Accès au contenu
Energie renouvelable

Méthanisation agricole : des retours d’expérience riches d’enseignements

Actuellement, sont dénombrées en France environ 300 unités de méthanisation agricole en fonctionnement. Les plus anciennes ont été mises en route il y a plus de dix ans. Un retour d’expérience précieux qu’il est nécessaire de prendre en compte pour élaborer son projet.
Méthanisation agricole : des retours d’expérience riches d’enseignements

Ces derniers temps, la communication sur la méthanisation n'a pas toujours été positive, la presse faisant état d'un certain nombre de difficultés impactant la rentabilité de la filière. Entre problèmes technologiques, réglementaires, difficultés d'approvisionnement ou mauvais choix des porteurs de projets, il est difficile de s'y retrouver. Si certains agriculteurs connaissent de réelles difficultés avec leur unité de méthanisation, et il ne faut pas s'en cacher, d'autres dans le même temps font le choix d'augmenter leur capacité de production parce qu'ils sont pleinement satisfaits de leur installation et de leurs choix.
Il faut savoir tirer les leçons des aléas rencontrés par les unités en fonctionnement et en tirer profit dans la réflexion des projets en cours et à venir. C'est pourquoi il est vivement conseillé aux porteurs de projets de visiter des unités en fonctionnement.

Le choix français

Le développement de cette filière s'est appuyé essentiellement sur l'expérience de nos voisins européens, allemands notamment, pionniers de la méthanisation. Ces pays ont développé des technologies performantes afin de traiter majoritairement des lisiers et ensilages de cultures énergétiques, intrants homogènes et stables, qui permettent un approvisionnement régulier tout au long de l'année et facilitent l'alimentation et le brassage des installations. Cependant, la filière française a fait le choix de valoriser en priorité les effluents d'élevage (lisiers et fumiers) et les déchets du territoire. Ces intrants multiples sont variables en quantité et en qualité au fil du temps, ce qui pose d'emblée certaines difficultés d'ordre technologique et biologique.

 

Bien réfléchir l'incorporation

La gestion des intrants est le premier point de difficulté rencontré par les unités en fonctionnement. D'une part, il faut assurer l'alimentation de l'installation sur le long terme en sécurisant au maximum la fourniture d'intrants, aussi bien en quantité qu'en qualité. D'autre part, l'unité doit disposer de matériel adapté aux intrants utilisés (selon leur taux de matière sèche, leur viscosité, leur fibrosité...) pour que l'incorporation dans le digesteur se fasse sans encombre et que les équipements (vis, pompes...) ne s'usent pas prématurément. Par exemple, si l'unité valorise beaucoup de fumiers pailleux, une trémie d'incorporation est nécessaire et doit être adaptée en conséquence : équipée de démêleurs pour une trémie de type fond poussant ou mouvant, ou opter pour une trémie de type bol mélangeur avec des vis verticales. Le positionnement de la trémie est important et peut permettre de limiter le nombre de vis d'alimentation et de moteurs électriques, autant de pièces d'usure et de frais en moins.
Pour faciliter l'incorporation d'intrants fibreux, la matière peut également être préparée en amont avec un broyeur par exemple. Dans ce cas, il faut s'assurer que le surcoût occasionné (investissement, consommation d'électricité et pièces d'usure) est rentabilisé par une amélioration significative de la production de biogaz.

 

