Accès au contenu
Interview

“ Mener une politique agricole pragmatique ”

Cela fait un peu plus d’un an que l’équipe de Laurent Wauquiez est à la tête de l’exécutif régional. Émilie Bonnivard, la vice-présidente à l’agriculture fait le point sur les actions menées en 2016 et celles à venir.
“ Mener une politique agricole pragmatique ”

Un an après votre prise de fonction en tant que vice-présidente à l'agriculture au conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, quel bilan tirez-vous ?
Émilie Bonnivard : « L'agriculture fait partie des domaines prioritaires pour le président de la Région, Laurent Wauquiez. Cela s'est traduit par une augmentation du budget dédié à l'agriculture de 25 % dès 2016, par rapport au budget consolidé des deux anciennes régions de 2015, et de 48 % en 2017, par rapport à 2015. En 2016, le budget dédié à l'agriculture s'est élevé à 45,9 millions d'euros (M€) contre 36,4 M€ en 2015. Il grimpe à 51,7 M€ en 2017. Pour être efficace, nous avons ciblé les agriculteurs et les filières agricoles. La plus grosse augmentation s'est concentrée sur l'aide à l'investissement dans les exploitations agricoles notamment avec le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE). Cela a permis de plus que doubler le nombre d'exploitations aidées, de 500 à 1 195 exploitations. L'objectif est de permettre aux agriculteurs de pouvoir moderniser leur installation pour gagner en compétitivité et d'améliorer les conditions de travail. Notre volonté est de faire une politique agricole très pragmatique, au plus près des exploitations, avec l'objectif de ramener de la valeur ajoutée pour les agriculteurs. »

 

Justement, comment vous y prenez-vous pour renforcer la valeur ajoutée des exploitations ?
E.B. : « Pour remplir cet objectif, nous soutenons les circuits courts et les produits de qualité. Le budget dédié aux circuits courts est passé à 3,6 M€ en 2016 contre 2 M€ en 2015, afin de financer des magasins de producteurs ou de l'investissement dans les ateliers de transformation à la ferme. Cela nous permet également de soutenir les petites filières comme le Fin gras du Mézenc, la viande de Savoie ou la rigotte de Condrieu. Notre soutien va également aux filières (bovin viande, bovin lait, ovin, etc.) avec 4,5 M€ en 2016 (+ 1,2 M€) pour le soutien à l'engraissement, les actions de promotion de nos vins ou de nos produits laitiers. Nous soutenons également l'agriculture biologique avec 2,7 M€ par an, ce qui, nationalement, est l'un des premiers budgets régionaux. »

 

Il y a un an, vous aviez défini un objectif de 75 % de consommation de produits locaux dans les cantines d'ici 2018. Où en êtes-vous ?
E.B. : « On a travaillé toute l'année avec les filières et les lycées pour trouver le meilleur modèle possible afin de renforcer les débouchés pour nos produits agricoles via la restauration hors foyer. C'est un sujet complexe, car il y a trois acteurs : la Région, qui est l'autorité compétente sur la gestion des lycées, l'État qui est responsable de la commande publique des denrées alimentaires et les groupements d'achat départementaux. Le tout avec une contrainte qui est le prix des repas pour les familles. Nous allons lancer prochainement un programme La région dans mon assiette. La démarche vise à encourager les lycées pour qu'ils mettent en place une commande de produits qui soit régionalisée et plus locale. Le plan de la Région devrait être voté prochainement pour être lancé dans l'année. Nous avons également créé une centrale d'achat régionale pour faciliter les achats de produits régionaux par les lycées. Pour le grand public, nous lançons une marque collective régionale La région du goût pour que nos produits agricoles soient mieux identifiés par les consommateurs dans la grande distribution. »

 

Simplifier le cadre d'intervention de la Région était un autre axe de votre politique, comment avancez-vous sur ce dossier ?
E.B. : « Nous avons d'abord simplifié toutes nos politiques régionales. Dans toutes les demandes qui dépendent de la Région, comme avec les contrats de filières, nous avons simplifié les démarches. Après, sur les dossiers Feader, comme les dossiers PCAE par exemple, nous avons divisé par deux le nombre de pages du dossier, en concertation avec les services et le Draaf, en centrant sur les documents obligatoires. Cependant, il faut savoir qu'il y a plusieurs donneurs d'ordre pour le Feader. Chacun ajoute des critères : l'Union européenne pour contrôler les dépenses, l'État pour respecter les objectifs de sa politique nationale, la profession agricole selon ses priorités ainsi que la Région et les départements pour coller à leur politique agricole. À la fin, on se retrouve avec une grille illisible en termes de politique publique et qui complexifie les dossiers. À la Région, nous avons pris le parti de diminuer le nombre de critères pour faire des grilles plus simples et demander à la profession agricole de faire de même. Nous avons cherché à poursuivre trois objectifs : la santé économique des exploitations agricoles, des filières agricoles, et le soutien aux jeunes agriculteurs. »

