Ne lâchez rien sur la fertilisation

La vigne est une plante pérenne conduite non pas à son maximum de production mais à un optimum, obtenu par instauration de stress modérés, notamment en eau et en azote. « Ce recours à l'instauration de stress rend difficile un pilotage fin de la fertilisation, pilotage qui doit être conduit sur deux échelles de temps : d'une part le cycle annuel avec in fine la production de raisins et la charpente végétative ; d'autre part, le cycle pluriannuel qui doit permettre la survie des ceps », a expliqué Jean-Pascal Goutouly, chercheur à l'Inra, lors de la dernière édition de Tech&Bio, à Valence, le 20 septembre dernier. Or, le cycle annuel dépend à la fois de l'état des réserves carbonées et azotées de l'année précédente, et de la fertilisation des années N et N-1.
Second facteur à prendre en compte : « La vigne est un système de culture complexe où deux génomes sont en interaction : celui du cépage et celui du porte-greffe, avec de multiples combinaisons greffon/porte-greffe, induisant des demandes de croissance et de développement variables, que l'on souhaite adaptés aux conditions de sols et de climats. Cela vient complexifier le suivi de croissance et de qualité, et bien entendu la fertilisation que l'on doit également mesurer au regard de l'environnement. »
Les racines, tributaires de la surface foliaire
Par ailleurs, il faut avoir en tête que la vigne démarre son cycle végétatif en utilisant ses réserves carbonées (sucres) et azotées essentiellement localisées dans les racines et le tronc. Par contre, l'absorption d'azote (nitrate) est un processus actif qui nécessite de l'énergie néo-formée, c'est-à-dire « non issue des réserves ». Or, jusqu'à 25 % de l'énergie issue de la photosynthèse peut être consacrée à la fonction d'absorption. « La capacité des racines à assimiler l'azote est donc tributaire de la surface foliaire qui doit être suffisamment installée pour exporter les premiers glucides vers les racines. Cette reprise de l'absorption ne démarre vraiment qu'à partir du stade 3-5 feuilles étalées. Toute fertilisation minérale à des stades plus précoces se révèle donc quasi inopérante. Il faut viser ce stade, avec de l'azote disponible : avant, c'est perdu, et c'est pour la nappe et l'herbe ! », résume Jean-Pascal Goutouly.
Enfin, pour être complet sur l'azote, il faut avoir en tête que l'élaboration du rendement se déroule sur deux années : les grappes qui vont croître l'année N résultent d'inflorescences dont les primordia floraux ont été initiés en N-1. Cette période courte s'étale entre deux et trois semaines avant la floraison N-1 jusqu'à la mise en dormance des bourgeons aux alentours de la véraison N-1 ; et elle reprend en année N, du débourrement au printemps jusqu'à la poursuite du développement de ces primordia à la floraison. « Le rendement est la somme du nombre de grappes (60 % du rendement) et du nombre de baies par grappe (30 %) et poids de la baie (10 %). Or les deux premiers facteurs sont élaborés en année N-1 », poursuivait-il. Ainsi, la récolte N+1 est en réalité dans les bourgeons dormants de l'année N.
Au-delà du stade 3-5 feuilles, la croissance se fait dans les différents compartiments de la vigne : au débourrement, c'est d'abord une phase de croissance des rameaux qui permettent l'installation foliaire et donc la relance de la photosynthèse qui permet un pic de croissance racinaire, « deux à trois semaines après que la surface foliaire se soit installée. En clair, l'absorption d'azote ne sera réellement efficace que si les feuilles sont opérationnelles, donc au stade 3-5 feuilles. L'absorption azotée permet alors d'exporter les sucres pour accompagner le développement végétatif d'abord, fructifère ensuite. À ce stade, l'élaboration des fruits prend le pas sur tous les compartiments (rameaux, racines, tronc) qui cessent de croître. Après la récolte, on assiste à une reprise de croissance racinaire qui permet de constituer les réserves de l'année qui seront utilisées en N+1 ».
De l'importance du chevelu blanc
Le fonctionnement racinaire est donc primordial dans l'élaboration du potentiel végétatif et du rendement. « On dit souvent que la vigne est résiliente car elle a des racines qui vont en profondeur. C'est vrai, mais il faut préciser que le maximum de chevelu racinaire se trouve dans les 50-60 premiers centimètres, là où se trouvent l'oxygène, l'eau, les bactéries qui transforment la matière organique. En profondeur, il n'y a pas d'oxygène et ce sont en réalité des racines de survie. Ce qui fait la vie, c'est donc le chevelu racinaire qui se trouve là où est la matière organique décomposée par les bactéries grâce à l'oxygène. Et ce qui absorbe, c'est le chevelu blanc, pas brun, qui a une durée de vie de quelques semaines et qui viendra à sa mort alimenter le pool de matière organique. »
Donc certes, la vigne peut résister à des contraintes hydriques. Mais le sol sèche d'abord dans les horizons supérieurs et les épisodes de sécheresse sont aujourd'hui plus fréquents voire plus longs, comme ce fut le cas en 2017. « On sèche plus tôt et plus souvent. Si, on lui retire en plus 50 % de surface à explorer avec de l'enherbement, le système racinaire qui se mettra en route en avril-mai le fera sur la place qu'il reste. Il ira en profondeur pour compenser, mais ce sera de la survie. Et sur les horizons superficiels, il aura moins de place. L'enherbement joue beaucoup sur la vigueur, d'où l'importance des apports de fertilisation azotée immédiatement mobilisables dès le stade 3-5 feuilles, en particulier avec ces stress répétitifs, leurs impacts sur l'initiation florale et, in fine, la baisse des rendements », a conclu Jean-Pascal Goutouly.
Céline Zambujo