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Anniversaire des 80 ans de la noix de Grenoble

Noix de Grenoble : doyenne des AOC fruitières

Obtenue par décret le 17 juin 1938, l’appellation noix de Grenoble est la première AOC fruitière décernée en France.

Noix de Grenoble : doyenne des AOC fruitières

La noix de Grenoble fête cette année ses 80 ans. « Et ce n'est pas rien, fait remarquer Yves Borel, président du Comité interprofessionnel de la noix de Grenoble (CING). Depuis 80 ans, l'appellation est le moteur de l'activité de toute une région : c'est une chance et une fierté partagée par tous les acteurs du territoire mais surtout une grande fierté pour les producteurs. » L'histoire commence en 1927 avec la naissance de la Fédération des syndicats de producteurs de noix de Grenoble, présidée par Paul de Montal. Le contexte est alors difficile avec une noyeraie vieillissante et malade et un marché américain conquis par la noix californienne. L'avenir est menacé mais l'association renouvelle les pratiques culturales tout en veillant à la préservation de la spécificité du terroir dans les négociations du commerce mondial. Moderne, l'action entreprise se soucie également du consommateur. Sous la houlette de Charles Debono, en 1937, un nouvel organisme associe négociants et producteurs tendus vers un but unique. Vu les efforts accomplis, l'AOC est conférée en juin 1938 à « la meilleure noix du monde ».

Une filière marquante

Dans un monde économique ultra-concurrentiel, qui plus est régi par les marques, une appellation d'origine protégée (AOP) est une propriété collective qui fait figure d'exception. « C'est une entorse à la libre concurrence », indique Claude Vermot-Desroche, président du réseau international d'indications géographiques « Origin ». Ce militant de la qualité, par ailleurs président du Comité interprofessionnel de gestion du comté, rappelle qu'une AOP est bien plus qu'une vitrine : c'est une véritable chance, un outil de différenciation qui se mérite et qui se paie. « Pourquoi les consommateurs sont-ils prêts à acheter du comté et à le payer à son juste prix, donc plus cher qu'une banale pâte pressée cuite ? Parce que c'est un produit de qualité supérieure que les gens associent à une culture et à un territoire. »
Le raisonnement vaut pour la noix de Grenoble. C'est d'ailleurs ce qui sera débattu lors de la table ronde sur les enjeux des appellation d'origine, organisée le 21 juin à l'occasion de 80 ans de l'AOP noix de Grenoble. Reconnue pour sa qualité et sa typicité, la doyenne des AOC fruitières marque depuis des décennies la culture locale, les paysages et l'économie agricole. Mais chez les acteurs du territoire - nuciculteurs, élus ou riverains -, cette évidence ne fait plus forcément consensus. Les uns se focalisent sur leur production, les autres s'interrogent sur un monde qu'ils ne connaissent pas ou plus. Un peu comme si le lien organique entre la noix et son territoire s'était distendu.

Le souffle de l'action collective

Pourtant, la noix de Grenoble a de quoi fédérer son territoire, tant sur le plan patrimonial que sociétal. « Une noix, c'est un fruit vendu brut, avec une coque : rien de plus naturel pour l'imaginaire des consommateurs », souligne Stéphanie Daghérir, spécialiste en communication et accompagnement marketing. Le produit répond à des attentes et des tendances de fond en termes de santé, d'alimentation durable et de communication narrative.
Pour la profession, répondre à cette attente nécessite de construire un discours fondé sur des valeurs, un récit partagé faisant la part belle au rêve mais aussi à l'explication des méthodes de travail. C'est là que l'affaire se complique. Car, comme souvent dans les productions végétales, « l'organisation de la noix de Grenoble est surtout basée sur l'économie directe, constate Sébastien Breton, directeur de l'Aftalp1. C'est une structure de coopération assez intégrée qui a plus mis l'accent sur la prise de parts de marché que sur l'action collective ». Ce qui pourrait expliquer la distension du lien au territoire. Pour les observateurs, il n'y a rien d'irrémédiable. « Les impératifs économiques imposent une vision à court terme et, notamment, un raisonnement à trois mois sur les marchés, concède Sébastien Breton. Par contre, si on veut qu'elle perdure, la production doit s'envisager sur le long terme. Et l'action collective permet d'inscrire le produit dans la durée. »
Yves Borel en est persuadé : « Pour l'avenir, n'oublions pas d'où nous venons, rappelons-nous les fondamentaux de l'appellation qui ont fait notre force et travaillons ensemble pour partager une vision stratégique commune et ambitieuse pour la noix de Grenoble ». Du haut de ses 80 printemps, l'AOP est mûre pour se construire une belle histoire. A plusieurs mains. 
Olivier Ellena et Marianne Boilève

