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DÉPÉRISSEMENT DE LA VIGNE

Les recherches se poursuivent sur les maladies du bois

À l’occasion de la 25e édition des Entretiens du Beaujolais, Philippe Larignon, de l’Institut français de la vigne et du vin, a fait le point sur les recherches et actions mises en place pour lutter contre le fléau des maladies du bois.
Les recherches se poursuivent sur les maladies du bois

Les maladies du bois font partie intégrante de la problématique globale du dépérissement du vignoble. Les champignons responsables de ces maladies attaquent les organes pérennes de la vigne, provoquant à plus ou moins long terme la mort du cep. « L'arsénite de sodium est un produit efficace. Mais cette découverte a ralenti les recherches sur les maladies du bois. En dépit de cela, des études ont été menées afin de trouver des alternatives à l'arsénite de sodium au vue de sa dangerosité, mais sans réussite au final », explique Philippe Larignon, de l'Institut français de la vigne et du vin (IFV). En novembre 2001, le ministre de l'Agriculture de l'époque, Jean Glavany, avait interdit l'utilisation de l'arsénite de sodium, dans le souci de protéger les viticulteurs des effets nocifs de cette substance. « La difficulté de ne pas avoir trouvé de solutions depuis son interdiction est liée à plusieurs facteurs, estime Philippe Larignon. D'une part, les maladies sont complexes car elles se manifestent sous différentes formes et impliquent plusieurs pathogènes. D'autre part, la durée des expérimentations est très longue pour mettre en évidence une éventuelle efficacité d'un produit ou d'un itinéraire technique, les symptômes ne se manifestant le plus souvent qu'à partir de sept ou huit ans après la plantation. Enfin, des agents pathogènes se développent dans les tissus ligneux de la plante et, par conséquent, ils sont difficiles à atteindre contrairement aux agents pathogènes qui touchent les organes herbacés comme l'oïdium ou le mildiou par exemple », informe-t-il.

Michel Baldasini, membre du conseil de surveillance du plan dépérissement de la vigne et Philippe Larignon de l’IFV.

Plusieurs types de recherches

En dépit de ces difficultés, des moyens de lutte efficaces, respectueux de l'environnement et économiquement acceptables pour les exploitations doivent être proposés. « L'aboutissement de ces recherches doit impérativement permettre de préconiser des méthodes de lutte préventives et curatives, proposer des variétés plus tolérantes et conseiller des pratiques culturales ou des itinéraires techniques limitant leur expression », enchaîne le chercheur de l'IFV. Il dévoile plusieurs types de recherche portant sur l'acquisition d'outils. « On peut inclure des produits chimiques de synthèse ou naturels, des agents de biocontrôle, des stimulateurs des mécanismes de défense de la plante. Leur utilisation a pour but de produire des plants sains en sortie de pépinière, protéger les voies de pénétration, diminuer l'inoculum au-dessous du seuil de nuisibilité et limiter leur propagation dans la plante. Ces recherches portent aussi sur des variétés tolérantes aux maladies », affirme-t-il. D'autres pistes sont à l'étude comme les itinéraires techniques permettant de limiter l'expression des symptômes et nécessitant une connaissance plus approfondie des facteurs environnementaux à la fois biotiques (fertilisation, enherbement, densité, irrigation, etc.) et abiotiques (climat, sol). Enfin, des pratiques culturales sont envisageables pour restaurer les souches malades, telles que le curetage, le regreffage ou le recépage.

Deux réseaux européens

En parallèle de l'acquisition d'outils de lutte, les recherches portent sur la mise au point d'outils de diagnostic, notamment basés sur l'imagerie avec signal spectral, et d'outils moléculaires pour détecter et quantifier les agents pathogènes. Elles concernent aussi l'impact œnologique et microbiologique des maladies du bois et l'élaboration d'un modèle dont l'objectif est d'expliquer pourquoi un cep sain au cours de sa vie devient malade et meurt. « Ce modèle basé sur les connaissances déjà acquises sur les maladies du bois et les savoir-experts de praticiens et de scientifiques, émanant des domaines viticoles et forestiers, est de poser des questions de recherche et de dégager des itinéraires techniques limitant ou empêchant l'expression des maladies du bois », explique Philippe Larignon. Ces travaux se font dans le cadre de différents programmes financés par le ministère de l'Agriculture, des Fonds uniques interministériels (FUI), l'interprofession, le privé, la fondation Poupelain, l'Europe, etc. Le groupe de travail national incluant des universités, l'Inra, le CNRS, les chambres d'agriculture, l'IFV, le Sicavac... s'est réuni en novembre 2015 à Colmar pour faire l'état des lieux de ses recherches ou des nouveaux programmes. Deux réseaux européens ont aussi été mis en place. D'une part le réseau Cost FA1303 (2013 – 2017) qui est porté par l'Université de Reims Champagne-Ardenne. « Les réflexions portent sur la mise en commun des méthodologies d'études, à savoir les outils de diagnostic, l'harmonisation des expérimentations et la mise en collection des différents agents pathogènes dans une banque européenne. L'objectif est de développer un réseau d'expertises européennes afin d'améliorer la compréhension des maladies du bois », complète Philippe Larignon. D'autre part, le réseau Winetwork (2015 – 2017) vise à réduire le fossé entre les chercheurs et la pratique et à diffuser rapidement les innovations issues de la recherche et des praticiens. « Il s'agit de faire l'inventaire des pratiques culturales mises en œuvre pour contrôler deux maladies dans différentes régions afin de dégager des recommandations pour les viticulteurs. Cela s'inscrit dans une mise au point d'une méthodologie basée sur l'établissement d'une relation directe entre les viticulteurs, les scientifiques et les entités de référence grâce aux agents facilitateurs », détaille le représentant de l'IFV. 

