Les usages orphelins laissent les producteurs dans l’impasse
des fruits et légumes, mettent les agriculteurs devant des impasses techniques pour protéger leurs cultures.

Les néonicotinoïdes appartiennent à une famille d'insecticides neurotoxiques, dont la molécule dérive de celle de la nicotine. Ils sont largement utilisés dans le monde pour protéger les plantes et cultures de l'attaque d'insectes ou à titre préventif en traitement de semences. Leur succès tient notamment à l'impact plus modéré de leur toxicité sur les mammifères par rapport aux précédents insecticides utilisés, les organophosphates et les carbamates. Mais ces produits neurotoxiques sont accusés d'être à l'origine du déclin de pollinisateurs inoffensifs comme les abeilles, provoquant leur désorientation, infertilité et d'autres effets négatifs. Cinq substances néonicotinoïdes sont autorisées dans l'Union européenne. Mais, depuis décembre 2013, un règlement restreint l'usage de trois d'entre elles jugées les plus dangereuses pour les pollinisateurs (imidaclopride, clothianidine et thiaméthoxame), à l'enrobage de semences des céréales d'hiver uniquement et à la pulvérisation après la floraison des cultures attractives pour les abeilles. Une révision de l'évaluation de ses trois pesticides est en cours par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) qui devrait donner son avis en janvier 2017. Sur cette base, la Commission prendra, ou non, la décision de lever l'interdiction partielle décidée en 2013.
Néonicotinoïdes interdites à partir de janvier 2018
En France, le 17 mars dernier, les députés ont adopté, en deuxième lecture de la loi biodiversité, l'article du projet interdisant les néonicotinoïdes, par 30 voix contre 28. Avant l'examen du texte, le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, avait demandé dans un courrier adressé aux parlementaires d'éviter « une interdiction brutale » de ces insecticides au 1er janvier 2017, pour ne pas créer des distorsions entre les agriculteurs français et les autres européens. Le texte a finalement été adopté avec un compromis qui interdit l'utilisation de ces molécules à partir du 1er janvier 2018.
Le diméthoate interdit en France, en Espagne et en Italie
Le diméthoate est interdit depuis le mois de février. Le ministère de l'Agriculture vient de confirmer, le 15 avril, qu'il ne délivrerait pas d'autorisation d'utilisation de cet insecticide pour lutter contre Drosophila suzukii sur le cerisier. L'Italie et l'Espagne ont pris la même décision. Ainsi qu'il l'avait annoncé, Stéphane Le Foll a également indiqué qu'il mettrait en œuvre une clause de sauvegarde nationale pour interdire la commercialisation en France de cerises provenant d'un pays autorisant le diméthoate. La France avait déjà saisi la Commission européenne le 29 mars sur les risques pour la santé de la consommation de denrées traitées avec du diméthoate. Sollicitée par Bruxelles, l'Autorité européenne de sécurité des aliments ne s'est pas prononcée clairement sur une interdiction du produit, même si elle reconnaît que les données ne sont pas suffisantes pour exclure un risque pour la santé des consommateurs.
Peu de solutions de repli en fruits et légumes
Cette interdiction du diméthoate, qui provoque la colère des producteurs de cerises, n'est qu'un aspect d'une menace plus large qui pèse sur la filière fruits et légumes. Le nombre de substances actives autorisées sur ces productions diminue et de nombreuses autres espèces, notamment de légumes, pourraient à terme être dépourvues de traitement efficace. « Nous sommes dans une situation de plus en plus précaire », affirme Marc Delporte, adjoint à la direction scientifique du Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL), inquiet de la diminution du nombre de molécules autorisées pour le traitement des fruits et légumes. « Il y a bon nombre de molécules sur la sellette », s'inquiète encore Gérard Roche, vice-président de Légumes de France. Leur interdiction pourrait mettre en danger la production de nombreuses espèces. L'interdiction des néonicotinoïdes par exemple pourrait laisser « des dizaines d'usages vides » sur les salades, tomates, betteraves ou cucurbitacées, selon Gérard Roche qui ajoute : « Ce qui est regrettable, c'est de prendre des décisions à l'emporte-pièce sans en voir les conséquences ».
