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Agronomie et génétique

Multiplication de semences : à la recherche de l'hybridation parfaite

Le mois d'août chaud et sec a donné du fil à retordre aux multiplicateurs de semences. Un métier peu ou mal connu où fines observations et connaissances agronomiques pointues s'allient au nom d'une meilleure génétique.
Multiplication de semences : à la recherche de l'hybridation parfaite

«Avant de faire des semences je produisais pas mal de légumes. Cela m'occupait toute l'année ». Francis Surnon, agriculteur à Charrette dans le Nord Isère a, depuis 2003, emboîté le pas à la multiplication de semences de maïs et de soja. « Je voulais diminuer la quantité de travail intense sur l'année. La multiplication de semences me mobilise de juin à septembre, ça me libère du temps pour le reste de mes activités à la ferme », explique l'éleveur de poules pondeuses et de bovins allaitants. « En parallèle, La Dauphinoise cherchait des producteurs de semences en bio. J'ai sauté sur l'occasion », précise-t-il.

Tous les ans, Francis Surnon fait appel à une quinzaine de jeunes castreurs recrutés par l’intermédiaire du groupement d’employeurs de la plaine de Faverges.

Des semences adaptées au territoire

C'est donc sur une dizaine d'hectares qu'il a semé cette année le BS 28, le nom donné par Pionner à sa semence de maïs bio. Ce sont les géants de l'industrie semencière qui, en lien avec les coopératives, vendent aux producteurs les semences de l'année, adaptées et issues de la sélection génétique. « Différents protocoles sont déterminés par les semenciers qui ont la génétique entre les mains. Le choix est fait en fonction de la technicité du réseau et des producteurs mais surtout de la précocité des semences. Ici, nous sommes dans une zone semi-tardive adaptée aux semences sélectionnées. Chacun des bassins de multiplication va pouvoir accueillir une variété déterminée selon un indice de précocité déterminé », explique Raphaël Comte, le responsable du pôle semences de la coopérative
La Dauphinoise. Côté producteur, « nous n'avons pas vraiment notre mot à dire, nous suivons les conseils de la coopérative qui nous accompagne, du semis à la récolte en passant par la castration (voir plus bas), une étape délicate et indispensable à la multiplication de semences de maïs », indique le producteur. Sur ses parcelles, c'est Raphaël Comte en personne qui l'accompagne. « Ces productions sont mises en place chez nos agriculteurs sur un principe de valeur ajoutée. Notre premier rôle, c'est d'aller chercher des contrats de prestation auprès des grandes marques qui opèrent au niveau du marché semences maïs, tournesol, blé tendre, comme RAGT, Limagrain... », souligne-t-il. « Le but, c'est que les agriculteurs aient toutes les cartes en main pour connaître parfaitement les variétés à multiplier, le calendrier qui va dicter toutes les opérations en parcelle pour pouvoir identifier précisément avec eux la bonne date, la bonne intervention sans nuire au rendement et à la qualité de la semence ».

Lors de la castration, les panicules de la variété femelle sont coupées afin d’éviter qu’elle ne s’autopollinise. Ainsi, elle pourra recevoir le pollen du mâle. Après la castration, les soies de la femelle vont recevoir le pollen du mal afin que l’hybridation puisse avoir lieu.