Des indésirables à gérer

Autre point de vigilance : la gestion des indésirables. Selon la provenance et la qualité des intrants utilisés, la proportion de sable, terre, cailloux, ficelles ou plastiques, peut fortement varier. Ces matériaux inertes accentuent l'usure des équipements (pompes notamment), se déposent dans le fond du digesteur, réduisent progressivement le volume de digestion et peuvent finir par colmater le réseau de chaleur interne, rendant le nettoyage du digesteur indispensable. Il est possible de prévoir un piège à cailloux au niveau d'une pré-fosse (située en amont du digesteur) afin de limiter l'incorporation d'inertes et retarder la vidange de l'unité. A minima, les usures d'équipements et les pertes d'exploitation occasionnées par ces indésirables doivent être intégrées au bilan prévisionnel, et l'éventualité d'une ou plusieurs vidanges du digesteur dans la vie de l'unité doit être prévue dès sa conception de manière à en faciliter la réalisation et limiter son coût (trappes d'accès, post-digesteur...).
Dans tous les cas, il ne faut pas sous-dimensionner ce poste d'incorporation des intrants. Il est même préférable de prévoir un peu de flexibilité sur le choix des équipements puisque les intrants peuvent évoluer dans le temps.
L'utilisation d'intrants variés a aussi un impact sur la digestion en tant que telle, aussi bien sur le plan de la biologie que sur un plan technique.
Au niveau biologique, plus les intrants sont variés et plus la fermentation demande à être surveillée de près. Cela nécessite de bien connaître les intrants employés (des tests réguliers de potentiels méthanogènes peuvent être utiles) et de suivre quelques indicateurs simples (pH, qualité du biogaz, teneur en acide gras volatils...) pour corriger une éventuelle dérive de la biologie et prévenir tout problème (acidose par exemple). Par son suivi quotidien, l'agriculteur peut réaliser lui-même l'essentiel de ce travail. Au besoin, des bureaux d'étude spécialisés proposent une assistance biologique.

 

L'agitation, un point clé

Sur le plan technique, une bonne fermentation demande une agitation performante. Le système de brassage est l'élément central du digesteur puisqu'il doit assurer un mélange efficace des intrants, optimiser la fermentation bactérienne, permettre un bon dégazage et limiter le dépôt de matière en fond de cuve. Pour répondre à tout cela, l'offre technologique est variée : agitation mécanique (à hélices ou à pales, fixées sur un axe horizontal, vertical ou oblique...) ou assurée par un système de circulation de la matière ou d'injection de biogaz (bullage). Selon la nature des intrants et les caractéristiques du mélange (matière sèche, viscosité...), le système d'agitation doit être adapté et suffisamment robuste. Mais le choix des équipements a aussi une influence sur les frais d'exploitation (consommation d'électricité) et de maintenance (pièces d'usure, accessibilité en cas d'intervention...).
Il faut aussi s'assurer de la qualité des matériaux employés et de la conception du digesteur, qu'il soit en béton ou en acier. Pour garantir la qualité de réalisation de l'unité et le respect du cahier des charges, il est important de faire intervenir un bureau de contrôle indépendant à chaque étape du chantier.
Au final, ce retour d'expérience déjà conséquent a permis aux entreprises de la filière de s'adapter progressivement au contexte français de la méthanisation et de proposer constamment des améliorations technologiques pour gagner en performance. Les unités proposées aujourd'hui intègrent ces améliorations et sont bien différentes de celles construites il y a dix ans.
Néanmoins, vu les investissements engagés pour un projet de méthanisation, il est peut-être préférable de travailler avec des entreprises reconnues et qui peuvent justifier d'une expérience certaine en méthanisation. 

Olivier Thiercy, conseiller énergie des chambres d'agriculture de Rhône-Alpes.
Contact : 04 75 70 89 97 ou 06 33 25 27 64 - [email protected]

 

La cogénération doit être fiable

Les unités en fonctionnement connaissent parfois des difficultés au niveau de la valorisation du biogaz. Certains aléas ne sont pas du ressort du maître d’ouvrage, c’est le cas par exemple des micro-coupures sur le réseau électrique pour les unités qui valorisent le biogaz en cogénération. Ces coupures entraînent des pertes de production et peuvent parfois impacter le fonctionnement même du moteur. Une intervention du gestionnaire de réseau peut dans certains cas être nécessaire. Pour les autres aléas, c’est souvent la fiabilité du matériel ou la maintenance qui est mise en cause. Question fiabilité, il est préférable de travailler avec des installateurs et des moteurs reconnus. Question maintenance, l’installateur du cogénérateur ou un prestataire indépendant peut proposer un programme complet avec une garantie de performance du moteur, mais le coût de ces interventions n’est pas négligeable. Pour réduire les frais, l’agriculteur peut, avec un peu de formation, réaliser une partie de ces opérations par lui-même (vidanges par exemple).
Dans tous les cas, il faut fournir au moteur un gaz de qualité. L’épuration du biogaz n’est pas à négliger. Selon la nature et la variabilité des intrants, elle devra être plus ou moins poussée. Les équipements sont à adapter en conséquence (injection d’air dans le digesteur, filtre à charbon...).