Œufs contaminés au fipronil : « les éleveurs sont les premières victimes »

Philippe Juven, dans quelle mesure la France est concernée par la crise des œufs contaminés au fipronil ? Notre région est-elle touchée ?
P . J. : « En France, au 18 août, 58 entreprises françaises étaient recensées comme ayant reçu des œufs ou des ovoproduits contaminés au fipronil. 16 sont des établissements de transformation, principalement situés à proximité de la frontière belge ou de grosses entreprises complétant habituellement leur approvisionnement sur le marché international. Notre région compte peu d'entreprises d'ovoproduits. Au plan national, sont aussi concernés quarante grossistes et deux centres de conditionnement : un ayant calibré des œufs pour une entreprise belge et un travaillant à façon pour Leader Price (groupe Casino). Ce hard discounter, qui se fournit dans d'autres pays européens pour le marché français, a retiré des œufs néerlandais de ses magasins.
Côté production, un aviculteur du Pas-de-Calais a spontanément prévenu les autorités compétentes de l'utilisation de Dega 16 par son intégrateur (belge) dans son élevage, lors d'opérations de désinfection de ses bâtiments. Les analyses alors effectuées ont confirmé la présence du fipronil mais aucun œuf de cet élevage n'a été mis sur le marché. »
A-t-on une idée de l'impact de cette fraude sur la filière et la consommation d'œufs ?
P. J. : « Il est encore trop tôt pour le savoir. L'activité est un peu réduite en période estivale. Cependant, les études montrent que 99,9 % des ménages achètent des œufs français. La distribution joue le jeu. »
La gestion de cette crise vous satisfait-elle ?
P. J. : « Les Pays-Bas ont tardé à donner l'information, surtout en France (ils l'ont fait plus rapidement en Allemagne). Ce n'est pas normal. On ne peut accepter des délais aussi longs car ils rendent difficiles les opérations de retrait des produits. Par contre, le réseau d'alerte européen a très bien fonctionné puisque tous les autres pays ont été informés.
Comment réagit la profession ?
La France est autosuffisante en œufs et dispose d'une gamme de produits assez large. Notre filière est proactive, elle peut répondre à la demande. Et notre système d'enregistrement des pratiques d'élevage, de traçabilité permet de réagir rapidement en cas de problème. Je pense qu'il faut préserver notre production, privilégier l'œuf français. Mon message, c'est : "Mangez français, on vous garantit la traçabilité et le choix".
Nous avons aussi une marque, Œufs pondus en France", avec un cahier des charges que s'engagent à respecter les différents maillons de la filière. Il en existe une autre, "Œufs produits en France", pour les ovoproduits. De plus, en début d'année, a été lancé le projet d'une marque "Œufs de France" comme il en existe déjà pour d'autres produits agricoles. Cela avec un cahier des charges et des plans de contrôle complémentaires. Actuellement, chaque famille de la filière travaille sur ces plans de contrôle. La crise des œufs contaminés au fipronil montre bien l'intérêt d'une telle démarche de renforcement de la traçabilité. »
La filière française a-t-elle engagé une action juridique concernant cette fraude au fipronil ou prévoit-elle de le faire ?
P. J. : « Les entreprises concernées sont en train d'étudier ce point-là. Le CNPO communique tout au long de cette crise. Il va aller au devant des consommateurs et des industriels de l'agroalimentaire pour les informer sur les garanties de nos produits. Le comité intervient aussi auprès de la DGAL* et du ministère de l'Agriculture pour obtenir des informations sur les entreprises impactées. Des réunions se tiennent régulièrement entre la profession et la DGAL.
Qu'attend l'interprofession française de la part des autorités européennes ?
P. J. : « Nous demandons un meilleur fonctionnement - dans chaque pays de l'Union européenne - du système de surveillance et d'information, davantage de réactivité car une crise comme celle du fipronil est trop grave. La situation est dramatique pour les éleveurs touchés, dont la production doit être détruite et les poules abattues. Ils sont les premières victimes de cette fraude. »
Propos recueillis par Annie Laurie
* DGAL : direction générale de l'alimentation.
