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Colloque

Mieux connaître les sols maraîchers

La station d’expérimentation Rhône-Alpes information légumes (Serail), a organisé un colloque à la mi-décembre pour mieux connaître le fonctionnement du sol. Plusieurs présentations, dont un échange avec le pédologue Yves Herody, ont eu lieu devant une centaine de participants dont de nombreux maraîchers.
Mieux connaître les sols maraîchers

Profitant de l'accalmie de l'hiver, la station d'expérimentation Rhône-Alpes légumes, la Serail, s'est installée le mardi 15 décembre au lycée agricole de Dardilly (Rhône) en colloque, pour une meilleure connaissance et utilisation des sols. « Le sol nous enseigne tout au long de notre carrière de maraîcher, a insisté Luc Veyron, président de la Serail. C'est à nous de l'observer, de le sentir, de le comprendre, et au final de le connaître. » 2015, déclarée Année internationale des sols, a mis en avant le fait que le sol est un milieu complexe, aux multiples fonctions. L'amender est essentiel pour les maintenir, renforcer certaines d'entre elles et permettre la meilleure croissance possible des plantes. Aussi, le colloque de la Serail a démarré avec un bilan d'une expérimentation menée pendant quinze ans sur l'amendement du sol. Dominique Berry, conseiller maraîchage à la chambre d'agriculture du Rhône, a présenté une synthèse de ces travaux. L'expérimentation proposait de suivre l'évolution des propriétés du sol sablo-argileux de la Serail sur lequel des apports de différents amendements organiques ont été réalisés chaque année.
Cinq amendements ont été choisis : du fumier frais ; du fumier déshydraté ; du compost de déchets verts (DV) ; du compost d'écorces enrichi avec du lisier et du fumier de volaille ; du compost de tourteaux enrichi avec du fumier de mouton. Les deux premiers amendements présentent des indices de stabilité plus bas de l'ordre de 30 à 40 en fonction des années contre un ISB de plus de 50 pour le compost de déchets verts et de 70 à 80 pour les deux derniers. La modalité propose d'apporter l'équivalent en carbone de 30 t/ha de fumier de bovin. Après quinze ans, plusieurs évolutions des propriétés du sol sont constatées.

Les apports augmentent la matière organique

D'abord, le taux de matière organique du sol a augmenté dans toutes les modalités, quand le témoin qui était à 2 % a perdu 0,1 point en quinze ans sans apport. La modalité enrichie en compost de déchets verts atteint un taux de MO de 3,2 %, celle en compost d'écorces enrichi de 2,8 % et les trois autres de 2,4 %. Si les taux de MO sont plus élevés pour les composts, la matière organique totalement oxydable (MTO) ou matière active utilisable par l'activité biologique selon la méthode Herody est plus élevée dans les modalités liées aux fumiers et le compost enrichi de tourteaux. On observe même que la MTO de la modalité amendée avec le seul compost de DV est en deçà de celle du témoin qui n'a reçu aucun amendement. Par ailleurs, la fraction NiNi, ou matière organique insolubilisée qui n'a aucun intérêt pour le fonctionnement biologique du sol et peut parfois avoir des inconvénients, est élevée pour les modalités de compost d'écorces et de compost DV. « On peut tirer deux enseignements de cette expérimentation sur les propriétés organiques du sol, estime Dominique Berry. L'apport d'un amendement entretient voire augmente le taux de matière organique d'un sol, mais cela dépend de la stabilité du produit. Il est donc important de connaître l'indice de stabilité de son amendement, car on constate également que plus le produit est stable plus la part inactive de la MO augmente. Il convient donc de limiter les doses d'apports de produits stables. Il n'y a pas d'amendement idéal, chaque produit à ses avantages et ses inconvénients. Il est intéressant de les alterner. »

Données à consulter sous forme de graphique et tableau

Un sol plus résilient

L'influence des amendements sur les propriétés chimiques du sol peut se résumer en trois points. Il y a d'abord un effet alcalinisant des amendements organiques riches en calcium. Dans les sols à petite CEC (indicateur du potentiel de rétention et de fourniture), relever le taux de matière organique augmente la CEC. Après quinze ans d'apports en amendement organique, la teneur en métaux lourds n'est pas significativement importante.
Troisième volet de l'analyse des sols, l'analyse des propriétés biologiques du sol montre que l'apport d'amendement augmente considérablement la biomasse microbienne, de près du double pour les fumiers frais et déshydratés et les composts de tourteaux par rapport au témoin et de 50 à 70 % pour les autres amendements. Ces mêmes produits riches en matière organique dopent également la part de matière organique vivante. Enfin, les effets des apports des amendements sur la structure du sol sont très perceptibles. L'enrichissement en MO du sol permet d'apporter une meilleure résistance aux tassements et à la dégradation de la structure lors d'interventions mécaniques en conditions difficiles. Elle permet également une meilleure rétention de l'eau. De plus, la forte activité biologique riche en produits fermentescibles assure une stabilité structurale transitoire.

