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Expérimentation

Pièges à nitrates : des couverts d'interculture à l'essai

La chambre d'agriculture et un agriculteur testent différents couverts d'interculture à proximité du captage d'eau potable de Bourg-lès-Valence. Limiter la fuite des nitrates dans la nappe phréatique est l'un des objectifs de cet essai qui était au programme des visites de ce Tech&Bio.
Pièges à nitrates :  des couverts d'interculture à l'essai

Bourg-lès-Valence (commune de 19 000 habitants et quatrième ville de la Drôme) s'approvisionne en eau potable via le captage des Combeaux, situé au nord-ouest de son territoire. Le bassin d'alimentation de ce captage (en gestion communale) est en partie agricole. Il était majoritairement arboricole jusqu'en 2006-2007. Mais, pour des raisons sanitaires (sharka) et économiques, les systèmes d'exploitation se sont par la suite orientés vers les grandes cultures et les semences (maïs et tournesol).
La commune avait été confrontée a des teneurs en nitrates élevées dans son eau potable au début des années 1990. Ensuite redescendues, elles sont restées longtemps entre 30 à 40 milligrammes par litre (mg/l). Mais elles sont remontées à partir de l'automne 2012, jusqu'à grimper au-dessus des 50 mg/l. Or, la réglementation (norme européenne) n'autorise pas le dépassement de ce seuil ; la préfecture peut accorder une dérogation mais pour trois ans maximum.

Le choix de la lutte préventive

La commune de Bourg-lès-Valence se devait, donc, de trouver une solution pérenne. Deux possibilités s'offraient à elle. Elle aurait pu remettre en service sa station de dénitrification (à l'arrêt depuis plus de dix ans). Mais son coût de fonctionnement étant élevé (mobilisation de deux salariés en permanence), la facture d'eau aurait été plus « salée ». De surcroît, les teneurs en nitrates ne justifiaient pas son utilisation. Et, enfin, la dénitrification donne mauvais goût à l'eau. La commune a finalement optépour l'autre solution : la lutte préventive contre la pollution diffuse. En plus, ce captage devrait figurer parmi les captages prioritaires du futur Sdage(1) 2016-2021. D'où une obligation de moyens et un engagement volontaire d'une majorité d'agriculteurs du bassin d'alimentation du captage.
Pour envisager comment améliorer durablement la situation, la commune de Bourg-lès-Valence a sollicité la chambre d'agriculture. Cette dernière a établi un diagnostic de la situation et conseille les agriculteurs concernés en termes de fertilisation à la parcelle.

Des mélanges semés cet été

Concrètement, la démarche s'est traduite par la mise en place d'une expérimentation, cet été. Une parcelle située dans le périmètre de protection du captage des Combeaux et cultivée par Philippe Baugiraux en est le théâtre. L'essai est suivi par deux conseillers de la chambre d'agriculture : Mikaël Boilloz (légumes et grandes cultures) et François Dubocs (grandes cultures), ce dernier assurant l'animation de ce captage. Il s'agit de tester différents couverts d'interculture destinés à piéger les nitrates mais aussi restructurer le sol (effet décompactant des racines pivots) et limiter le recours aux engrais azotés grâce à l'effet engrais vert des mélanges à dominante de légumineuses.
Sur les deux hectares accueillant l'essai, un blé a été récolté début juillet. La culture prévue en 2016 sera du maïs. Après la moisson du blé, puis deux déchaumages (le 20 juillet et le 17 août), les couverts d'interculture ont été implantés (le 20 août) avec un semoir à céréales TCS(2). Un roulage a suivi.

Quatre groupes de couverts

Douze couverts sont testés (voir encadré ci-dessous). S'ajoute une bande dite « repousses » (non semée). Ces couverts se classent en quatre groupes, en fonction des bénéfices recherchés. Comportant notamment des crucifères, ceux du premier sont des mélanges uniquement à effet piégeant et restructurant. Dans le deuxième groupe figurent des mélanges à base de légumineuses fixant l'azote et en restituant pour la culture suivante (économie d'engrais). Dans le troisième, les mélanges font le compromis entre les effets « pièges à nitrates », « restructurant » et « fixation de l'azote ». Ils sont toutefois davantage orientés vers les deux premiers effets. Dans le quatrième groupe, les trois effets sont recherchés mais plus de poids est donné à la fixation de l'azote.

