Pierre Barret : “ Informer, sans prosélytisme ”

Quels sont les travaux menés actuellement sur les OGM à l'Inra de Clermont-Ferrand ?
Pierre Barret : « Je suis responsable de la plateforme de transformation génétique sur le blé. Nous réalisons des productions de blé OGM pour la recherche ainsi que de la recherche méthodologique dans le cadre de grands projets financés par le gouvernement. »
Quelle est la différence avec les NPBT (new plant breeding technologies) qui font actuellement débat ?
P. B. : « Il faut bien distinguer deux choses : les programmes de sélection en vue de la production de variétés pour l'agriculture durable ; et les travaux sur les OGM de blé qui sont uniquement des projets de recherche. Même si l'Inra voulait sortir une variété d'OGM, elle ne le pourrait pas. Il faudrait mettre 100 millions d'euros sur la table ! Et puis il n'y a aucune demande sociétale en ce sens. Les travaux que nous menons sur les OGM nous permettent juste de comprendre le fonctionnement des gènes. Nous avons besoin des connaissances acquises pour la création variétale classique. »
Les discussions tournent autour de la frontière entre les OGM et les NPBT, quelle est votre vision ?
P. B. : « Je tiens déjà à dire que je m'exprime en mon nom propre et non en celui de l'Inra. Il y a un gros lobbying des deux côtés. Mais le terme NPBT regroupe des choses très différentes. Quand on enlève simplement une base à un gène, cela me paraît assez loin des OGM. En revanche, quand il s'agit de créer des allèles qui n'existent pas, on peut se poser la question. Le problème, c'est que la réglementation européenne se base sur la technique et non sur le résultat. Or, si la technique des NPBT est artificielle, le résultat est naturel dans le sens où les plantes qui en sont issues sont identiques à celles qui existent dans la nature. »
Les biotechnologies sont-elles alors juste un accélérateur de la sélection ?
P. B. : « Elles permettent de gagner de nombreuses années par rapport à des croisements classiques et aussi beaucoup de précision. On peut par exemple transférer l'allèle d'un blé du Tibet résistant au froid et la sécheresse. Les progrès en génétique sont une avancée considérable. Notre limite, c'est la compréhension de ces phénomènes qui doit nous permettre d'agir intelligemment. Il faut garder une grande humilité et ne pas répéter l'erreur que nous avons commise avec les OGM en annonçant qu'ils allaient résoudre tous les problèmes. Rappelons-nous que nous découvrons encore beaucoup de choses au hasard de certaines expérimentations. »
Quelles sont précisément les attentes de la filière concernant l'amélioration de la sélection du blé ?
P. B. : « On nous parle beaucoup de hausse de rendement et de hausse du taux de protéines. Nous y arriverons sûrement mais, j'insiste, quand nous aurons progressé dans la compréhension du fonctionnement au niveau génétique, de l'interaction avec l'environnement. »
Le débat est vif actuellement sur les NPBT. Que vous inspire-t-il ?
P. B. : « Je suis invité régulièrement à des débats et j'en ai d'ailleurs fait avec beaucoup d'associations anti-OGM. J'ai l'habitude de refuser d'intervenir s'il n'y a pas de contradicteur en face de moi, mais je peux facilement en trouver au sein même de l'Inra... Personnellement, je ne suis ni pour, ni contre. Je ne fais pas de prosélytisme, je suis là pour informer. Je veux que les gens se positionnent en ayant lu ou entendu suffisamment d'informations pour se prononcer. De toute façon, on ne convaincra pas un anti-OGM qui a une vision passionnée et quasi religieuse du sujet ou un pro-OGM, pour qui il ne s'agit que d'un progrès technique ou scientifique comme un autre. Ces dernières années, le nombre de débats sur le sujet s'est un peu réduit mais cela risque de changer avec l'actualité du moment ! »
Pensez-vous qu'au final, les NPBT seront mieux acceptés par la société que ne le sont les OGM ?
P. B. : « Peut-être bien. Quand les travaux d'Émmanuelle Charpentier et de Jennifer Doudna ont été plébiscités pour concourir au prix Nobel de chimie, cela a entraîné une communication positive. Et puis, les progrès que la génétique va apporter à la médecine humaine vont plaider en leur faveur. Car si on parle de révolution agricole, il faut bien avoir conscience que 95 % des applications génétiques vont concerner l'être humain. La différence, c'est que nous pourrons soigner certaines maladies humaines sans affecter la génétique de la génération suivante alors que dans le cas d'une plante, nous agissons aussi sur la descendance. »
Propos recueillis par David Bessenay
OGM : le Conseil d’État retoque un arrêté d’interdiction obsolète
Dans une décision rendue en avril, le Conseil d’État a annulé un arrêté datant de 2014, interdisant en France le maïs génétiquement modifié Mon810. Le 14 mars 2014, le ministre de l’Agriculture avait en effet pris un arrêté pour en interdire l’utilisation et la commercialisation, comme le permettait la législation européenne dans chaque État membre, en cas de risque « important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, animale ou l’environnement ». Cependant, ce risque devait être constaté sur la base d’éléments « nouveaux » et « fiables ». Pour le juge, ni les avis de l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa), ni les quatre nouvelles études et les autres éléments avancés par le ministre ne démontraient l’existence d’un tel risque. Pour le Conseil d’État, les avis de l’Autorité européenne « avaient certes admis certains risques de développement d’une résistance chez les insectes ou d’atteinte à certaines espèces de lépidoptères », mais « ces mêmes avis concluaient que ces risques pouvaient être maîtrisés et que les études scientifiques ne permettaient pas d’estimer que le Mon810 était plus risqué pour l’environnement que le maïs conventionnel ».
…mais la mise en culture du Mon810 reste interdite
Réagissant à la décision du Conseil d’État, Stéphane Le Foll a rappelé que sa mise en culture reste toutefois interdite, compte tenu des évolutions réglementaires prises depuis. « La France avait décidé le 15 septembre 2015 de demander à la Commission européenne l’exclusion du territoire national pour les neuf maïs OGM déjà autorisés ou en cours d’autorisation au niveau européen », rappelle le ministère. Et ainsi, le 3 mars dernier, « la Commission européenne a exclu la France du champ de l’autorisation européenne du maïs MON 810 ». Comme la France, dix-huit autres États membres de l’UE ont eu recours à la nouvelle législation sur les OGM pour demander à Bruxelles l’interdiction de leur culture sur tout ou partie de leur territoire.
De son côté, l’AGPM (Association des producteurs de maïs) estime que le juge « a donné droit aux arguments de la filière. (…) le ministre avait commis une erreur manifeste d’appréciation lors de cette interdiction, puisque aucun risque lié à l’utilisation de cet OGM n’a pu être mis en lumière ». Néanmoins, l’AGPM prend acte que « sur le fond, cette décision ne change rien à la situation des OGM en France, qui restent interdits ». La ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, l’a d’ailleurs rappelé peu après à son homologue de l’Agriculture.