Préserver la santé mammaire en élévage caprin

En présence de bactéries1 dans la mamelle, une réaction immunitaire engendre un passage des cellules du sang (leucocytes) vers celle-ci. La présence de cellules, chargées de détruire les bactéries infectieuses, peut parfois voir ses effets annulés : la concentration cellulaire augmente tandis que l'infection persiste. Cette situation fréquente, appelée « mammite subclinique », survient cependant sans symptôme visible2. Dégradant la qualité du lait et provoquant une baisse de la production d'environ 10 %, l'infection agresse les trayons avec des conséquences sur le bien-être de la chèvre.
Évaluer le niveau d'infection
Si la présence de bactéries est difficile à détecter, le comptage cellulaire permet d'évaluer le niveau d'infection. Sur le plan individuel, il est en effet possible de compter le nombre de cellules présentes dans le lait lors des contrôles laitiers. Au-delà de 750 000 cellules/ml de lait, on considère la chèvre comme infectée. Au niveau du troupeau, la mesure des concentrations cellulaires du lait de tank peut aussi être utilisée : à partir d'un million de cellules/ml de lait, on estime l'échantillon infecté à plus de 40 %. D'autres causes non bactériennes peuvent aussi engendrer une hausse de la concentration cellulaire, comme l'augmentation de l'activité, le stress provoqué par la mise à l'herbe, la période des chaleurs...
Plusieurs facteurs peuvent être à l'origine d'une infection : l'hygiène de la mamelle et de l'environnement (paillage défectueux, espaces mal entretenus), l'hygiène de traite (quai de traite sale, matériel défectueux) et les méthodes de traite qui peuvent abîmer le sphincter (surtraite, mauvais réglages des faisceaux trayeurs).
Prévenir les mammites
La prévention implique une vigilance, principalement sur quatre étapes : le tarissement, la mise bas, le pic de lactation et la fécondation. Autour du tarissement, veiller à une parfaite hygiène est essentiel pour éviter le risque de contamination d'une chèvre à l'autre. Il est également préconisé de traiter les chèvres infectées en prévoyant une période sèche de 60 jours minimum pour la régénération des tissus mammaires, et de réformer celles qui sont incurables. Au démarrage de la lactation, il est important de veiller à ce que chaque animal dispose d'une surface minimale (1,5 m2 par chèvre) et de garantir un bon état sanitaire des bâtiments et des équipements : paillage suffisant et le moins irritant possible, nettoyage des orifices calibrés, entretien du régulateur de vide et des entrées d'air des pulsateurs, nettoyage des mamelles sales avant la traite, organisation d'un ordre de traite (chèvres primipares en premier et infectées en dernier), etc. Avant chaque traite, vérifier le vide de la traite pour éviter un défaut qui peut entraîner une hausse de 300 000 cellules/ml. Une fois terminée, il est recommandé de s'assurer que les trayons ne portent pas de signes d'agression.
M. C.
1 Les bactéries les plus fréquentes sont les staphylocoques, présentes naturellement sur la peau et les muqueuses, qui pénètrent la mamelle par le canal du trayon.
2 En cas de symptômes visibles (à commencer par une modification de la texture du lait), la mammite est dite « clinique » : les bactéries prennent le dessus sur les cellules qui restent en nombre très élevé, une situation plus rare.
Questions à / Alice Hubert, chargée de projet à l'Institut de l'élevage (Idele), qui travaille sur le lien entre la traite et la santé des animaux en élevages caprins.
« Adapter le matériel aux morphologies mammaires »
Pourquoi menez-vous un travail sur la traite au sein de l'Idele ?Alice Hubert : « Depuis 2015, l'Association nationale interprofessionnelle caprine (Anicap) finance un projet de recherche sur le lien entre la présence des cellules dans les mamelles et les conditions de traite. Les cellules sont un indicateur précieux de la présence d’infection. On sait que la concentration cellulaire dans le lait a augmenté ces deux dernières décennies, un niveau qui a tendance à se stabiliser aujourd'hui et que nous souhaitons infléchir en travaillant sur les conditions et les pratiques de traite. Ces études ont vocation à améliorer la qualité laitière mais également la santé et le bien-être animal. L'Idele a créé par ailleurs un espace web dédié aux mammites caprines qui donne aux éleveurs, techniciens et enseignants des éléments pratiques et des outils d'intervention. Nous avons également lancé une page Facebook “ Marier traite et santé ” sur laquelle sont régulièrement diffusées des informations à destination des éleveurs. »
Quelles pistes de recherches vous occupent actuellement ?
A.H. : « Nous explorons plusieurs pistes : manipulation des mamelles et du matériel lors de la traite, réglage et conception des machines à traire et aptitude à la traite des animaux. Par exemple, sur ce dernier point nous travaillons en collaboration avec l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) et l'organisme de sélection Capgènes. Nous étudions la diversité morphologique des troupeaux pour évaluer une correspondance avec la sensibilité aux cellules. Ce travail nous permet également de nous pencher sur l’interaction entre le manchon trayeur et la forme et souplesse du trayon. Parmi l’hétérogénéité des mamelles caprines, nous avons déjà élaboré une typologie en six classes des mamelles. Certaines sont moins sujettes aux infections bactériennes que d'autres, le but est d'adapter le matériel à ces différents types de mamelles tout en travaillant la génétique avec l'objectif d'une homogénéisation au sein des élevages. Cette visée est à intégrer à une stratégie sur le long terme mais elle offre des perspectives intéressantes, à considérer en parallèle du travail à court et moyen termes. » n
Mylène Coste