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Elevage

Loups et moutons : « on arrive au bout du bout »

Le point avec Nicolas Peccoz, co-président de la fédération départementale ovine (FDO) de la Drôme, sur l'actualité de cette filière et notamment la prédation.
 Loups et moutons : « on arrive au bout du bout »

Nicolas Peccoz, commençons ce tour de l'actualité ovine par le prix de la viande d'agneau. Comment évolue-t-il ?

Nicolas Peccoz : « Cette année, il est moins bon qu'en 2015. Il s'est cassé la figure au printemps. Pendant quelques années, il a été meilleur. On peut imaginer qu'il remontera un peu en septembre-octobre car, en général, c'est une période creuse. Ce recul de prix s'explique essentiellement par une baisse de la consommation. Pour ce qui est de la concurrence étrangère, la production française est moins confrontée qu'elle n'a pu l'être aux importations néo-zélandaises. Quant à la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne, on ne sait si son impact sera positif ou négatif. »

 

Venons-en au loup. Comment évolue la prédation ?

N. P. : « Les attaques ne cessent d'augmenter. Ces dernières années, on a eu beaucoup d'attaques mais elles étaient, me semble-t-il, plus localisées avec des meutes bien établies qui sévissaient sur certains secteurs. Des zones géographiques étaient très impactées, d'autres moins ou pas du tout. Cette année, davantage de zones sont touchées (dont certaines qui ne l'étaient plus depuis quelques temps), avec des attaques pas forcément grosses (parfois une, deux, trois... brebis tuées) mais des attaques plus nombreuses et régulières (tous les deux à trois jours par-ci, par-là). Cela fait penser à des loups qui sortent des meutes et essaient de coloniser de nouveaux territoires. Au final, les dégâts sont plus élevés que les années précédentes. Du coup, la préfecture a accordé des tirs de prélèvements à Lus-la-Croix-Haute, Glandage et Treschenu-Creyers mais il n'y a pas eu de résultats, malgré la venue de la brigade loup. Nous essayons d'en obtenir également sur la vallée de Quint. Et nous en demanderons peut-être sur la vallée de la Gervanne cet automne, selon l'évolution des attaques. Je tiens aussi à souligner la précieuse collaboration des chasseurs et des lieutenants de louveterie dans la lutte contre la prédation.
La situation est de plus en plus compliquée pour les éleveurs. Les mesures de protection deviennent inefficaces, que ce soit les patous, les aides-bergers ou les clôtures électriques. Le loup s'adapte, arrive à passer outre. De ce fait, nous déplorons des attaques et n'avons plus de solutions. La profession semble résignée. Des éleveurs n'ont même plus envie de demander des autorisations de tirs, de faire des efforts. Ils ne sont plus motivés. Et certains arrêtent leur activité... Depuis 20 ans, on nous mène en bateau. On arrive au bout du bout. J'ai peur qu'un drame se produise, un jour. On a déjà du mal à intéresser les jeunes car le métier est très prenant. La passion, à un moment, ne suffira plus. Le loup est en train de déstructurer notre filière. Si ça continue, c'est la mort du métier, en tout cas des éleveurs pastoraux. »

 

« Le loup est en train de déstructurer notre filière », déplore Nicolas Peccoz, co-président de la fédération départementale ovine.

La FDO a installé des panneaux en bord de route dans le Diois avec une photo "choc" de brebis tuée par le loup. Quel message voulez-vous ainsi faire passer ?

N. P. : « Un panneau a été posé à Chamaloc, sur la route du col du Rousset, et un autre à Recoubeau-Jansac, sur la route de Die à Luc-en-Diois, des secteurs où des attaques ont effectivement eu lieu. Avec ces panneaux, nous voulons sensibiliser le grand public aux difficultés que vivent les éleveurs face aux attaques répétées de loups. Nous voulons lui montrer que la prédation est maintenant aux portes des villages, qu'elle ne se cantonne pas à la haute montagne et à la campagne profonde. Il me semble que ces panneaux peuvent faire réagir les gens. »

 

Et que dire du paiement des aides à la protection des troupeaux contre la prédation ?

N. P. : « Les aides 2015 n'ont pas toutes été soldées. Donc, ça coince au niveau des trésoreries, d'autant plus que les aides Pac ne sont pas tombées en temps et en heure. C'est compliqué car nous avons des avances à faire, notamment pour payer les bergers. Un berger coûte 2 500 à 3 000 euros par mois sur quatre voire cinq mois d'alpage. Les éleveurs n'ont pas tous 15 à 20 000 euros d'avance. Avec la nouvelle Pac et ses conditions, c'est le bordel absolu. »

 

Le ministre de l'Agriculture a annoncé que l'aide ovine serait accessible à toutes les brebis, même celles produisant moins de 0,3 agneau par an. Ces dernières étaient jusqu'ici exclues des aides, sauf en cas de force majeure comme la prédation. Que pensez-vous de cette annonce ?

