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Elevage

Produire du lait au Canada : un modèle difficilement transposable

Les producteurs de lait canadiens sont soumis à un quota de production qui leur permet de bénéficier de prix élevés. Mais depuis quelques années, le système est fragilisé par des importations « sauvages » et des contingents d’importations concédés dans le cadre d’accords commerciaux internationaux. Retour sur un voyage de presse organisé par l’Association française des journalistes agricoles, début juin, au Canada.
Produire du lait au Canada : un modèle difficilement transposable

Le 2 juin dernier, 2 500 producteurs de lait canadiens accompagnés de 95 tracteurs ont manifesté à Ottawa contre des importations « sauvages » de produits laitiers en provenance des Etats-Unis. Une première dans un pays où on est plus habitué à résoudre les conflits par la négociation plutôt que dans la rue. En effet, les industriels de la transformation se sont mis à importer en grande quantité du lait diafiltré, un concentré de protéines laitières utilisé pour la fabrication de fromages et de yaourts. Le produit échappe au contrôle des importations et n'est soumis à aucune tarification douanière. « Une faille dans la réglementation », estime Christian Lacasse, producteur de lait avec son épouse, Sylvie Gendron, à Saint Vallier dans la province du Québec. Selon l'Union des producteurs agricoles (UPA) - l'équivalent québécois de la FNSEA - cette entorse a entraîné en 2015 une perte de chiffre d'affaires de 220 millions de dollars canadiens (145 millions d'euros) à la ferme laitière canadienne et de 18 000 dollars (12 000 euros) par exploitation et par an. A ces importations non contrôlées s'ajoute les concessions déjà faites par le Canada dans le cadre de l'Accord économique et commercial global (AECG) conclu en septembre 2014 avec l'Union européenne et qui devrait entrer en application en 2017. Ottawa a accordé un contingent supplémentaire de 17 700 tonnes de fromages. Ce qui représente 1,4 % de la production lait nationale, soit une perte de 150 millions de dollars canadiens (100 millions d'euros) de chiffre d'affaires pour les producteurs de lait canadiens. A cela pourrait s'ajouter les concessions annoncées dans le traité transpacifique (TPP) en cours de finalisation avec les pays riverains du Pacifique. S'il était ratifié, il autoriserait les transformateurs à se procurer annuellement à l'étranger 3,25 % du lait produit au Canada. Les producteurs de lait canadiens estiment à 200 millions de dollars la perte du chiffre d'affaires (140 millions d'euros) liée à cet accord. Au final, toutes concessions confondues et importations « illégales », ce sont près de 600 millions de dollars de pertes (400 millions d'euros) de production prévisible pour la ferme canadienne et près de 50 000 dollars (35 000 euros) par exploitation à moyen terme, selon l'UPA. L'une ajoutée à l'autre, ces concessions constituent autant de brèches dans un système de gestion de l'offre auxquels les producteurs sont particulièrement attachés. « Je pense que c'est un système qui a de l'avenir », veut pourtant croire Christian Lacasse, également ancien président de l'UPA.

Christian Lacasse et Sylvie Gendron dans leur élevage. Quotas : « je pense que c'est un système qui a de l'avenir »
Un système fermé et coûteux
Coté approvisionnement des laiteries, celui-ci est également géré par la Fédération des producteurs de lait, en fonction des besoins des unes et des autres. Si bien que le producteur ne connaît pas au jour le jour l'usine à laquelle il livre son lait. Certes, les coûts d'acheminement du lait sont à la charge des producteurs. Mais ils sont mutualisés pour ne pas pénaliser les producteurs les plus excentrés. Si les producteurs de lait sont très attachés à ce système de gestion de l'offre qui leur permet d'échapper à la volatilité des prix et de sécuriser leur revenu, il n'est pas sans inconvénients. Il s'agit d'un système fermé qui limite l'accès au métier d'éleveur notamment des jeunes, ce qu'on appelle la relève au Québec. En effet les quotas sont marchands et leur acquisition se fait par le biais d'enchères qui mettent face à face offreurs et demandeurs. Au Québec par exemple où le système est pourtant encadré pour éviter la flambée des prix, il en coûte 24 000 dollars pour obtenir un kilo de matière grasse, un droit d'entrée qui représente presque la production d'une vache, note Christian Lacasse. Sans pouvoir obtenir les quantités souhaitées. Lors des dernières enchères, Christian n'a pu acquérir que quelques centaines de grammes. Comme l'offre est beaucoup plus faible que la demande, le volume de quotas disponible est réparti entre les candidats. Ainsi, il devra s'y reprendre à plusieurs fois pour installer ses deux fils, Mathieu et William, qui vont rejoindre l'exploitation et assurer la relève. De leur côté, les industriels déplorent un système qui les empêchent de choisir leurs fournisseurs. C'est le cas de la fromagerie Bergeron à Saint-Antoine-de-Tilly au Québec, une entreprise familiale. « J'achète le lait à la fédération. Le lait provient de fermes que je ne choisis pas », déplore Isabelle Roy, la directrice marketing. Sans oublier le prix très élevé qu'elle consent à ses fournisseurs sans négociation – 86 centimes par litre (59 cts d'euros) - qui la contraint au marché intérieur et lui ferme l'exportation, par exemple le marché américain tout proche, faute de compétitivité. 

Michel Bourdoncle

Portrait de la production laitière
au Canada (chiffres 2015)
 Fermes laitières : 11 683 dont 5 624 au Québec.
 Production en litres : 8 milliards dont 3 au Québec.
 Troupeau moyen : 82 vaches, 61 au Québec.
 Production par élevage : 700 000 litres, 520 000 au Québec.
 Transformation : 112 usines appartenant à 92 entreprises, dont 3 achètent 81 % du lait, parmi lesquelles Parmalat, une filiale de Lactalis.

 

 

Mise en marché collective

Le système laitier canadien vise à adapter en permanence la production de lait à la demande intérieure. Outre le contrôle des importations qui relève de l’Etat, les représentants des producteurs sont parties prenantes de la gestion de l’offre au sein des organisations de producteurs de lait. Au Québec, c’est la branche laitière de l’UPA qui est aux manettes. Pour faire simple, il est établi un contingent national de production de lait qui est ensuite réparti entre chaque producteur. Celui-ci bénéficie d’un quota basé sur sa production de matière grasse journalière. Christian Lacasse, par exemple, dispose d’un quota de 80 kg de matière grasse par jour qui lui permet de conduire sur 90 hectares un troupeau de 60 vaches laitières Holstein à 12 500 kg de moyenne. « Une des cinq meilleures fermes au Québec », se félicite-t-il. Côté prix, les producteurs ont délégué à leur organisation la responsabilité de négocier en leur nom l’ensemble des conditions de vente avec les représentants des transformateurs sous l’égide des pouvoirs publics, y compris le prix et l’approvisionnement des laiteries. Ainsi, le prix du lait est établi sur la base des coûts de production moyens. Dans le détail, le système est beaucoup plus complexe. Tous les éleveurs touchent le même prix par kilo de composant (matière grasse, matière protéine) selon l’utilisation finale du lait à l’intérieur du quota : lait de consommation, crème, produits transformés (beurre, fromages et yaourts). Bref, il atteignait actuellement 70 à 75 dollars par hectolitre chez Christian Lacasse, soit 48 à 51 €/hl, presque deux fois le prix français. En 2015, il a atteint en moyenne au Canada 71,46 dollars/hl, soit 66,93 dollars/hl net (46 €/hl) après déduction du transport et des contributions à l’organisation du marché et aux actions publicitaires et de recherche.