David Duvernay

 

Une cause nationale

En Grande Bourgogne, comme ailleurs, la filière reste très inquiète des conséquences sanitaires et économiques du dépérissement du vignoble.
Maladies du bois, viroses de la vigne (court noué et enroulement), flavescence dorée… les facteurs de dépérissement de la vigne sont nombreux. Et la menace ne semble pas s’atténuer au fil des années. Dans ce genre de constat, les chiffres sont toujours plus parlants. « En s’appuyant sur les données de l’Observatoire de la viticulture et celles de FranceAgriMer, on remarque une perte des surfaces de notre bassin viticole régionale (Bourgogne – Beaujolais) de l’ordre de 5 000 ha en dix ans, soit 8,5 %. Au niveau national, les chiffres sont similaires (- 10 %). La production de greffons est aussi préoccupante. En dix ans, nous avons perdu 23 % des vignes mères et de nombreux pépiniéristes », illustre Bertrand Chatelet, directeur de la Sicarex. « Depuis cinq ou six ans, nous constatons une baisse chronique des rendements des appellations dans l’ensemble des vignobles français, de l’ordre de 4,5 hl par hectare  en moyenne en dessous du volume autorisé par appellation. La récolte 2015 confirme cette tendance, malgré l’absence d’accident climatique et une très faible pression des maladies. La baisse des rendements constatée depuis 2008 a occasionné une prise de conscience globale de la profession, aussi bien en amont de la filière qu’en aval. Aidée par la famille négoce, la profession s’est prise en main », remarque Michel Baldassini, membre du conseil de surveillance du plan dépérissement, l’une des principales éclaircies dans ce ciel obscur.
La mobilisation de la filière
Ce plan national de lutte contre le dépérissement a été initié par l’ensemble des interprofessions vitivinicoles réunies au sein du Cniv et de l’Anivin*, avec le soutien de FranceAgriMer. Le Cniv, avec l’assistance technique de l’IFV, a mandaté le cabinet de conseil prospective économique Bipe pour co-construire ce plan. « La première phase s’est déroulée sur le premier semestre 2015 et s’est attachée à réaliser un bilan critique de la situation. Lors d’une rencontre professionnelle, le 22 juillet dernier, le cabinet Bipe a présenté l’état des connaissances en matière de dépérissement, ainsi que l’analyse des enjeux et des difficultés de la lutte », expose Bertrand Chatelet. Une définition du dépérissement a été proposée à l’issue de ce premier travail : « c’est une baisse pluriannuelle subie du rendement du cep et (ou) sa mort prématurée, brutale ou progressive, du fait d’une multiplicité de facteurs biologiques, environnementaux, viticoles pouvant affaiblir le cep sur la durée ou enclencher un processus qui s’avère irréversible en l’absence de moyens de lutte ».
En s’appuyant sur cette définition et la proposition de six pistes d’actions, les principaux acteurs ont déclenché à l’automne 2015 la deuxième phase de la mission à travers la conception d’un plan d’action opérationnel de lutte. Celui-ci repose ainsi sur trois principaux piliers : l’orientation des besoins de recherche innovation, le viticulteur au cœur de la lutte et l’approvisionnement en matériel végétal. « Nous devrions compter sur un budget de 5 millions d’euros en 2017 pour lutter contre le dépérissement. L’ensemble des interprofessions ont consacré à cet enjeu 1 % du budget des cotisations, soit une somme de 1,5 million d’euros. L’État nous aidera aussi à hauteur de 1,5 million d’euros, tout comme l’Europe avec 2 millions d’euros », informe Michel Baldassini. Une présentation de ce plan d’action a eu lieu le 7 avril à Paris au siège de l’Agro, ce qui marque le début de sa mise en œuvre, et peut-être la fin des ennuis pour la profession viticole… 

David Duvernay
*Cniv (Comité national des interprofessions des vins à appellation d’origine) et Anivin (Association nationale interprofessionnelle des vins de France).