Car même si la Commission des usages orphelins, qui regroupe l'administration, les instituts techniques et la profession agricole, identifie les situations difficiles et propose des solutions, et que la filière fruits et légumes, à travers le CTIFL, se consacre à la recherche, les maraîchers et arboriculteurs restent les parents pauvres en matière d'innovation sur le sujet. « Les petits marchés ne sont pas du tout pertinents pour les firmes », témoigne Marc Delporte. Celles-ci privilégient les demandes de mise en marché de substances actives pour les grandes cultures, sans prendre la peine de déposer des demandes d'extension d'usage alors que certaines molécules auraient un intérêt certain pour les maraîchers et arboriculteurs. Dans ce contexte, les agriculteurs demandent de faire de la recherche une priorité. « C'est ce que l'on demande dans le plan Ecophyto », rappelle Gérard Roche. Pour lui, les cotisations payées par « tous les professionnels » doivent revenir à l'expérimentation.
C. D.
avec Agrapresse
INSECTICIDES / Les néonicotinoïdes sont utilisés en traitement de semences ou en foliaire. Leur interdiction amène des interrogations techniques. Elle a été vivement critiquée par la profession agricole.
Comment se passer des néonicotinoïdes ?
Nous ne sommes pas totalement démunis mais c’est plus compliqué », résume Jean Pauget, ingénieur d’Arvalis-Institut du végétal. Depuis plusieurs années, le Gaucho, insecticide systémique, avait déjà été interdit sur les cultures de printemps en raison de sa toxicité et des risques de mortalité sur la population d’abeilles. Désormais, ce sont les insecticides pour protection de semences sur les céréales à paille qui sont dans le viseur. Ils permettent notamment d’éviter les attaques de pucerons responsables de la virose et donc d’une importante chute de rendement. « C’était une solution pratique qui permettait de protéger jusqu’au stade cinq feuilles, explique Jean Pauget, nous n’avons pas d’autres solutions en protection de semences, il faut donc intervenir sur la végétation dès la sortie de la première feuille. Cela nécessite une observation très fine au champ. Et puis, les années de forte pression, un seul traitement ne suffira pas. La durée d’efficacité des traitements n’est que de trois semaines. D’autre part, il est parfois compliqué pour les producteurs de trouver une fenêtre de traitement en octobre-novembre sur les sols argilo-limoneux. » La multiplication des traitements foliaires pose en outre la question de la conséquence environnementale qui pourrait être inverse à celle espérée par le législateur.La création variétale, solution d’avenir
À court terme, l’ingénieur ne voit pas de solution de repli efficace. Peut-être la recherche permettra-t-elle de trouver des « remèdes ». « La recherche génétique a déjà permis de créer des variétés d’orge d’hiver résistantes à la virose. Peut-être verra-t-on d’autres avancées à l’avenir pour d’autres espèces », suggère-t-il. Mais les délais sont courts et, en attendant, les producteurs se sentent démunis par cette décision qui semble aller à l’encontre des annonces du gouvernement de ne plus surtransposer les règlements européens.
Les apiculteurs satisfaits
Du côté des apiculteurs, le son de cloche n’est évidemment pas le même, les néonicotinoïdes étant jugés responsables de la surmortalité des abeilles. L’Union nationale de l’apiculture française (Unaf) s’est réjouie que « l’Assemblée nationale prenne enfin ses responsabilités face à la dangerosité de ces produits, regrettant néanmoins le délai de deux ans pour la mise en application de cette interdiction. » Plus localement, la satisfaction est plus mesurée. « Évidemment, nous apprécions cette décision, reconnaît Michel Coillard, apiculteur à Domsure dans l’Ain et délégué apicole au sein de la FRSEA. Maintenant, ce que nous attendions avant tout, c’était un encadrement de l’usage des néonicotinoïdes, qu’il ne soit pas systématique mais uniquement en cas de nécessité et pas forcément sur toutes les parcelles », précise-t-il. L’apiculteur se montre par ailleurs prudent sur les conséquences de cette interdiction. « Si on supprime les néonicotinoïdes, par quoi va-t-on les remplacer ? Par un produit encore pire ? En Allemagne, ils l’ont fait et la situation n’est pas meilleure aujourd’hui », fait-il remarquer. Michel Coillard est par ailleurs conscient que cette décision arrive à un moment où l’agriculture est déjà en crise. « Nous ne souhaitons pas que la situation s’envenime sur le terrain entre apiculteurs et agriculteurs. »
D. B.

« Je suis satisfaite que les débats sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité […] aient pu aboutir à une position ambitieuse », a réagi Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, à propos de l’interdiction des néonicotinoïdes. Le projet de loi biodiversité sera examiné en deuxième lecture au Sénat à partir du 10 mai. Les sénateurs devront se prononcer sur cette mesure tant décriée par les organisations agricoles majoritaires. Le passage par une commission mixte paritaire, réunie « en cas de désaccord persistant entre les assemblées sur un projet de loi », est loin d’être exclu tant le sujet des néonicotinoïdes divise.