" Nous sommes l'une des régions qui a le plus subi la crise "

Pendant le confinement les agriculteurs se sont adaptés à une crise sanitaire hors du commun. Comment les services de la Draaf les ont-ils accompagnés dans la continuité de leur travail ?
Michel Sinoir : « Pour la Draaf et les services de l'État en région, la priorité a été de mettre en place une méthode de concertation régulière avec les organisations professionnelles agricoles. Nous nous sommes réunis deux fois par semaine, puis maintenant une fois par semaine, en cellule de crise régionale téléphonique avec la chambre régionale d'agriculture, le conseil régional, l'ensemble des syndicats agricoles, l'industrie agroalimentaire ainsi que la coopération agricole régionale. Nous avons eu au moins une réunion avec la caisse de Mutualité sociale agricole (MSA), Pôle Emploi ainsi que la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). Ces échanges avaient deux objectifs : résoudre des problèmes très concrets en répondant le plus vite possible aux questions et faire remonter les problématiques identifiées par nos partenaires professionnels. Au début de la crise, le sujet principal abordé a été l'adaptation aux nouveaux modes de commercialisation. Le préfet de Région a pris l'initiative d'écrire à 1 500 magasins de la grande distribution pour faciliter la mise en marché de produits locaux. En Aura, nous avons largement utilisé la dérogation préfectorale pour continuer à ouvrir les marchés de plein vent. »
La situation a été différente selon les filières, certaines touchées plus que d'autres...
M.S. : « Oui, en effet la situation a été très variable selon les filières. C'est pour cela que nous avons eu besoin de les " rencontrer " une à une. Pour le lait, le souci, c'est que la crise a coïncidé avec le pic printanier de collecte. Il a vite fallu trouver une solution pour baisser la collecte et éviter que le pic se traduise par trop de produits, puisque les flux d'export étaient à l'arrêt. Pour les produits haut de gamme, comme les fromages AOP, cela a été une perte sèche très importante car en général ce sont des produits plutôt festifs ou positionnés sur le secteur du tourisme, lui aussi à l'arrêt. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que tout au long de la crise, le basculement de la consommation a été brutal. Du jour au lendemain la restauration hors foyer a été arrêtée, il a fallu s'adapter à cette nouvelle donne. L'agilité des filières agricoles et agroalimentaires a été remarquable. La leçon qu'on tire de cette crise, c'est que malgré l'arrêt brutal de la restauration hors foyer dans une région qui pèse 8 millions d'habitants, nous n'avons pas connu de rupture de chaîne d'approvisionnement. Nous sommes la région française qui a le mieux maîtrisé sa production mais aussi l'une qui a le plus subi la crise. »
En dehors de l'appui aux agriculteurs, quelles autres problématiques inhabituelles avez-vous dû gérer dans l'urgence ?
M.S. : « Pendant la crise il a fallu s'occuper des conseils aux employeurs pour les entreprises agroalimentaires, résoudre des problèmes de masques, d'emballage, de stockage froid. A ce jour, 350 tonnes de Saint-Nectaire de plus que d'habitude sont congelés dans les frigos. Il a aussi fallu rencontrer les banques. Nous avons organisé tout cela en relation très étroite avec les organisations professionnelles et le conseil régional. Aujourd'hui, les agriculteurs attendent surtout le retour des saisonniers, la réouverture de la restauration commerciale et de l'activité touristique, très puissantes dans notre région. Grâce au déconfinement, nous commençons à enregistrer des signaux, si ce n'est de retour à la normale, de sortie de crise. Nous avons malgré tout dans plusieurs domaines une nécessité de rétablir des conditions de rémunération plus favorables qu'actuellement pour les producteurs. »
Quelles aides l'État et l'UE ont-ils accordé ou accorderont-ils aux agriculteurs ?
M.S. : « En dehors du recours au fonds de solidarité et au chômage partiel, priorité de l'État pour préserver l'emploi, un ensemble de mesures de marché qui s'inscrivent dans le cadre de la politique agricole commune (Pac) ont été adoptées fin avril. Elles consistent pour l'essentiel à des aides pour le stockage privé destinées aux entreprises agroalimentaires qui stockent du lait ou de la viande dans des frigos de congélation pour une certaine durée et au recours à l'article 222 de l'Organisation commune des marchés (OCM) qui permet de déroger au droit de la concurrence à titre temporaire. C'est ce qui permet, par exemple, dans la situation actuelle, à l'interprofession laitière de soutenir la baisse de production de 10 millions de litres de lait. »
Comment la reprise des contrôles en exploitations va-t-elle se passer ?
M.S. : « Les contrôles ont déjà repris mais de manière très progressive. Les contrôleurs reviendront pleinement dès le mois de juin. Dans une région comme Auvergne-Rhône-Alpes où la Pac pèse quelque 1,15 milliard d'euros, ces contrôles sont indispensables pour permettre le paiement des aides et les agriculteurs le savent bien. Retenez que la plupart des taux de contrôle liés à la Pac diminueront de moitié en 2020. »
De quelle manière les formations agricoles vont-t-elles se poursuivre ces prochaines semaines ?
M.S. : « La situation pour nous est assez complexe puisque chacun de nos établissements est un mini campus, c'est-à-dire qu'on regroupe éventuellement des collèges (4e et 3e), des lycées, de l'apprentissage et de la formation pour adulte. Dès le 11 mai, une partie des CFA ont rouvert et cela va continuer jusqu'à la semaine prochaine. Les 4e, les 3e , les lycées ainsi que les internes rentreront à partir de début juin mais évidemment pas dans les conditions ordinaires. Nous allons profiter de cette semaine pour mettre en place le nécessaire à la sécurité sanitaire. Nous donnerons une latitude aux établissements pour qu'ils l'adaptent à leur réalité. Les consignes sanitaires devront être, quoi qu'il arrive, scrupuleusement respectées. »
Propos recueillis par Alison Pelotier