Méthanisation à la ferme : du potentiel et différents modèles

Les acteurs de la méthanisation en France se sont retrouvés à Chambéry autour de la thématique des applications industrielles et agricoles de la méthanisation, avec une journée spécialement dédiée à la petite et à la micro-méthanisation agricoles. L'événement a réuni des spécialistes et institutionnels qui prennent part à ce développement (Moletta méthanisation, Elanor consulting, Inra transfert environnement en tant qu'organisateurs), avec le soutien principal d'EDF et d'autres partenaires et intervenants (GRDF, IBBK, Institut Carnot 3BCAR, Ademe, RAEE...). En janvier 2016, on enregistrait en France un total de 451 unités de méthanisation en fonctionnement, dont 236 installations à la ferme et 31 installations centralisées (de grande taille, regroupant plusieurs agriculteurs ou mobilisant et traitant les déchets d'un large territoire).
Une croissance importante des méthaniseurs à la ferme
« Depuis 2015, 70 installations à la ferme et centralisées sont construites chaque année. C'est le secteur le plus dynamique », note l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) (1). La courbe de projection du parc d'unités de méthanisation à la ferme et centralisées situe 400 installations de ce type en 2017, 470 en 2018 et un peu plus de 600 en 2020. Le secteur agricole représente le principal gisement mobilisable pour la méthanisation (il en constituerait 90 % à l'horizon 2030).
Conformément aux objectifs nationaux, l'Ademe préconise de « mobiliser en priorité les effluents d'élevage et les résidus de cultures et, dans une moindre mesure, des cultures telles que prairies ou cultures intermédiaires. D'éventuelles cultures énergétiques dédiées ne doivent être mobilisées que pour équilibrer le fonctionnement du digesteur ». La France a une stratégie de filière basée sur un développement progressif de la codigestion de substrats (effluents d'élevage, déchets organiques et cultures). La valorisation énergétique se fonde sur la cogénération principalement (chaleur et électricité) mais également sur l'injection du biométhane dans le réseau de gaz naturel.
Des attentes en petites installations
Selon l'Ademe, deux modèles français se dégagent : d'une part, celui d'installations regroupant plusieurs exploitations agricoles (moins de 10) et de taille moyenne (15 000 tonnes de substrat) avec une maîtrise des gisements (apports agricoles majoritaires), la capacité à épandre les digestats et la possibilité d'accepter en complément des gisements d'autres origines disponibles localement. D'autre part, rappelle-t-elle, « il existe un potentiel de développement pour les petites installations de moins de 85 kWe à la ferme ». Si le premier modèle est assez aisément reproductible, pour le second, c'est-à-dire la petite méthanisation (inférieure à 150 kWe) et la micro-méthanisation agricoles (seuil fixé selon l'Ademe à 75 kWe), la réalité de terrain est beaucoup plus ténue à ce jour. Des souhaits d'éleveurs et des attentes émergent cependant.
Des suivis ont étét réalisés à la demande de l'Ademe sur des installations de méthanisation à la ferme, de petites installations innovantes(2) et des « moyennes » unités, situées dans différentes régions françaises (dont 7 étudiées en Rhône-Alpes sur les 15 que comptait le parc en service au 30 juin 2016). Ces suivis apportent des résultats et retours sur expérience très utiles et une analyse de performances détaillée. Ainsi, en petite méthanisation, le constat est que des points d'achoppement techniques et des seuils de performances et (ou) de rentabilité existent encore à ce jour en deçà desquels certains procédés de méthanisation ne peuvent être adaptés à ces petites unités. Les intervenants ont livré d'autres enseignements. La « petite » méthanisation voie sèche souffre encore actuellement de certains verrous scientifiques et technologiques pour une diffusion de procédés français. Les contraintes des zones de montagne dictent de mettre en œuvre des procédés (par voie humide ou sèche) bien adaptés mais il en existe. En alpage plus particulièrement, pour la méthanisation du lactosérum, l'UASB (Upflow anaerobic sludge blanket, avec des micro-organismes appelés biofilms, qui peuvent être disponibles sous forme de granules envoyés dans le digesteur) s'avère une technologie fiable et éprouvée. En Savoie et dans les Pyrénées, des éleveurs sont intéressés par ce procédé.
Une logique de coût évité
Lors de ces journées à Chambéry, Lionel Tricot, d'Elanor consulting, a rappelé une règle prépondérante en petite et micro-méthanisation : il faut rester dans une « logique de coût évité ». Ce qui exige l'élaboration d'un business plan solide, étudié poste par poste, selon ce consultant, fin connaisseur des exploitations de la région et réalisant de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, . La conception d'un projet en micro-méthanisation est certes plus rapide - un an et demi au lieu de trois habituellement - mais l'agriculteur doit « garder bien en tête qu'il sera seul à piloter son unité sur la ferme, sans assistance technologique, d'où la nécessité d'être bien informé et formé sur le biologique »(3). L'ex-région Rhône-Alpes compte cinq unités de micro-méthanisation (sur les 16 à ce jour) et une dizaine de projets est en cours.
