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Nuciculture

Noix de Grenoble : partager l’identité et les valeurs

Un débat avec des questions de fond pour le moment sans réponse a eu lieu à Chatte à l’occasion des 80 ans de l’AOP noix de Grenoble.
Noix de Grenoble : partager l’identité et les valeurs

Ce n'est pas parce qu'elle a 80 ans qu'elle est tirée d'affaire. L'AOC noix de Grenoble (devenue AOP en 1996) a fêté ses 80 printemps à Chatte, le 21 juin autour d'une conférence débat. « Nous devons avoir un devoir de mémoire, rappelle dès le lancement de l'évènement Yves Borel, président du comité interprofessionnel de la noix de Grenoble (CING). Cette AOP est notre mère à tous ». Les mots sont dits. Et même si elle représente environ 15 000 tonnes de noix, 60 millions d'euros qui bénéficient à toute une filière et à un tissu économique local dense, le président du CING regrette d'emblée que seuls 874 producteurs soient dans l'AOP. « Entre 200 et 300 n'en font pas partie. Cela pourrait créer à terme des difficultés à l'ensemble de la filière, alors que ces producteurs-là profitent de l'existence de l'AOP. »

Appartenance

Qu'est ce qui manque donc à cette AOP pour envisager avec sérénité les trente ans qui viennent ? Les dirigeants du CING avaient invité un certain nombre d'experts pour les éclairer, notamment Claude Vermot-Desroches, président du comité interprofessionnel de gestion du comté. S'appuyant sur son expérience franc-comtoise, ce dernier indique qu'il faut un sentiment d'appartenance autour du produit, au-delà des seuls producteurs. « Le produit n'appartient pas à ceux qui le font, ils l'ont simplement en dépôt vis-à-vis des générations suivantes. Les gens du territoire doivent également se l'approprier, même s'ils ne sont pas producteurs. Chez nous, le comté est devenu un moteur touristique et tous ceux qui habitent dans le massif en sont porteurs. » Un nécessaire partage des valeurs, de l'identité doit s'opérer. Situation acquise pour le comté, loin de l'être pour la noix de Grenoble.
« Partout, les invectives contre les producteurs montent tous les jours de la part des riverains, constate Yves Borel. Certains se plaignent de tout, des plantations, des traitements, de la pollution. Nous faisons la promotion de l'AOC par des panneaux, le lendemain ils sont tagués avec le mot poison dessus. Il y a un défi à relever ». Ces actes perturbent le quotidien des producteurs qui se sentent sur la sellette. Là encore, Claude Vermot-Desroches apporte son expérience. « L'acte agricole forme les paysages mais la profession doit désormais tenir compte du partage de l'espace. Les contestataires vous prennent pour cible parce que vous existez. Il faut travailler avec des experts pour pouvoir répondre mais également avec ces opposants. L'agriculture ne pouvant vivre seule dans le territoire, il faut les intégrer. Elle est obligée de discuter avec eux, notamment dans l'AOP dans laquelle les devoirs sont plus forts qu'ailleurs. »

Valoriser le produit

En matière de prix, Claude Vermot-Desroches s'étonne de l'absence de différence entre les noix en AOP et les noix du Dauphiné. « Ce qui est important dans une appellation, c'est de valoriser le produit mieux que les autres. L'homogénéité des prix est une vraie faiblesse pour la pérennité de l'AOP. Elle pourrait mourir dans vingt ou trente ans. » Selon Sébastien Breton, directeur de l'AFTAlp(1), « les différents cahiers des charges en Savoie ne bénéficient pas seulement aux producteurs mais aussi aux transformateurs et aux distributeurs en termes de rémunération. Mais pour cela, il faut se donner à la fois les moyens en communication dans le temps et en outils de connaissance du marché. » Thierry Arnaud, de Valnoix, estime qu'à l'export la noix de Grenoble se frotte à la concurrence et que, même si elle est reconnue comme étant goûteuse, elle est un peu petite et un peu chère. « Mais peut-être que nous avons trop communiqué envers les intermédiaires et la distribution et pas assez envers les consommateurs. »

Usurpation

La notoriété de la noix de Grenoble à l'étranger est importante à tel point que l'on trouve sous ce nom des noix provenant de Californie ! Une usurpation qui fait dire à Arnaud Rousset, constructeur de machines, « qu'elle est victime de son succès et que, pour le marché américain, c'est un type de noix. » Claude Vermot-Desroches s'en alarme : « Votre nom est donc en passe de devenir un nom générique, donc de ne plus rien valoir...» La communication est « essentielle dans un monde ultra-connecté, préconise Valérie Daguerir, consultante en communication. Informer, expliquer, puis faire venir et montrer sont des étapes nécessaires. L'industrie reprend souvent l'argument de la tradition dans ses communications. Vous avez les éléments pour cela. » Et l'experte d'expliquer que « le consommateur attend une transparence totale. Cette production sous signe de qualité crée une attente et une exigence de qualité constante et supérieure ».
Dans la filière, certains préconiseraient d'intensifier avec de nouvelles variétés plus productives. Bien sûr, le marché tire et il est tentant d'y céder. Mais Edouard Lynch, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Lyon, rappelle que l'appellation beaufort a connu ce même genre de débat dans les années 1980. C'est la tendance à la réduction, à la maîtrise de la production qui l'a emporté. Avec le succès que l'on connaît aujourd'hui. Jean-Claude Darlet, président de la chambre d'agriculture de l'Isère convaincu, propose « de préparer demain avec une noix d'élite, parfaite en qualité, en calibre, respectueuse de l'environnement. Cette noix ne devra pas être soldée tous les matins. Celle qui ne correspondra pas ne devra pas avoir l'appellation. Celle qui en bénéficiera devra avoir un prix différencié ». Les débats sont ouverts.
Jean-Marc Emprin
(1) Association des fromages traditionnels des Alpes savoyardes.