La castration : un geste déclenché au bon moment

Pour Francis Surnon, il a d'abord fallu bien comprendre le cycle de reproduction de son maïs. Cette plante monoïque porte à la fois les fleurs mâles et les fleurs femelles, placées à des endroits différents. « Elle est composée des deux sexes : la partie mâle représentée par la panicule à la cime de la plante qui émet le pollen et la partie femelle portée par l'épi avec une fécondation qui se fait par l'intermédiaire des soies. Tout l'enjeu pour réussir parfaitement l'hybridation entre le mâle sélectionné et le plant femelle est de supprimer l'organe mâle de la plante femelle pour éviter l'autofécondation, c'est-à-dire de couper sa panicule. C'est ce qu'on appelle la castration », explique le responsable semences à La Dauphinoise. Pour cela, il y a des dates clé à repérer. Il ne faut pas être présent trop tôt, ni trop tard au risque de voir la variété femelle s'autoféconder. « Ce n'est absolument pas ce qu'on recherche. Le rôle technique qu'on va avoir à la coopérative, c'est d'arriver à déterminer cette juste date d'intervention pour faire en sorte qu'on ne coupe pas trop tard quand la femelle aura déjà émis son pollen, mais pas trop tôt non plus pour ne pas nuire au potentiel de rendement de la plante. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'on aura une hybridation parfaite entre le mâle et la femelle. » Après un ou plusieurs passages de castration mécanique, Francis Surnon fait appel tous les ans à une quinzaine de jeunes castreurs recrutés par l'intermédiaire du groupement d'employeurs de la plaine de Faverges (Isère). Levés à 5h du matin pour être opérationnels dans la parcelle une heure plus tard, ils sont guidés par Léo Turc, chef d'équipe. « Allez, on ne traîne pas, on vérifie qu'on a bien enlevé toutes les panicules femelles. Chacun dans son rang, on avance, concentré ! » les motive-t-il d'un ton ferme. Certains se dirigent vers les sciences humaines, d'autres vers la psychologie, d'autres, très jeunes, ne savent pas encore quel métier jalonnera leur vie plus tard ... En attendant, ils ne vivent pas cette mission physique comme une corvée. « Moi, ce sont mes parents agriculteurs qui m'ont parlé de la castration. On est dans une zone céréalière où il y a beaucoup de maïs. Tous les ans, j'y retourne... ». Dans la parcelle de Francis, ça chante, ça « déconne », ça travaille bien sûr, le tout, sous le regard minutieux et bienveillant de l'agriculteur (voir vidéo). « Les vérifications vont durer trois jours, sous un soleil de plomb. Je compte 350 heures pour 11,5 ha sur la totalité de l'intervention », indique-t-il. Un travail long et fatigant concentré sur une semaine où rien n'est laissé au hasard. 
Alison Pelotier

 

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PROTOCOLE / Une fine connaissance des géniteurs

Cinq rangées de femelles et deux rangs de mâles, côte à côte. Cette année, le multiplicateur isérois a dû gérer un protocole en « 5-2 ». « Ici, le capital génétique du mâle a une très grande capacité à émettre du pollen, c’est pour cela que nous avons opté pour un plus grand nombre de femelles. Chaque future variété est déterminée par les contraintes de ses deux géniteurs. Si on est sur un mâle plutôt fragile on va renforcer sa présence sur la parcelle. On peut aussi se retrouver avec des protocoles en « 4-3 », avec plus de femelles que de mâles, si ces derniers sont un peu moins source d’abondance en pollen. On doit alors démultiplier la présence de femelles sur la parcelle pour assurer une bonne couverture », détaille Raphaël Comte. A contrario, il existe des femelles assez fébriles à être pollinisées. Dans ce cas, le producteur augmentera le nombre de mâles pour avoir une surdensité de pollen et donc forcer la femelle à accepter le pollen du mâle. Francis Surnon s’est formé sur le terrain au fur et à mesure des échanges avec La Dauphinoise. « Le plus important, c’est la parfaite connaissance des géniteurs. La phase de semis est une phase très délicate puisqu’on doit les synchroniser pour que la période de floraison soit parfaitement concordante entre le mâle et la femelle », résume l’agriculteur. « On va les accompagner dans la validation de la date clé de semis de la femelle et du mâle pour faire en sorte que lorsque les deux vont se mettre à fleurir on ait un parfait croisement entre les géniteurs. C’est une étape cruciale qui va déterminer toute la suite de l’acte de multiplication », reprend-il. En bio, la tâche se complique : il va falloir biner, désherber à l’aide d’une herse étrille ou d’une houe rotative. Une attention particulière sera portée sur les dates d’émergence de la pyrale du maïs afin d’y associer les bons moyens de lutte. « Au moment de la récolte, nous allons collecter que les épis des femelles. Pour savoir avec quelle justesse le processus d’hybridation a été conduit, soit nous ressemons dans une parcelle d’essai l’hybride obtenu, soit nous faisons réaliser des tests génétiques de chromosome ou d’ADN en laboratoire. Une manière d’être fixé et de connaître la réussite de l’hybridation plus rapidement », conclut Raphaël Comte. 
A. P.