Suivi et mesures

Le reliquat azoté a été mesuré au semis des couverts sur deux horizons du sol (0 à 30 cm et 30 à 60 cm). Un comptage du nombre de pieds (pour évaluer la levée des plantes) est programmé en octobre. Sont encore prévus une mesure de la biomasse avant destruction des couverts et une analyse de leur teneur azotée. Et aussi une mesure, à la destruction des couverts, du reliquat azoté sur les deux horizons. Il est également envisagé d'évaluer l'effet des couverts sur la restitution azotée pour le maïs semé en 2016. Et ce, en mesurant sur chaque bande les reliquats azotés au semis du maïs et à sa récolte. Mais également en mesurant les rendements du maïs et en les comparant à ceux de la bande « repousses ».
Une visite de cet essai a été inscrite au programme du Tech&Bio (le 23 septembre), dans le cadre de son fil bleu. Une autre, en janvier prochain, devrait s'adresser spécifiquement aux agriculteurs concernés par les captages. Les résultats devraient aussi être diffusés via différents supports de communication. 
Annie Laurie
(1) Sdage : schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux.
(2) TCS : techniques culturales simplifiées.

 

Interculture

Douze couverts testés

- Navette, radis, moutarde et phacélie (A).
- Moutarde d'Abyssinie et trèfle d'Alexandrie (B1).
- 86 % de vesce commune, 10 % de moutarde brune et 4 % de phacélie (B1).
- Moha, radis fourrager, vesce et trèfle d'Alexandrie (B1).
- Moha (56 %) et trèfle d'Alexandrie (44 %) - finalité fourragère (B1).
- Avoine de printemps, vesce commune, trèfle d'Alexadrie, phacélie et radis asiatique (B1).
- 45 % de vesce, 17 % de trèfle d'Alexandrie, 15 % d'avoine et 15 % de millet (B2).
- Sarrasin, cameline, vesce commune, pois, radis et moutarde (B2).
- Seigle multicaule et vesce commune (B2).
- Phacélie, vesce pourpre et trèfle d'Alexandrie (B2).
- Féverole (C).
- Trèfle d'Alexandrie, trèfle incarnat et vesce (C). 
A : couverts à effet « piège à nitrates » uniquement.
B1 : couverts à effets « piège à nitrates », « restructurant » et « fixation de l'azote » orienté davantage sur les deux premiers effets.
B2 : couverts à effets « piège à nitrates », « restructurant » et « fixation de l'azote » orienté davantage sur le troisième effet.
C : couvert à effet « fixation de l'azote » uniquement.

Dans l'essai, Philippe Baugiraux, François Dubocs et Mikaël Boilloz ont semé quatre groupes de couverts d'interculture.

Témoignage / Agriculteur à Bourg-lès-Valence, Philippe Baugiraux s'intéresse aux couverts d'interculture depuis plusieurs années. Sa motivation et son expérience.

Philippe Baugiraux, testeur de couverts

Plusieurs raisons ont amené Philippe Baugiraux à s'intéresser aux couverts d'interculture et à les pratiquer.

«Je m'intéresse aux couverts végétaux depuis cinq ans », indique Philippe Baugiraux.  Et de confier qu'il a découvert sur internet le site et les vidéos de Frédéric Thomas, agriculteur, spécialiste des couverts végétaux en agriculture de conservation et rédacteur en chef de la revue TCS. Une conférence avec ce spécialiste était d'ailleurs au programme du Tech&Bio, ce 23 septembre.« Dans ma démarche, ma volonté est de limiter l'emploi d'intrants pour réduire les coûts et mieux respecter la vie du sol, explique Philippe Baugiraux. Mon intention est aussi de produire de la biomasse et tenter de remonter le taux de matière organique dans le sol car, s'agissant d'une terre à pêchers, il en contient peu. En plus, j'en avais assez de labourer, à cause des cailloux. Je voulais simplifier mes pratiques culturales, tout en conservant quand même la chimie et le labour en cas de problèmes d'adventices. Comme couverts d'interculture, je compose mes propres formules et j'ai déjà essayé une dizaine d'espèces. Alors, quand la chambre d'agriculture m'a proposé d'en mettre en essai sur une parcelle située dans le périmètre de protection du captage d'eau potable de Bourg-lès-Valence, j'ai tout de suite accepté. J'étais partant pour ce partenariat. »
 A. L.