Montagne : des pistes pour mieux soutenir l'agropastoralisme

Anne Castex, vous êtes directrice du Suaci Montagn'Alpes* et coordinatrice du projet Agropastom**. Expliquez-nous ce qu'est ce projet.
Anne Castex : « En 2015, les services agricoles et pastoraux des massifs français ont répondu à un appel à projet lancé par le Réseau rural national. Le but du projet était d'innover collectivement pour soutenir l'agropastoralisme comme économie territorialisée en montagne. Les travaux ont été réalisés dans le cadre de la mobilisation collective pour le développement rural (MCDR). D'envergure nationale, Agropastom concerne les Vosges, le Jura, les Alpes, le Massif Central, les Pyrénées et la Corse. Le Suaci Montagn'Alpes est le chef de file de ce projet dont les chambres d'agriculture, les services pastoraux des massifs et leurs représentants nationaux sont partenaires. Plus large, le comité de pilotage d'Agropastom associe aussi collectivités territoriales, services de l'Etat, Réseaux ruraux, Parcs naturels...
Les objectifs d'Agropastom étaient d'apporter un éclairage partagé entre acteurs agricoles et pastoraux sur les systèmes agropastoraux de montagne, leurs besoins, de repérer dans les massifs des initiatives innovantes et reproductibles. Et, au final, de dégager des pistes d'amélioration des soutiens financiers dédiés à l'agropastoralisme de montagne. Ce projet a permis de rapprocher acteurs agricoles et pastoraux des massifs. Il a apporté une connaissance améliorée et partagée des contextes pastoraux, qui sont très différents d'un massif à l'autre. »
Comment s'est articulé le travail ?
A. C. : « La première étape a consisté à analyser les soutiens actuels à l'agropastoralisme : mesures des plans de développement ruraux régionaux (PDRR), conventions de massif, Pac. Deuxième étape, le Suaci et ses partenaires (chambres d'agriculture et services pastoraux) ont fait le tour des massifs et auditionné quelque 250 personnes pour identifier les besoins et repérer des initiatives innovantes (voir ci-...) en termes d'organisation, de pratiques, de politiques. Nous avons en outre référencé les démarches de valorisation des productions : IGP, AOP, labels rouges, marque d'estive. Un constat : rares sont celles qui ont des critères pastoraux dans leur cahier des charges. Par ailleurs, nous avons tenté de référencer sur une carte interactive des offres touristiques en alpages. Elles ne sont pas exhaustives mais il y en a déjà un certain nombre. La troisième étape a été une phase d'étude en groupes de travail (une dizaine) sur trois thématiques : les moyens de fonctionnement du pastoralisme ; l'économie et les filières ; les politiques publiques. »
A quels types de propositions a abouti Agropastom ?
A. C. : « Il en ressort des propositions partagées entre les différents massifs, qui sont rassemblées dans un document. Chacun va essayer de les porter à son échelle et selon ses enjeux. En termes de politiques publiques, est sollicitée la reconnaissance de toutes les surfaces pastorales au titre de ressource pour l'alimentation des troupeaux. L'accent est mis aussi sur la connaissance des espaces pastoraux, l'amélioration de leur fonctionnement (animation des collectifs, équipements tels qu'accès, cabanes, contention, eau...) et la reconnaissance des aménités rendues (entretien du paysage, conservation de milieux ouverts, de la biodiversité...). Pour ce qui est de la prédation, il est souhaité que le ministère de la Transition écologique et solidaire en supporte le coût. Concernant l'économie et les filières, il est proposé de mieux soutenir la production en alpages. Par exemple, en zones laitières, les coopératives peuvent l'inciter en allant la collecter, en la valorisant mieux... Il est également suggéré d'aider les démarches collectives de produits telles que "l'agneau d'alpage" dans l'Isère. »
Quelles suites peuvent être données ?
A. C. : « Le document de synthèse du projet Agropastom peut constituer une feuille de route pour faire reconnaître les activités agropastorales des massifs et mieux les accompagner. Il pourra servir de référence et de base pour des travaux complémentaires, notamment sur la gestion sanitaire au sein des organisations collectives ou la valorisation des produits issus du pastoralisme...
Les partenaires du projet ont appris à se connaître et vont continuer à travailler ensemble. Ils l'ont déjà fait en début d'année pour le guide sur les prorata des surfaces pastorales : en plus des acteurs agricoles classiques (APCA***, FNSEA), le réseau pastoral était autour de la table. Autre exemple, le groupe national montagne de l'APCA a proposé d'associer au moins une fois par an les services pastoraux à ses travaux s'il y a des problématiques spécifiques. »
Propos recueillis par Annie Laurie
* Le Suaci Montagn'Alpes (service d'utilité agricole à compétence interdépartementale) est composé des chambres d'agriculture Savoie Mont-Blanc, de l'Isère et, depuis 2014, de la Drôme.
** Projet financé par le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, le Réseau rural national et l'Union européenne.
*** APCA : assemblée permanente des chambres d'agriculture.
Repères
- En France ont été déclarées pour la Pac 2015 :6 millions d'hectares de prairies permanentes admissibles à 98 %.
1,8 million d'hectares de surfaces pastorales admissibles à 68 %.
290 000 hectares de bois pâturés admissibles à 47 %.- Pastoralisme collectif :
Près de 1 500 collectifs d'éleveurs et 600 000 hectares sont recensés dans les massifs, soit l'équivalent d'un département français. En Drôme, c'est 61 collectifs pastoraux et 12 200 hectares. En Isère, c'est 93 groupements pastoraux et 46 000 hectares.
« Le pastoralisme collectif mérite qu'on le prenne en considération », souligne Anne Castex, directrice du Suaci Montagn'Alpes, avant d'ajouter : « Les surfaces pastorales contribuent entre 40 et 80 % à l'alimentation des troupeaux dans les systèmes que nous avons analysés sur nos massifs, à différentes périodes de l'année ».
Des initiatives innovantes
Dans le cadre du projet Agropastom, des initiatives innovantes ont été repérées dans les massifs lors des auditions réalisées. Par exemple, dans les Pyrénées, la production laitière en alpage (qui s'effondrait) a pu être relancée grâce au financement d'équipements de traite mobile (via le PCAE*). Dans trois vallées de ce même massif, une marque d'estive a été mise en place pour certifier l'origine des produits. Dans son PDRR**, la Région Aquitaine a réservé une enveloppe spécifique aux zones de montagne. Dans les Vosges, des agriculteurs sont fermiers-aubergistes sur la route des crêtes...* PCAE : plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles.** PDRR : plan de développement rural régional.