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Prédation

Loup : des éleveurs sont « au bord du bord »

Alors que les attaques s'amplifient et qu'un nouveau plan loup se prépare, des responsables de fédérations ovines et FDSEA des départements impactés par ce problème se sont réunis le 15 juin à Valence. Le point avec la présidente de la FNO, Michèle Boudoin, qui a animé cette rencontre.
Loup : des éleveurs sont « au bord du bord »

Michèle Boudoin, où en sont les prélèvements de loups ?

Michèle Boudoin : « Pour la période 2016-2017 (du 1er juillet au 30 juin), le quota était de 36 loups. Un supplément de deux individus a été autorisé par un arrêté publié le 19 avril. Il a été atteint le 28 mai avec l'abattage d'un 38e loup à Romeyer. Pour aller jusqu'à la fin de cette période, un nouvel arrêté autorisant la destruction de deux autres individus a été signé le 14 juin par le nouveau ministre de l'Agriculture et celui de la Transition écologique et solidaire. Il est paru au Journal officiel le 16 juin. »

Que demande la profession pour la période 2017-2018 ?

M. B. : « Une réunion du comité national loup prévue le 18 mai a été reportée au 23 mai puis au 22 juin. Il y sera fait un point sur le comptage hivernal 2016-2017 des loups par l'ONCFS(1) . Ce comptage servira de base pour la discussion sur l'arrêté fixant le nombre de loups maximum à prélever sur la période 2017-2018. Dans son rapport, l'office constate une croissance de 22 % de la population de loups, une augmentation des meutes, des départements colonisés, des attaques et des victimes. Donc, nous demandons davantage de régulation pour 2017-2018 ; c'est-à-dire 40 loups (quota finalement obtenu pour 2016-2017) plus un complément de 22 % au bas mot. C'est logique puisqu'il y a plus d'attaques, de colonisation et de viabilité du loup. Une consultation publique sur le plafond de loups à abattre en 2017-2018 est ouverte jusqu'au 3 juillet(2). J'invite les professionnels et leur famille à y participer, à se positionner sur le loup. »

Et pour le plan loup 2018-2022, que propose la profession ?

M. B. : « Nous considérons que le problème du loup ne doit pas être territorialisé. Il doit être traité au plan national équitablement, que l'on soit dans une zone historiquement prédatée ou d'élevage sédentaire. Nous voulons que tous les territoires soient traités de la même façon. Nous nous sommes mis d'accord avec l'APCA(3), la FNSEA et JA sur notre vision du futur plan loup. Certaines de nos propositions sont déjà connues. D'autres seront communiquées à la réunion du 22 juin. Je ne peux en dire plus pour le moment. L'objectif de ce plan, c'est la viabilité du loup et la cohabitation avec l'élevage. Mais nous savons que les deux sont un peu antinomiques. »

Michèle Boudoin, présidente de la FNO.

Le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, vous a reçue en mai avec la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, et le responsable national de la filière ovine des JA, Bertrand Gerbet. Comment s'est passée cette entrevue ?

M. B. : « Le ministre souhaitait rencontrer la profession avant la réunion du comité national loup du 22 juin. Nous lui avons fait part de nos difficultés, propositions et aussi de la nécessité absolue de pouvoir continuer à répondre aux attaques de loups avec des tirs de défense renforcés cette fin de période 2016-2017.
J'ai trouvé le ministre à l'écoute, respectueux, honnête dans son approche, plaçant l'humain au cœur de ses préoccupations. Bien sûr, il est attaché à la viabilité du loup. Je lui ai montré un press-book de photos de brebis égorgées par le loup. Ça l'a secoué. Je pense qu'il a pris conscience du problème. Et Christiane Lambert l'a invité à venir sur le terrain. Il n'a pas dit non. Nicolas Hulot propose que l'on travaille en concertation avec l'ensemble des parties pour élaborer un futur plan loup équilibré. Je reste cependant lucide et prudente sur le futur ».

A la réunion du 15 juin, avez-vous abordé d'autres sujets ?