Fraude au fipronil / Retour sur les faits et gestion du problème.Le point sur la situation

Une enquête révèle que le Dega 16 a été utilisé dans 180 élevages aux Pays-Bas et 60 en Belgique. Les deux dirigeants de Chickfriend sont interpellés le 10 août. Des enquêtes sont aussi lancées pour identifier les livraisons d'œufs. Il en est retrouvé en Allemagne, Suisse, France, plusieurs autres pays européens et aussi à Hong Kong.
Grâce à l'alerte déclenchée au niveau européen, la France se met en veille active. Elle contacte notamment les autorités belges le 24 juillet pour avoir des compléments d'information. La première notification officielle concernant notre pays est émise le 5 août par les Pays-Bas via le RASFF. Dès lors, la DGAL met en œuvre des mesures de gestion du risque, sous la forme d'une information des entreprises concernées pour réalisation immédiate de traçabilité. D'autres Etats membres ont réagi avant car informés plus tôt par le biais du RASFF. Par exemple, le 30 juillet, les autorités allemandes ont retiré du marché les lots d'œufs provenant des Pays-Bas.Mesures prises en France
Des réunions régulières entre la DGAL et la filière (producteurs d'œufs, collecteurs, transformateurs et distributeurs) ont lieu pour faire le point sur la situation et coordonner les actions à mener. Une enquête auprès de tous les élevages de volailles a été lancée sur le territoire national afin d'identifier les éventuelles utilisations de Dega 16 falsifié. Si c'est le cas, des analyses sont réalisées. Et d'autres sont faites dans les établissements recevant des œufs ou des ovoproduits en provenance de Belgique ou des Pays-Bas.
Et les autorités françaises ont affiné les mesures de gestion sur le territoire national. Ainsi, une traçabilité aval systématique est demandée aux entreprises sur tous les œufs provenant des élevages contaminés recensés en Belgique et aux Pays-Bas. Elle est assurée sur les établissements d'ovoproduits et les fabricants d'aliments à base d'œufs et d'ovoproduits.* RASFF (rapid alert system for food and feed) : système d'alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux, un réseau européen mis en place en 1979.
Entreprises et produits concernés
Le 17 août, le ministère de l'Agriculture publie une première liste de 17 produits originaires des Pays-Bas vendus en France (gaufres, mini-gaufres) identifiés non conformes et retirés du marché car contenant du fipronil à une concentration supérieure à la limite maximale de résidus (0,005 mg/kg de produit). « Il est fortement probable que d'autres produits s'ajoutent à la liste , a ce jour-là observé Fany Molin, porte-parole de la DGAL, en conférence de presse. Et de préciser : « Les produits sont retirés du marché mais ne sont pas rappelés. Il n'y a pas de danger pour les consommateurs ». Aucun des produits jusque-là testés ne se situe au-dessus de la dose de référence aiguë (0,43 mg/kg) susceptibles « d'entraîner des troubles graves en cas d'ingestion de denrées contaminées ». Le dépassement de cette dose « obligerait le retrait du marché et le rappel des produits ».Le 19 août, la liste des produits contenant du fipronil passe à 20 références (et s'ajoutent des gâteaux à la frangipane). Cette liste est disponible sur le site internet du ministère (http://agriculture.gouv.fr/fipronil-liste-des-produits-retires-de-la-vente-en-france). S'y trouve aussi celle des entreprises recensées comme ayant reçu des œufs ou des ovoproduits contaminés (http://agriculture.gouv.fr/fipronil-point-de-situation-pour-les-professionnels).
L'Ania (association nationale des industries alimentaires), quant à elle, affirme dans un communiqué daté du 18 août que « les entreprises poursuivent les analyses » pour identifier la présence d'œufs ou d'ovoproduits provenant d'élevages contaminés par le fipronil.