Noix : le carpo perd la boule

Il faut bien connaître ses ennemis, même si ce sont des papillons. C'est la démonstration de maître qu'a faite Larry Gut, chercheur à l'université du Michigan aux Etats-Unis, devant les nombreux participants à l'assemblée générale de la station expérimentale nucicole en Rhône-Alpes (Senura) à la maison familiale et rurale (MFR) de Chatte.
Etudiant depuis plus de 40 ans la confusion sexuelle, le scientifique a pu affiner l'utilisation des diffuseurs de phéromones pour en diminuer le coût. A commencer par la quantité diffusée. Deux approches sont développées : « La méthode compétitive est basée sur l'idée que le mâle va aller vers la phéromone plutôt que la femelle. La méthode non-compétitive consiste à saturer l'environnement de phéromones pour affoler le mâle », explique-t-il. Si la seconde méthode paraît plus agressive, il en faut plus pour impressionner le carpocapse... qui continuera de s'accoupler. Selon le scientifique, la méthode compétitive est la plus adaptée et, de fait, les diffuseurs actuels de phéromones contiendraient trop de substances.
Il faut aussi réfléchir au moment de diffusion. Il est possible de régler l'écart entre deux diffusions du puffer. Souvent réglé sur 15 minutes, le chercheur estime qu'il peut être aussi efficace en diffusant une fois par heure... et pas tout le temps. « Un carpocapse ne s'accouple pas toute la nuit. On peut diffuser durant les premières heures et limiter ensuite la diffusion », explique-t-il. Enfin, il conseille de poser trois diffuseurs (puffers) à l'hectare ou 500 Ginko ring, pas plus placés dans la partie supérieure des noyers.
Insectes stériles
Moins de diffusion, moins de phéromones et moins nombreux à l'hectare... le résultat sera forcément moins coûteux pour les agriculteurs selon Larry Gut. Verdict validé par la salle. Mais tout cela fonctionne d'autant mieux que la population de départ dans une parcelle est faible. Une population bien installée réagira moins bien à la confusion sexuelle. Cette technique est aussi accompagnée de traitements chimiques, notamment juste avant le premier vol de carpocapses.
Si la confusion sexuelle est testée depuis l'an passé à grande échelle par la Senura, la station souhaite expérimenter une nouvelle technique déjà connue du chercheur américain : l'insecte stérile. En effet, les carpocapses peuvent développer des résistances aux traitements et ces derniers ne sont pas toujours applicables dans des parcelles en agriculture biologique. Déjà réalisé avec les moustiques, la technique de l'insecte stérile (TIS) consiste à irradier au cobalt des insectes, mâles ou femelles pour les rendre stériles. Les insectes sont ensuite relâchés dans les parcelles. « Au lieu de diffuser des phéromones, l'insecte devient directement le diffuseur », explique le chercheur. Pour mesurer l'efficacité de cette technique, il faut déjà évaluer le nombre d'insectes lâchés. « Il faut 40 insectes stériles pour un carpocapse sauvage. Mais on ne sait jamais combien on en a à l'origine dans un verger... ». Selon une étude menée au Canada, en lâchant entre 2 000 et 6000 carpocapses chaque semaine pendant 22 semaines, la chute du nombre d'insectes sauvages est drastique.
Passer les freins
Cette technique coûte entre 700 et 900 euros l'hectare. Encore une fois, le chercheur dispose de quelques cartes pour diminuer le coût. Par exemple, il a été étudié l'endroit le plus propice pour lâcher les insectes. Entre les quatre coins et le centre d'une parcelle, il est plus efficace de tous les lâcher au centre afin qu'ils se répartissent plutôt qu'aux quatre coins où la perte d'insectes allant vers d'autres parcelles sera plus importante. « Au centre, pour cinq hectares, c'est bon », précise-t-il. Ensuite, selon lui, rien ne sert d'en lâcher durant plusieurs semaines. Mieux vaut se centrer sur les périodes de vols. Mais qu'importe la technique, il sera impossible d'atteindre le zéro absolu.
Testée au Canada, la TIS fera son apparition en France en 2019. C'est le projet Carpotis et des essais devraient être organisés de 2019 à 2021. Le but est d'en mesurer l'efficacité mais aussi d'en évaluer les difficultés de mise en place. En effet, c'est une société canadienne qui irradie ces moustiques. Il faut donc prendre en compte un volet logistique pour le transport des insectes mais aussi réglementaire et environnemental car l'insertion d'insectes irradiés dans le milieu naturel n'est pas anodin.
Virginie Montmartin
Bilan / La Senura a dû faire face à une baisse des volumes et des prix de la noix en 2018.2018 : Une année moyenne pour la noix
Par rapport à 2017, les volumes récoltés étaient en baisse en 2018. Au total, 61 tonnes ont été produites par la station contre 72 tonnes en 2017 soit une perte de 15%. Un printemps pluvieux et un mois de juin chaud ont favorisé les gros calibres et la qualité des hybrides fut moyenne. « Le contexte géopolitique est aussi pesant avec des prix à la baisse », souligne Christian Mathieu, co-président de la Senura.Outre la baisse de qualité, il a aussi fallu gérer les nuisibles tels que des problèmes de tri engendré par le carpocapse. En 2018, le petit papillon a encore fait des dégâts. Agnès Verhaegue, responsable technique de la Senura a ainsi rappelé la différence entre prise et dégâts : « En 2014, on avait capturé 400 insectes et mesuré 15% de dégâts. En 2018, on a eu 94 prise mais plus de 33% de dégâts au centre de la parcelle ». La prévision des dégâts est donc difficile, et le développement de l'insecte, sans traitement est exponentiel. « Entre deux générations, le nombre d'insectes peut être multiplié par sept ».Les élus présents ont rappelé l'importance de la noix dans le territoire, autant d'un point de vue touristique que paysager. Jean-Claude Darlet, président de la chambre d'agriculture de l'Isère, est aussi revenu sur les enjeux de l'irrigation pour la filière après une météo seche et tardive à l'automne 2018.VM