Des apports réguliers et diversifiés

Aussi, suite à cette expérimentation, le conseiller maraîchage à la chambre d'agriculture du Rhône, Dominique Berry, préconise des apports réguliers d'amendements à raisonner en fonction du type de sol, de la teneur initiale en MO du sol, du système de culture et des problématiques spécifiques rencontrées. « Il est intéressant de combiner des MO stables et plus dégradables pour leurs effets complémentaires. Il est ainsi conseillé des apports annuels de MO rapidement dégra- dables pour leur action d'activation de biologie microbienne et des produits plus stables de manière plus espacée entre 2 et 4 ans. » 

Camille Peyrache

 

 
Dialogue  : Lors du colloque sur les sols organisés par la Serail le 15 décembre dernier, le pédologue, Yves Herody, a répondu aux questions du président de la Serail, Luc Veyron.

Un expert du sol partage son expérienceLuc Veyron : Doit-on travailler un sol maraîcher avant ou après une pluie ?

Yves Herody : « Chaque sol est particulier et pour répondre à votre question, il faudrait aller voir, creuser un trou, tester les agrégats. Le test du verre d’eau donne des indications précieuses. Faites des mottes de terre dans votre main et plonger les dans un bocal rempli d’eau. Plus elles se délitent rapidement, plus les agrégats du sol sont faibles. Le sol réagira donc mal à chaque pluie. Il faut donc adopter des pratiques qui vont renforcer la stabilité du sol par le développement de l’activité biologique intense avec des matières fermentescibles. Le mucus développé par l’activité biologique va opposer une résistance naturelle à l’effet de l’eau. »
L.V. : Deux parcelles côte à côte, l’une est marquée par l’érosion, l’autre non. Sur cette dernière, on pratique la culture d’engrais verts, est-ce que cela peut expliquer la résistance à l’érosion ?
Y.H. : « Les engrais verts sont un des meilleurs moyens pour stimuler l’activité biologique qui crée des mucus microbiens. C’est très structurant, mais l’effet est seulement saisonnier. Favoriser la biomasse microbienne est donc une bonne piste mais attention à ne pas créer un excès de matière organique car cela freine sa décomposition. Il vaut mieux des engrais verts qui développent des racines que des parties aériennes qui peuvent provoquer un engorgement de MO à décomposer. Il faut savoir que l’on arrête jamais l’érosion, on ne peut que la ralentir. »
L.V. : Que pensez-vous de l’effet du goutte-à-goutte sur le sol ?
Y.H. : « Les inconvénients du goutte-à-goutte sont plus grands que les avantages. Au fil de l’évolution, les plantes se sont dotées d’un système pour gérer l’alternance liée aux précipitations irrégulières. Avec l’irrigation en goutte-à-goutte en continu, la plante se met à refonctionner en mode archaïque, ce qui abaisse ses défenses immunitaires, d’où des plantes plus fragiles. Par exemple, pour obtenir une huile essentielle de bonne qualité, il faut créer un stress aux plantes afin qu’elles sécrètent cette huile essentielle. Une magnifique lavande surfertilisée et irriguée ne fait pas une huile essentielle de qualité. Avec le goutte-à-goutte, il faut donc créer artificiellement l’alternance entre des périodes sèches et irriguées pour ne pas fragiliser les plantes. »
L.V. : Sur certaines parcelles en maraîchage depuis longtemps, on peut avoir un sol fragilisé avec une présence parasitaire forte. Est-ce dû à des erreurs du maraîcher ou à un dysfonctionnement du sol ?
Y.H. : « On ne trouve jamais un équilibre parfait. Si la fatigue du sol arrive au bout de dix ans, c’est qu’il y a un problème. L’idéal en maraîchage serait un passage en prairie diversifiée avec des légumineuses pendant deux ans, tous les sept à huit ans, pour laisser reposer le sol. Les légumineuses ont une fonction anti-nématode. La rotation des cultures permet également d’éviter d’exporter toujours les mêmes éléments. Un engrais vert n’aura pas le même effet structurant qu’une prairie. » 
C.P.