1 Aftalp : association des fromages traditionnels des Alpes savoyardes.

Téléchargez les chiffres clés 2017 de la filière Noix de Grenoble

 

AOP Noix de Grenoble /  Une gouvernance originale

Obtenue par décret le 17 juin 1938, l’appellation noix de Grenoble est la première AOC(1) fruitière décernée en France, dans un paysage où seuls les produits viticoles bénéficiaient d’une reconnaissance. Cet événement est le résultat d’une démarche engagée par les producteurs de noix depuis le début du XXe siècle pour mettre sur le marché un produit de qualité. C’est aussi le point de départ pour une filière qui n’a cessé de se structurer afin de répondre à des enjeux commerciaux. Pour cela, elle s’est rapidement dotée d’un cahier des charges qui répondra, en 1996, aux exigences européennes de façon à obtenir cette année-là la reconnaissance AOP(2).
Non seulement pionnière, l’appellation se distingue aussi par l’originalité de sa gouvernance. En effet, la structure porteuse, le CING(3), réunit producteurs et metteurs en marché. La présence de ces deux collèges dans ce lieu d’échange et de concertation font la force de cet ODG(4). La présidence du CING est assurée alternativement par un producteur, Yves Borel aujourd’hui, et un metteur en marché qui lui succèdera.
Les acteurs de la filière sont animés par le même objectif qui est la notoriété et la protection de leur produit. Mais, au-delà des critères techniques et variétaux, avec la Franquette en chef de file et ses deux lieutenants que sont la Mayette et la Parisienne, la noix de Grenoble agrège une culture propre à sa vallée de production. Performances techniques, taille critique et identité culturelle sont autant de piliers sur lesquels la filière peut s’appuyer pour assurer sa pérennité. 
Isabelle Doucet
(1) AOC : appellation d’origine contrôlée. (2) AOP : appellation d’origine protégée. (3) CING : comité interprofessionnel de la noix de Grenoble. (4) ODG : organisme de défense et de gestion.

 

Innovation / Des machines au service de la qualité

« C’est la mécanisation qui a sauvé la vallée. » Yves Borel, président du CING, est catégorique. Sans les machines, la filière nucicole dauphinoise ne serait pas devenue l’un des fleurons de l’économie agricole locale. La plupart des grandes innovations remonte aux années 1950, lorsque les producteurs ont commencé à « bricoler » quantités d’outils « mieux adaptés à leur production en augmentation et aux impératifs d’un marché devenu plus concurrentiel »*. A l’époque, la récolte imposait de gauler et de ramasser les noix à la main, le plus vite possible et par tous les temps. En 1968, la première machine à secouer les noyers arrive des Etats-Unis : une révolution qui inspire de nombreux nuciculteurs.
Six ans plus tard, à Beaulieu, Maurice Rousset, alors simple artisan serrurier, construit son premier secoueur à câble, à la demande d’un voisin agriculteur. La machine sera diffusée à 1 500 exemplaires. Viendront ensuite les premières ramasseuses. « Nous avons fait des quantités de prototypes, puis nous avons repris le brevet d’un agriculteur et l’avons amélioré », se souvient le fondateur d’AMB Rousset. L’entreprise s’est par la suite lancée dans la conception et la fabrication de laveuses, de calibreuses, puis de séchoirs à air chaud… « La mécanisation a sauvé la noix et, surtout, sa qualité, confie Maurice Rousset. Les machines ont permis de résoudre les problèmes de main-d’œuvre, tout en fournissant un travail rapide, efficace et propre. » Grâce aux séchoirs, la production est également devenue plus régulière. Ce qui a encore renforcé la renommée de la noix de Grenoble sur le marché mondial. 
M. B.
* La noix de Grenoble - Une vallée et des hommes, Marion Carcano - Editions du Dauphiné libéré, 2007.