Perte de l'ICHN, irrigation : dégager des pistes pour le Nord-Drôme

En Drôme des collines-Galaure, l'agriculture va être soumise à des contraintes nouvelles dont l'impact sera fort dans les prochaines années. Et ce, pour trois raisons : la révision des ZDS* ; le changement climatique qui accentue les problèmes de disponibilité de la ressource en eau et accroît les besoins de l'agriculture ; l'élaboration du Sage** Bas Dauphiné-Plaine de Valence 2021-2027 (porté par le Département), « qui va nécessiter des efforts significatifs de réduction des prélèvements d'eau par l'agriculture » à l'issue d'un moratoire.
Afin d'appréhender ces problématiques, la DDT a réalisé un diagnostic agraire de ce territoire. Le Département, lui, s'est lancé dans une modélisation de la nappe phréatique de la Molasse miocène Bas Dauphiné et l'élaboration d'un schéma d'irrigation en lien avec l'analyse des besoins en eau. Le 31 janvier à Claveyson, ces travaux ont été présentés aux agriculteurs, une fois le contexte replacé. La rencontre a réuni une centaine de participants.
Diagnostic agraire
Du diagnostic agraire réalisé par deux étudiants d'AgroParisTech ressort une grande diversité d'exploitations, de systèmes de production et situations économiques. Parmi les pistes d'adaptation suggérées : les ensilages au printemps (méteils) ou en été avec des espèces plus tolérantes à la sécheresse (sorghos), des retenues pour stocker les eaux pluviales de l'hiver...
Des agriculteurs ont alors réagi. On a pu entendre : « Où sont les solutions pour économiser 40 % d'eau ? C'est bien de faire des enquêtes mais on veut des moyens pour nous permettre ces économies d'eau ». « La nappe n'est pas en déficit quantitatif. Tous usages confondus, le volume prélevé correspond à 13 % du volume infiltré annuellement ». « On m'interdit de faire un forage qui permettrait de faire vivre mon exploitation. Alors que mon voisin, un particulier, arrose son gazon, remplit sa piscine avec un forage »... Barbara Dzialoszynski, responsable du service gestion de l'eau du Département, a répondu : « Aujourd'hui, on ne va pas vous donner la solution. On est là pour vous dire ce qu'on fait, que des gens cherchent des solutions. » Et d'ajouter : « A l'échelle du Sage, on va œuvrer pour qu'il n'y ait pas de nouveaux forages domestiques ».
Modélisation de la nappe
La modélisation de la nappe de la Molasse miocène Bas Dauphiné est destinée à déterminer les volumes d'eau souterraine disponibles pour les différents usages (agricoles, industriels, eau potable). Cela en prenant en compte les échanges nappe-rivières et les modalités de recharge, les débits d'objectif d'étiage et niveaux piézométriques d'alerte. Mais aussi en intégrant les projections sur le changement climatique. Sur le principe, un modèle informatique retranscrit l'écoulement des eaux souterraines et superficielles. Le but est de comprendre les processus naturels, d'expliquer leur fonctionnement et de prévoir leurs comportements.
Schéma d'irrigation
L'élaboration d'un schéma d'irrigation vise à formuler des propositions concrètes pour les prélèvements en eau destinés à l'irrigation agricole d'ici 2022. Il passe par un état des lieux en 2019-2020 (pour avoir une connaissance fine des points de prélèvements, volumes, surfaces, ouvrages) et une analyse des besoins. En outre, un inventaire des sites potentiels de retenues d'eau doit être réalisé cette année. Sont prévues l'étude de pistes de travail (2020-2021) concernant la mobilisation de ressources de substitution ou de diminution possible de prélèvements, puis des propositions de scénarios (2021-2022).
Dans l'attente des résultats de la modélisation de la nappe et des propositions du schéma d'irrigation (délai de trois ans), un moratoire interdit tous nouveaux prélèvements en eaux superficielles et souterraines, exceptée la substitution. Il n'y a pas de baisse de prélèvements mais un plafond à ne pas dépasser.
Audits ZDS, MAEC...
A cette rencontre, a aussi été présentée la synthèse d'audits d'exploitations impactées par la perte de l'ICHN***, réalisés par la chambre d'agriculture, ainsi que CerFrance et Adice. But précisé par Christophe Delay, conseiller chambre d'agriculture : faire le point sur la situation actuelle, les perspectives, proposer un accompagnement dans la mise en place de nouveaux projets, des clés d'aide à la décision. La directrice de la DDT a conseillé aux agriculteurs les plus impactés de faire cet audit.
Par ailleurs, un projet régional agro-environnemental et climatique (PAEC) pour les territoires sortant du classement ZDS est en cours d'élaboration. Selon Jean-Pierre Manteaux, conseiller chambre d'agriculture, deux mesures (MAEC système polyculture-élevage herbivores concernant les prairies) semblent « intéressantes pour certains élevages ». La chambre d'agriculture prévoit une réunion spécifique avant la période de déclaration Pac.
Ce futur dispositif « pourrait réduire un peu l'impact de la perte de l'ICHN et faire partie du bouquet de solutions », a observé la directrice de la DDT. De son avis, pour maintenir l'élevage, « il faut aussi penser aux circuits courts, à la restauration collective ». Là, Jérôme Leroy (Parnans) a apporté son témoignage. Lui et d'autres éleveurs du Nord-Drôme ont créé la SARL « La viande d'ici » en 2019. Via celle-ci, ils vendent en direct des carcasses à deux magasins U (Romans et Chatuzange-le-Goubet). Par rapport au cours actuel de la viande, ils obtiennent « entre 0,80 et 1 euro de plus » par kilo. Et, cette année, ils se lancent dans le steak haché surgelé pour la restauration collective.
« On espère apporter des clés mais il faut aussi que ça vienne de vous, a conclu la directrice de la DDT en s'adressant aux agriculteurs. Avec la chambre d'agriculture, on est là pour vous aider à prendre les bonnes décisions. Il faut poursuivre la réflexion au niveau individuel et plus global. Aujourd'hui, c'est un point d'étape. On reviendra vers vous pour vous informer, éclairer vos choix. »
Annie Laurie
ZDS * : zone défavorisée simple.
Sage ** : schéma d'aménagement et de gestion de l'eau.
ICHN *** : indemnité compensatrice de handicaps naturels.
Drôme des collines-Galaure /Le contexteLa révision des ZDS se traduit par une perte progressive de l'ICHN sur 21 communes drômoises (51 exploitations impactées), dont 13 dans le nord du département (42 exploitations impactées dont 10 perdant plus de 10 000 euros par an), chiffres donnés par Dominique Chatillon, chef du service agricole de la DDT, à la rencontre de Claveyson.
Concernant l'eau, les bassins versants Galaure et Drôme des collines sont en déséquilibre quantitatif sur la ressource provenant des cours d'eau, a rappelé Basile Garcia, chef du service eaux, forêts, espaces naturels de la DDT. L'objectif est de retrouver un bon état écologique des masses d'eau à échéance fin 2027. Une étude sur les volumes prélevables (2009 à 2012) a conclu à la nécessité de réduire de 40 % les impacts. Depuis, les prélèvements pour irrigation ont déjà baissé de 17 % (grâce au pilotage de l'irrigation, aux matériels utilisés, changements de cultures). « Pour arriver à 40 %, il va falloir travailler sur les économies, substitutions, retenues d'eau en positionnant les territoires sur une trajectoire de réduction des prélèvements pour tous les usages. »A. L.