Le message adressé à la profession agricole est un message réaliste mais de confiance. Depuis quatre ans, le niveau d'information et l'accès à la ressource se sont nettement améliorés. La formation et des séances de mise à niveau sont assurées via les chambres d'agriculture et les constructeurs. Ces relais sont en place. Initiateur de ces rencontres à Chambéry, René Moletta, ancien directeur de recherche à l'Inra, spécialiste mondial de la méthanisation et aujourd'hui consultant indépendant installé en Savoie(4), en résume bien les enjeux. « Aujourd'hui, affirme-t-il, il faut convaincre les agriculteurs qu'installer un méthaniseur est bien et tout à fait possible mais qu'il y a des contraintes. Le point rassurant pour eux est que les procédés sont connus, les savoir-faire et les expériences sont là. Et, avantage majeur, la méthanisation est une articulation selon laquelle un agriculteur ne perd pas du tout en fertilisants, il en gagne même ! Ce procédé lui permet de surcroît de ne pas dépendre du facteur climatique ».
Armelle Lacôte
(1) Source : Avis de l'ADEME, méthanisation, novembre 2016. Consultable sur www.ademe.fr
(2) Source : suivi petite méthanisation innovante, avril 2016, 70 p. disponible dans la médiathèque de l'Ademe, sur www.ademe.fr
(3) À la tête d'Elanor consulting (basé à Grenoble), bureau d'ingénierie, expert en méthanisation et valorisation du biogaz, Lionel Tricot a élaboré un guide sur le montage de projets de méthanisation intitulé « Recueil de recommandations et retour d'expériences ».
Ce guide est consultable sur le site www.elanor-consulting.fr, rubrique publications.
(4) Site www.moletta-methanisation.fr
Revente de biogaz : évolution tarifaire
Le nouveau régime français prévoyant l’octroi d’un tarif de rachat d’électricité pour les installations de moins de 500 kWe utilisant le biogaz produit par la méthanisation (à partir de résidus agricoles et déchets organiques) était très attendu. Il a été déclaré conforme aux règles de l’UE en matière d’aides d’État soutenant la production d’électricité renouvelable et validé par la Commission de Bruxelles le 12 décembre 2016. L’arrêté BG17 du 13 décembre 2016 fixant ces conditions d’achat est consultable sur www.legifrance.gouv.fr
Privilégier la proximité / Porteurs de projets de méthanisation à la ferme, des agriculteurs étaient présents à Chambéry pour évoquer leur expérience.
Des agriculteurs pionniers au niveau des territoires
Un projet de méthanisation à la ferme très volontariste avec plusieurs acteurs territoriaux (deux agriculteurs et une société d’économie mixte réunis au sein d’une SAS), c’est le cas à Tournon, près d’Albertville. Là la construction d’une unité de méthanisation à la ferme (par cogénération, 220 kW permanents, avec revente d’électricité) va débuter fin février-début mars sur l’exploitation L’Auberge des vaches, de Marc Gazzola. L’investissement s’élève à 2,15 millions d’euros (avec subventions de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et l’Ademe). Le dimensionnement est fixé à 5 400 tonnes traitées. Les intrants agricoles, respectivement lisier et fumier, proviendront de la ferme de Marc Gazzola (éleveur bovin lait hors zone AOP, transformation fermière, label Bienvenue à la ferme) et de celle de Pascal Tornier, éleveur allaitant à Verrens-Arvey. La valorisation des intrants extérieurs collectés à l’échelle locale (matières organiques fermentescibles, tontes de pelouse, déchets alimentaires issus des collectivités, de la restauration et des grandes surfaces, déchets fruitiers) se fera selon un coût mieux maîtrisé. C’est cette recherche optimisée, voulue par la communauté de communes de Haute-Combe de Savoie, qui a été à l’origine du projet. Au Gaec La Neveuse, de Jean-Pierre, Catherine et Loïc Detruche à Veigy-Foncenex en Haute-Savoie, exploitation laitière de 130 vaches laitières située en zone franche (lait vendu aux Laiteries réunies de Genève), avec 100 hectares de céréales à la vente et 10 000 poules pondeuses élevées en plein air, l’unité de méthanisation avec injection de biogaz sur le réseau GRDF devrait entrer en fonctionnement en avril 2017. Elle sera la toute première de ce type, c’est-à-dire en individuel sur une ferme, réalisée dans la région. L’investissement total s’élève à 2,8 millions d’euros (subventions par le conseil départemental de la Haute-Savoie, l’Ademe et la Région Auvergne-Rhône-Alpes). L’apport d’intrants de 10 000 tonnes se décline en 6 000 tonnes de lisier, fumier et cultures intermédiaires issues de l’exploitation et 4 000 tonnes extérieures (déchets de tonte, de restauration et de la grande distribution) apportées via Ortec, collecteur de déchets ayant une antenne à Thonon-les-Bains.A. L.
