernière, les exportations de bovins vifs français vers l’Italie, premier acheteur de broutards français, se maintenaient encore, rapportait le 13 mars le directeur de l’entreprise d’exportation Deltagro, Benoît Albinet. « Les abattoirs italiens fonctionnent à peu près normalement, et les fermetures des frontières de l’Italie avec la Slovénie et l’Autriche empêchent certaines importations de viande (carcasses ou sous-vide) en Italie, notamment en provenance de Pologne, ce qui stimule la demande locale », indiquait-il. Une situation que confirmait en ce début de semaine Philippe Dumas, président du groupe coopératif Sicarev. « Les Italiens ont mis la priorité sur l’agroalimentaire, l’import d’animaux vivants en fait partie », confirmait-il, sous réserve, bien entendu, que le transport puisse être assuré. Le responsable professionnel restait cependant inquiet pour les activités d’abattage, mais aussi pour l’export de porcs. « Tout était à l’arrêt quand la Chine était à l’arrêt. Aujourd’hui, ça redémarre progressivement, en espérant que la Chine ne décide pas de bloquer la viande en provenance d’Europe », alertait-il. Si les boucheries de proximité et de GMS ont « bien tourné ce week-end, nous craignons pour la suite avec la fermeture depuis samedi des restaurants », ajoutait Philippe Dumas.Marchés aux bestiaux : une gestion heure par heure
Du côté des marchés aux bestiaux locaux, la crise sanitaire se ressent déjà sur l’activité, comme en témoigne le foirail de la Chambière, à Saint-Denis-les-Bourg (Ain), « plus gros marché de bovins vivants de France ». Très orienté vers l’export, notamment vers l’Italie et surtout l’Espagne, il a vu, en début de semaine passée, son activité baisser de façon spectaculaire. Mardi 10 mars, 1 437 bêtes ont été commercialisées, contre 2 080 la même semaine, un an avant. Une chute d’un tiers de l’activité liée à l’absence des acheteurs italiens. Contacté lundi 16 mars, le directeur redoutait la fermeture totale ou partielle du marché espagnol : « Un de nos deux gros clients a déjà prévenu qu’il ne viendrait pas, se désole-t-il. La baisse de l’offre n’entraîne pas d’effet d’aubaine sur les prix. Ils ne sont pas super. Une telle incertitude n’incite ni les éleveurs, ni les acheteurs à se déplacer. » L’avenir ? « Je ne sais pas. Nous gérons heure par heure. Sera-t-on soumis au confinement ? Je n’en sais rien. Si on est considéré comme appartenant à l’agroalimentaire, ça peut passer, sinon ? » Seul credo : « Tout faire pour maintenir le commerce. »
Volailles de chair : des situations contrastées
Dans la filière volailles, les situations s’avèrent contrastées. D’un côté, les producteurs de volailles destinées à la grande distribution, priés par leurs acheteurs, comme LDC, d’accélérer les mises en place pour répondre à une forte demande des consommateurs. « Selon mon interlocuteur, la demande a augmenté de 50 % samedi dernier [14 mars] dans les GMS », commente Sandie Marthoud, présidente de la section avicole de la FDSEA de l’Ain et productrice de poulets vendus sous la marque Le Gaulois. C’est heureux, sachant que dans le même temps, les exportations ralentissent. « Par exemple, la Suisse voisine, chez qui nous vendons beaucoup, a fermé son marché », détaille l’avicultrice. A quelques encablures de son exploitation, chez les producteurs de volailles de Bresse (seule volaille au monde bénéficiant d’une AOP), l’inquiétude est déjà bien présente. « Nous pâtissons de l’arrêt brutal de la restauration hors domicile. Pour certains de nos abatteurs, les restaurateurs représentent 30 % des débouchés », analyse Cyril Degluaire, vice-président du comité interprofessionnel (CIVB). Conjoncturellement, les éleveurs sont invités à retarder la mise en finition des animaux. Jouable, mais pas sur la durée. Ultime alternative si la situation venait à s’intensifier, stocker des volailles congelées, généralement destinées aux marchés asiatiques.