M. B. : « Oui, nous avons recensé les problème liés aux mesures de protection des troupeaux : ce qui est inefficace, les difficultés à gérer les multiusages de l'espace rural et pastoral, les chiens de protection, la sécurité des promeneurs... Mais aussi les retards de paiement des aides liées aux mesures de protection des troupeaux, difficiles à supporter économiquement pour les éleveurs.
Impuni depuis vingt ans, le loup change de comportement, devient audacieux, n'a plus peur de l'homme. Nous avons souligné la nécessité de donner la parole aux éleveurs car travailler dans de telles conditions est anxiogène. Certains sont au bord du bord. Nous avons aussi discuté de la façon de communiquer. Tout l'été, nos réseaux mettront en avant les aménités positives de l'élevage : biodiversité, entretien du paysage, participation au maintien de l'activité rurale et économique, savoir-faire, patrimoine culturel de la transhumance...
Nous, responsables professionnels, devons convaincre les ministres du bien-fondé de nos demandes et faire en sorte que les choses bougent au niveau européen. Ce sera difficile mais je ne désespère pas. Nous nous concertons avec d'autres Etats membres impactés par le loup : l'Espagne, l'Italie, la Grèce, l'Allemagne, la Hongrie, la Pologne, la Finlande (qui a un droit de chasse). Partout en Europe, l'élevage ovin est sur des territoires difficiles. Du coup, c'est la double peine. »

Propos recueillis par Annie Laurie

(1) ONCFS : office national de la chasse et de la faune sauvage.
(2) Consultation publique via le lien suivant : http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/spip.php?page=article&id_article=1728
(3) APCA : assemblée permanente des chambres d'agriculture.

 

Le loup en chiffres

Le loup gagne du terrain (source : ONCFS) : 37 départements sont à présent colonisés (contre 11 en 2009). En sortie d'hiver 2016-2017, la population lupine était estimée à environ 360 individus en France. Le nombre de zones de présence permanente (ZPP) augmente. Il en a été détectées 57 contre 49 un an avant. Sur 42 de ces ZPP (contre 35 à l'issue de l'hiver précédent), des meutes de loups sont présentes. S'ajoutent 11 ZPP sans meute (animal seul ou couple). Depuis sa réintroduction en France, le loup a tué 72 000 brebis. Et de plus en plus de bovins sont attaqués.
Sur 2016, plus de 22 départements ont mis en place des mesures de protection pour un montant de l'ordre de 23 millions d'euros. Les indemnisations (2 735 attaques de loups et 9 768 victimes*) coûteront près de 3 millions d'euros au plan national (plus de 2,7 en 2015). Du 1er janvier au 30 avril 2017, des dossiers d'indemnisation ont été ouverts pour 433 attaques et 1 726 victimes (source : Dreal Auvergne-Rhône-Alpes). Des chiffres en hausse par rapport aux quatre premiers mois de 2015 et 2016.
(*) Dossiers instruits au 5 janvier 2017.

 

Plan loup 2018-2022 /
Parmi les demandes de la profession
- Le choix du pastoralisme sur l'ensauvagement des territoires : aucun loup dans toutes les zones d'élevage en plein air.
- La révision du statut du loup dans la convention de Berne et la directive Habitats afin qu'il ne soit plus considéré comme un animal strictement protégé.
- La prise en charge budgétaire des coûts de la prédation sur les crédits du ministère de la Transition écologique et solidaire et non du ministère de l'Agriculture (mesures de protection, constats des dommages, indemnisations...).
- Le refus de la conditionnalité des indemnisations à la mise en place préalable de mesures de protection.
- La possibilité de prélever des meutes entières pour faire baisser la pression de la prédation sur les troupeaux et avoir une réelle efficacité dans le temps.
- L'élargissement de la brigade loup à tous les territoires colonisés et la pérennisation du dispositif.
- L'extension à tous les cœurs de parcs de la dérogation offerte au parc des Cévennes dans l'assouplissement de l'interdiction de régulation (effarouchement et tirs de défense simple).
- Le paiement en temps et heure des aides liées à la mise en place des mesures de protection.
- L'absence de responsabilité des éleveurs dans les accidents de randonneurs du fait de l'usage de chiens de protection des troupeaux contre le loup.
- La prise en charge, par les services de l'Etat, de l'euthanasie des animaux attaqués par les prédateurs et ne pouvant être sauvés.
D'autres propositions seront dévoilées lors du prochain comité national loup.