N. P. : « On n'incitera plus à produire. Cela dit clairement qu'on n'a plus besoin de faire des agneaux et qu'on devient des jardiniers de l'espace. On nous pousse dans un système à l'envers du métier, c'est paradoxal. Aujourd'hui, nous avons déjà beaucoup de paperasse à faire, notamment avec la Pac. On en aura encore plus si on part dans ce genre de système, en ne visant que les primes. Un éleveur sachant bien remplir les papiers pourra mieux gagner sa vie qu'un autre très bon techniquement mais pas doué pour les tâches administratives. On marche vraiment sur la tête. »

Propos recueillis par Annie Laurie

 

+ Tableau :

Attaques de loups

Bilan des dommages
du 1er janvier au 15 août
Drôme
France
2016
Constats indemnisés
et en cours d'instruction

45

1 150
Victimes indemnisées
et en cours d'instruction
162
4 084
2015
Constats indemnisés
et en cours d'instruction

39

1 283
Victimes indemnisées
et en cours d'instruction
168
4 750
2014
Constats indemnisés
et en cours d'instruction

37

1 202
Victimes indemnisées
et en cours d'instruction
76
4 572
Indemnisations
du 1er janvier au 31 juillet

2016
42 915 €
957 870 €
2015
37 811 €
1 249 121 €
2014
20 668 €
1 180 474 €

Données DDT(M) - Dreal Auvergne Rhône-Alpes

 

Lutte contre la prédation / Créée en 2015, la brigade loup participe à des opérations de défense des troupeaux. Elle est intervenue dans le Diois cet été mais n'a pas eu l'occasion de tirer.

La brigade loup et sa mission dans le Diois

La brigade loup a été constituée à la demande de la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, en juillet 2015, pour soutenir les éleveurs confrontés aux attaques de loups. Elle fonctionne depuis octobre et a pour mission de participer aux opérations de défense des troupeaux dans les secteurs les plus impactés, en assurant une présence auprès des éleveurs qui connaissent une récurrence d'attaques exceptionnelles.
Cette brigade est placée sous l'autorité de l'office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Elle est composée de dix agents intégrés à la délégation interrégionale Alpes-Méditterranée-Corse de cet office. « Ce sont des jeunes de 18 à 25 ans en contrat "avenir", ayant une formation de type BTS GPN (gestion et protection de la nature), le permis de chasse et une expérience en cynégétique. Ils suivent aussi des formations dans le cadre de leur activité (tirs, conduite d'un 4X4, biologie de l'espèce...) », indique Jean-Louis Blanc, délégué interrégional Alpes-Méditterranée-Corse de l'ONCSF et responsable de la brigade loup.
Souvent des affûts nocturnes
Les agents de la brigade loup viennent en appui aux agents de l'ONCFS au sein des départements dans les opérations d'effarouchements ou de prélèvements ordonnés par l'État (ils réalisent aussi des constats de dommages sous l'autorité de l'ONCFS locale). « En général, l'intervention se fait après une prise de contact avec le ou les éleveurs concernés, des lieutenants de louveterie et des chasseurs du secteur, explique le responsable de la brigade loup. On observe la topographie des lieux et décide de la meilleure manière de positionner les équipes. Ce sont très souvent des affûts nocturnes qui commencent en début de nuit, parfois interrompus vers minuit-une heure puis reprenant le matin. »
Drôme : cinq agents fin juillet
La brigade loup intervient « essentiellement dans les départements de la région Paca mais elle l'a aussi fait dans la Drôme ainsi qu'à la limite de l'Isère et de la Savoie », confie son responsable. En Drôme, à la demande de la préfecture, cinq agents de la brigade loup (en deux équipes) sont venus du 25 au 31 juillet sur les communes de Lus-la-Croix-Haute, Glandage et Treschenu-Creyers. Il s'agit des trois communes sur lesquelles le préfet Eric Spitz a autorisé le tir de prélèvement d'un loup (arrêté publié le 8 juillet). Pendant la présence de la brigade dans le Diois, « plusieurs loups ont été aperçus mais les agents n'ont pas eu l'occasion de tirer, précise Jean-Louis Blanc. C'est un peu le hasard. Ce n'est pas à chaque fois une réussite. » Depuis sa création, cette brigade a prélevé dix loups : sept en 2015-2016 et trois sur la campagne en cours(*).
Annie Laurie
(*) : la campagne court du 1er juillet au 30 juin.