« Ne lâchons rien sur les inégalités de genre »
Un séminaire sur le « genre, le travail et la ruralité » a été organisé sur deux jours, du jeudi 15 mai au vendredi 16 mai à la Cartoucherie de Bourg-lès-Valence.
Après des années de travail autour du genre, du travail et de la ruralité, le réseau Celavar Aura* s’est réuni pour partager ses expériences. Durant deux jours à la Cartoucherie, à Bourg-lès-Valence, près d’une centaine de participants ont assisté à des temps d’échanges autour de « l’égalité, des femmes et le pouvoir » et sur « les femmes et minorités de genres et la création d’activité en milieu rural ».
Des travaux de recherches...
Vendredi matin, une table ronde autour des « femmes créatrices d’activité au travail » s’est tenue en présence de Delphine Guilhot, accompagnatrice-formatrice, Paule Balayn, éleveuse drômoise membre des Dégeanreuses, Manon Caudron Fournier, doctorante, et Marie-Pierre Monier, sénatrice de la Drôme. Delphine Guilhot, autrice du mémoire de recherche « Quand les agricultrices sortent du rang, effets de genre et éthos professionnel dans l’agriculture » a résumé les processus qui ont alimenté les inégalités de genre dans le monde rural. La doctorante a abordé la complémentarité des sexes en agriculture qui, à travers l’évolution de l’agriculture, a renvoyé à un « idéal d’exploitation » caractérisé par « une taille moyenne des fermes de 30 à 50 hectares composées de deux unités de travail » et dont le « pilier serait la famille et le couple agricole ».
L’intervenante rappelle qu’avant d’obtenir le statut de conjoint-collaborateur, il existait les « participants aux travaux ». Jusqu’en 2006, pour bénéficier de ce statut, « il fallait être marié », précise Delphine Guilhot. Depuis 2022, ce statut est limité à cinq ans. Elle a nuancé le fait que dans les années 1970, 8 % des femmes étaient cheffes d’exploitation contre près de 30 % en 2020. Le nombre d'agriculteurs diminue et donc le ratio femmes/hommes dans le métier augmente. Manon Caudron Fournier a quant à elle défini le genre comme un « concept de division de l’humanité en deux catégories » pour « penser les rapports de pouvoir ».
Vendredi matin, une table-ronde autour des « femmes créatrices d’activité au travail » s’est tenue en présence de Delphine Guilhot, accompagnatrice-formatrice, Paule Balayn, éleveuse drômoise, Manon Caudron Fournier, doctorante, et Marie-Pierre Monier, sénatrice de la Drôme. ©ME-AD26
Pour sa thèse « Du tracteur au robot ? », elle a étudié les « Masculinities studies », des recherches sur la construction sociale de l’homme. « Le monde agricole hérite d’un modèle économique pensé autour d’un travailleur idéal, analyse l’intervenante. La présence des femmes va créer de nouvelles normes de genre, d’autres masculinités ». Elle a épinglé le rôle joué par les médias, la publicité des entreprises de mécanique agricole ou encore les concours de labours dans la construction sociale de « l’agriculteur idéal ».
...Aux témoignages de terrain
Delphine Guilhot a par la suite partagé les témoignages de cheffes d’exploitation. « Une agricultrice m’a expliqué qu’elle se cachait pour apprendre à conduire le tracteur craignant une disqualification, raconte-t-elle. Une seconde déplore le manque d’apprentissage de la conduite du tracteur en lycée agricole ». Paule Balayn, éleveuse et membre du collectif des Dégeanreuses, animé par le Civam de la Drôme, est quant à elle revenue sur son parcours. « J’ai eu du mal à trouver mes premiers stages et lorsque j’ai trouvé, certains de mes maîtres de stage se sont faits reprocher d’avoir pris une femme comme stagiaire, se rappelle-t-elle. Quand je suis devenue ouvrière en aquaculture, on m’assignait au tri, à l’emballage et à la distribution. Quand finalement, je suis devenue cheffe d’atelier, des hommes ont refusé l’offre de poste car ils ne voulaient pas être dirigés par une femme. Il fallait sans cesse se justifier, montrer que j’avais la capacité de réaliser les tâches. »
" Elle se cachait pour apprendre à conduire le tracteur "
Ces témoignages font réagir des agricultrices présentes dans la salle. « Mon, père, je le remercie. Il m’envoyait aux ateliers de maintenance et c’est grâce à cet apprentissage qu’aujourd’hui je me sens légitime », indique l’une d’entre elles. « Souvent, les femmes viennent avec des projets. Elles font ce petit pas de côté qui montre que les choses peuvent se faire autrement. Je vous invite à oser et à faire changer les choses », indique Véronique Simonin, sous-préfète de Die. Pour finir la matinée, place aux questions.
Une salariée de la Fédération nationale des cuma a ainsi demandé conseils pour davantage d’intégration des femmes dans le réseau. « Vous êtes un super outil pour agir et faire avancer les choses. Il y a la possibilité d’ouvrir la gouvernance aux femmes ou par exemple organiser des journées de découverte dédiées aux femmes », propose une participante. À l’image de cette table ronde, les deux journées de séminaires ont offert matière à creuser davantage les questions d’inégalités de genre dans l’agriculture.
Le rapport sénatorial de Marie-Pierre Monier
Marie-Pierre Monier a été co-rapportrice du rapport « Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité », publié en 2017.
Voilà une décennie que Marie-Pierre Monier représente la Drôme, les femmes et la ruralité au sénat. Elle a été co-rapportrice du rapport « Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité », publié en 2017. « Nous avons émis 70 recommandations au Gouvernement afin d’intégrer des problématiques spécifiques aux femmes au sein de son agenda rural, a-t-elle déclaré. Ne lâchons rien sur les inégalités de genre ». En effet, onze millions de femmes vivent en territoires ruraux en France. La sénatrice est revenue sur les freins identifiés dont : la mobilité, l’accès aux formations et aux études, les déserts médicaux et les violences faites aux femmes.
* L’association de coordination d'associations nationales qui contribuent à l'animation, à la formation et au développement local en milieu rural Auvergne-Rhône-Alpes et ses partenaires Crefad Loire et Auvergne, La Brèche, Ardear Auvergne-Rhône-Alpes, Civam Drôme, Le Parapluie, Les Tiers-lieuses, Starter.