Noix : le renouvellement des vergers à l’heure du changement climatique
Pépinoix et les pépinières Payre ont récemment fusionné pour devenir leader de la production de plants de noyers greffés en Isère sur un marché en pleine évolution.

C’est un marché de niche qui évolue nettement depuis une dizaine d’années. Même au cœur de la zone AOP noix de Grenoble, la production de plants de noyers greffés telle que la conduit aujourd’hui Sébastien Desbrus n’a plus rien à voir avec ce que faisait son père. A la tête de Pépinoix, désormais fusionné avec les pépinières Payre rachetées il y a trois ans, le pépiniériste observe que la franquette, variété star de l’appellation d’origine, perd chaque année du terrain : elle ne représente plus qu’un tiers des ventes. Face à elle, une concurrente redoutable, la fernor, celle-là même dont l’éventuelle candidature suscite de si vifs débats au sein du Comité interprofessionnel de la noix de Grenoble (Cing).
Retour sur investissement
La tendance n’est pas nouvelle, mais elle s’accentue. « On sent un changement de génération, explique Sébastien Desbrus, devenu leader du marché en Isère. Avant, nous produisions des plants pour le long terme. Aujourd’hui, les producteurs de noix ont tendance à se segmenter : ils souhaitent un retour sur investissement rapide. Les plus novateurs n’hésitent pas à arracher leurs arbres pour replanter des jeunes vergers. » Et quand les nuciculteurs replantent, beaucoup optent pour des arbres plus performants et bien plus rentables que les traditionnelles franquettes ou parisiennes inscrites dans le cahier des charges de l’appellation. C’est ainsi que la fernor est devenue numéro un des ventes de Payre auprès des professionnels isérois.
Avantagée par sa mise à fruit rapide (5 à 7 ans) et sa productivité élevée, la fernor séduit par la tardivité de la floraison, sa fructification sur brindilles latérales et la bonne qualité de ses cerneaux. Le succès de la lara s’explique sensiblement de la même façon. Dégagées des contraintes de l’AOP, ces deux variétés peuvent par ailleurs être plantées avec une densité bien plus élevée (200 arbres à l’hectare contre 100 pour la franquette), ce qui accroît d’autant la rentabilité des parcelles. A cette logique économique s’ajoute un argument technique : le développement des vergers en haie fruitière. Les arbres étant moins hauts, ils résistent mieux au vent et supportent une taille mécanique.
Le renouvellement des vergers peut également passer par des variétés un peu moins connues, et sans doute mieux adaptées au changement climatique en cours. Sébastien Desbrus préconise notamment les variétés ferbel (mise à fruit très rapide) et ferouette, deux hybrides issus des travaux de l’Inra, qui présentent l’intérêt de produire des fruits de gros, voire très gros calibres. Et de réserver sans doute de bonnes surprises sur le plan sanitaire. Un verger de ferouette est récemment entré en production en Isère : aucun problème sanitaire n’a été constaté, malgré des traitements réduits à la portion congrue. Le catalogue du pépiniériste propose aussi des plants de chandler, une variété californienne, qui aime les terrains chauds et secs, tout en se prêtant facilement à une conduite intensive.
Diversification
Autre piste intéressante : le noisetier. Sentant le marché de la noix chahuté par le changement climatique autant que par la concurrence internationale, les pépinières Payre jouent la carte de la diversification en se lançant dans la production de plants de noisetier de table, certifiés CTIFL comme les noyers. « Nous allons monter en puissance l’an prochain, car nous sentons une dynamique », confie Sébastien Desbrus. Reste à convaincre les professionnels de la vallée.
Marianne Boilève
Technique : une production sous haute surveillance
De l’obtention du porte-greffes à la mise en terre des jeunes arbres, la production de plants greffés de noyers est 100% iséroise et rigoureusement conrôlée.
Situées au cœur de la zone AOP Noix de Grenoble, les pépinières Payre sont l’un des cinq spécialistes français de la production de plants de noyers fruitiers. Elles produisent chaque année 500 000 plants greffés. L’activité est désormais regroupée sur le site de L’Albenc, au sein d’un bâtiment ultra-moderne de 5 800 m2, où s’effectuent la production des porte-greffes ainsi que les opérations de greffage, de sélection et de commercialisation. Les jeunes plants grandissent en plein champ, dans
60 hectares de pépinières.
« Pour faire un noyer, il faut trois ans, rappelle Sébastien Desbrus. La première année, en février-mars, on sème les noix de variété Lozeronne qui vont donner les porte-greffes Juglans Régia. Nous produisons également des porte-greffes hybrides, plus vigoureux et plus tolérants aux maladies, pour greffer les arbres ou pour réaliser des plantations de noyers forestiers. » En fin d’année 1, les semis sont arrachés pour être greffés sur table selon la méthode Cadillac* avec des greffons issus des vergers de pieds-mères (certifiés Inra-CTIFL), recoupés chaque année de façon à obtenir les bois de l’année destinés aux greffes.
Sélection rigoureuse
La sélection est rigoureuse. « Les porte-greffes sont triés un par un : ceux qui sont trop petits ou qui présentent un défaut sont systématiquement écartés », indique Sébastien Desbrus. Ils sont ensuite légèrement taillés avant d’être lavés et désinfectés à l’aide d’un fongicide afin d’en assurer la qualité sanitaire. Le greffage s’effectue entre mars et avril puis les plants sont installés dans des bacs palette, sur un support de sciure, et placés en chambre chaude pendant quelques semaines, le temps que la greffe prenne. « 100 % des greffages sont effectués chez nous, y compris le forçage, précise le pépiniériste. Et nous sommes contrôlés à toutes les étapes de production par le CTIFL : c’est à cette condition que nous obtenons les étiquettes de certification. »
En mai, après vérification des cals de cicatrisation et élimination des pousses du porte-greffe, les jeunes plants sont repiqués en pleine terre.
« C’est un passage délicat, surtout avec le changement climatique », souligne Sébastien Desbrus qui, à la différence de son père avant lui, est désormais
« obligé d’irriguer ». Les arbres restent ensuite deux ans en pépinière. Les arbres destinés à être commercialisés sont arrachés entre novembre et mars. Les plants sont alors triés, mis en paquets, cerclés, installés sur des palettes et stockés en chambre froide, sous atmosphère contrôlée. Avant d’être replantés dans leur futur verger.
M. B.
* Taillé en biseau, le greffon est inséré dans une incision au niveau du collet du porte-greffe.