Loup : un vent de résistance sur les alpages

Il y aura sûrement un avant et un après 20 août 2016. Car au col du Glandon, samedi dernier, les discours des maires, bergers, éleveurs, scientifiques, n'étaient plus à l'aune des simples constats quant aux dégâts de loup, mais à une vraie offensive. Un vent de résistance a soufflé sur les alpages.
Les germes de l'échec
« L'USAPR (1) porte les messages des territoires et des éleveurs », assène en introduction Pierre-Yves Bonnivard, président de l'association et maire de Saint-Colomban-les-Villard (73). Après 25 ans de présence du loup, nous constatons 25 ans d'échec. Oui, la convention de Berne porte en elle l'échec du retour du grand prédateur ». La parole est sûre, le ton ferme, le regard noir. Et pour étayer ses positions et celles de l'ensemble des participants à ce rendez-vous annuel, désormais à vocation européenne, les organisateurs se sont appuyés sur des scientifiques. D'abord Nicolas Lescureux du CNRS (2) qui a mené une étude sur la relation entre les populations rurales et le loup au Kirghizistan et en république de Macédoine.
Dans le premier pays, la chasse était systématique, avec des chasseurs professionnels lors de l'ère soviétique. La relation était alors équilibrée, le prédateur se tenant loin des troupeaux, les hommes et le loup s'observant à distance dans les plaines. Lorsque le Kirghizistan est devenu indépendant, cette structuration a disparu. Plus de chasseurs professionnels, retrait des fusils et donc nette diminution de la pression sur le grand canidé. Aujourd'hui, les troupeaux sont resserrés autour des villages et continuent quand même à se faire attaquer. « Le loup est devenu incontrôlable car la relation dynamique qui existait entre l'homme et la bête a disparu, constate le scientifique. Une incursion du loup ne provoque plus de réaction. Il gagne du terrain. »
Régulation et cohabitation
Constat identique en Macédoine, où la population se frotte aux ours, loups et autres lynx. « L'ours est identifié à un territoire. Il est chassé s'il pose un problème. Il y a une bonne cohabitation », décrit Nicolas Lescureux. Le lynx est lui invisible et pose peu de problème parce qu'il vit éloigné de l'homme. Reste le loup qui en Macédoine est difficilement chassable d'un point de vue réglementaire. « Les dégâts sont importants sur les troupeaux et il attaque les chiens », commente le scientifique. Autre caution scientifique, celle de Michel Meuret de l'Inra. « Dès la réintroduction du loup en 1996 dans le parc de Yellowstone aux Etats-Unis, des mesures de gestion ont été mises en place. Dès qu'un loup pose problème (il tue un ovin, un bovin...), il est régulé. 15 % sont tirés chaque année pour cette raison. La moyenne des dégâts est donc de 180 bovins et 330 ovins attaqués par an (!) entre 2006 et 2014. L'année record 2013 a connu la mort de 721 ovins : 25 meutes sur 267 ont alors été abattues. » Pourtant aujourd'hui, la zone comprend 1 780 loups, bien au-delà des 300 prévus à l'origine. « Quand les conditions d'un équilibre ne sont pas respectées, il y a de gros conflits », concluent les deux scientifiques. Et quand il y a régulation, il y a cohabitation.
Dévorée vivante
Les situations catastrophiques, Yann Souriau, maire de Chichilianne, les vit de près. L'attaque d'une habitante du village par deux chiens de protection ont marqué l'élu : « Elle a été dévorée vivante, explique-t-il, elle a vu des morceaux de sa propre chair mangés par les chiens devant elle. » Le traumatisme gagne tout le monde : les touristes ont décommandé leur réservation, le maire a lui-même signé un arrêté dans lequel il déconseille formellement aux personnes d'emprunter les sentiers locaux. « On a mobilisé depuis le début de l'été 70 personnes dont 30 louvetiers, nous vivons au milieu des cadavres des charniers, nous achevons à la main des bêtes presque tous les jours. » « Qu'on laisse les louvetiers faire réellement leur travail et le problème sera résolu », clame M. de Montal, ancien louvetier. « On (la préfecture, ndlr) nous empêche de faire le travail. » Yann Souriau, lui, ne veut plus laisser « le territoire s'effondrer, d'autant plus que cette situation de dangerosité avérée n'est pas unique. Il va y avoir une réaction ferme pour arrêter cette catastrophe. »
Des mots qui viendront peut-être réchauffer le moral des bergers, dont deux d'entre eux sont venus témoigner. « L'avenir de notre métier est en jeu, plaide Antoine Le Gal, berger transhumant. Au lieu de nous occuper des moutons, de les soigner, de les faire engraisser, d'entretenir le pâturage, nous comptons les cadavres, recherchons les brebis, achevons certains blessés... », décrit-il submergé par l'émotion. Pour Patrice Marie, président de Pâtre des Alpes du Nord (Pan), « nous vivons quatre mois de galère à la fin desquels on nous demande combien nous avons eu de disparus, avec un doute et une suspicion sur notre attitude face à ce fléau de la société moderne ». Et parce qu'il veut combattre « les perverses stratégies intellectuelles des pro-loup qui conduisent à programmer la fin du pastoralisme », il annonce que la Cour des comptes sera saisie afin de demander une enquête « sur la gabegie financière constatée dans ce dossier ».
Jean-Marc Emprin
(1) Union pour la sauvegarde des activités pastorales et rurales.
(2) Centre national de recherche scientifique.