 

Les retards de paiements des aides de Pac ont déclenché la colère des agriculteurs qui avaient le sentiment que chaque échelon (Région, État et Union européenne) se renvoyait la responsabilité. Qu'est-ce que vous leur répondez ?
E.B. : « Nous avons passé un an avec l'association des Régions de France à alerter le ministre de l'Agriculture sur la situation catastrophique des paiements de la Pac dans un contexte de crise agricole. Nous sommes allés à Bruxelles. Il faut rappeler que les Régions sont responsables de la programmation et non du paiement des aides qui revient à l'ASP [Ndlr : Agence des services et des paiements]. Le ministre de l'Agriculture a commencé à nous écouter quand tous les présidents de Régions, tous bords confondus, ont tapé du poing sur la table. Un nouveau directeur a été nommé à la tête de l'ASP. Dans ce dossier, l'État n'est pas à la hauteur de ses engagements, mais comme nous voulons que les agriculteurs soient payés, nous avons avancé, avec la Région Bretagne, des propositions techniques à l'ASP pour la désengorger, en proposant d'instruire une partie des dossiers. Cette proposition est en attente de validation par l'ASP, le ministère et l'Europe. Nous avons bon espoir que les choses s'arrangent en 2017 pour que l'on ait des outils opérationnels fin 2017. Je tiens à souligner que cela a été une année très difficile pour nous.

 

Quand une Région augmente autant son budget pour l'agriculture et que, par ailleurs, l'argent du 2e pilier de la Pac est bloqué, c'est terrible. »

Comment expliquez-vous ces retards ?
E.B. : « Il y a plusieurs facteurs. La complexité de la Pac a été démultipliée avec la régionalisation et avec la remise à niveau des surfaces qu'exigeait l'Union européenne. Tout cela a renforcé les retards sur les aides Pac. L'ASP n'est d'ailleurs toujours pas en capacité d'avoir des logiciels pour payer correctement les dossiers. Sur les mesures surfaciques nationales, il y a douze mois de retard par rapport à 2015. Sur la campagne 2016, les versements sont envisagés en juin 2017. Ce n'est pas un calendrier normal de paiement des aides. Sur le montant du Feader pour Auvergne-Rhône-Alpes, il y a 57,7 M€ payés mais il reste un stock à verser par l'État de 164 M€ avec des versements prévus en juin et en octobre prochain. Sur le programme Leader, il y a 7 M€ de stock de paiement, dont 4 M€ pour le paiement des structures porteuses des programmes avec un réel risque d'effondrement de certaines, d'où la subvention remboursable votée par la Région pour les soutenir. Tout cela est dû à un logiciel bloquant et rigide. »

 

Quelles sont vos priorités pour l'année 2017 ?
E.B. : « Nos objectifs pour 2017 sont multiples. Nous souhaitons ouvrir les mesures du plan de développement rural d'Auvergne pour pouvoir financer des projets d'irrigation. Cela passe aussi par une action avec l'agence de l'eau Loire-Bretagne pour que des projets puissent se faire en Auvergne. Sur l'année 2016, nous avons financé dix projets d'irrigation agricole pour 1,14 M€ afin de sécuriser la production agricole. La Région s'est remise à financer les projets d'irrigation et nous allons continuer en 2017. Sur le dossier fruit, nous souhaitons sécuriser la production des vergers et leur renouvellement grâce à l'adoption prochaine d'un plan fruits. Sur le volet de l'installation, nous allons également voter prochainement la politique d'installation de la Région travaillée avec la chambre régionale d'agriculture et JA. Elle sera orientée sur un meilleur accompagnement technico-économique des jeunes et une incitation à se former pour acquérir de l'expérience avant de s'installer. Je tiens à mener au bout les objectifs que nous nous sommes fixés en début de mandat et j'y consacre tout mon temps. » 
Propos recueillis par Camille Peyrache