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Maraîchage

Produire ses plants sur la ferme 

Pourquoi produire ses plants maraîchers sur la ferme ? La question est ouverte, les réponses des maraîchers divergent et sont souvent personnelles : gagner en autonomie et en indépendance ; apporter de la souplesse dans le calendrier ; choisir sa gamme variétale ; combiner avec l’autoproduction de semences ; générer un revenu supplémentaire par la vente de plants… Comment s’y prendre pour réussir sa production de plants ? Retours d’expériences. 

Produire ses plants sur la ferme 
Production de plants de poireaux au Gaec Thieriot (Allier), sur prairie, carton, 10 cm de fumier de bovin, 5 cm de compost de déchet vert, semis recouvert de terreau tamisé puis voile sous arceau. © Frab Aura

Si l’on choisit de produire ses plants, la priorité est de dédier un lieu spécifique à leur élevage, en prenant en compte plusieurs paramètres clés comme la luminosité, la température, l’aération, l’irrigation, la surface minimum d’élevage et de fabrication, l’aménagement pour optimiser l’ergonomie de l’atelier. Côté fabrication des mottes, en fonction du nombre de plants à produire, des moyens financiers, différents types de matériels sont envisageables. Faire des godets pour les courges et courgettes ne nécessite pas d’investissements. Pour des quantités réduites, l’utilisation de plaques alvéolées est une solution peu coûteuse et permet de gagner de la place en utilisant des plaques à forte densité. Enfin en cas de production d’une grande partie de la gamme de plants, l’utilisation de mottes pressées correspond à un usage polyvalent avec différentes tailles de motte. Leur fabrication se fait soit avec un presse motte manuel à piston, de faible investissement mais avec un temps de travail important, soit avec une motteuse mécanisée beaucoup plus productive. Coté substrat, pas de secret, le terreau de semis issu du commerce, composé majoritairement de tourbes est préconisé pour une levée et un élevage de qualité. Même si l’autoproduction permet de maîtriser son choix variétal, de sélectionner ses graines et d’avoir plus de souplesse dans le calendrier, il faut avoir en tête que cet atelier nécessite des équipements adaptés, un temps de travail conséquent et une forte technicité.

Le greffage de plants maraîchers

Le greffage consiste à implanter dans les tissus d’une plante « porte-greffe », un fragment nommé « greffon » prélevé sur une autre plante, pour que celui-ci continue à croître en faisant corps avec la première. Cette technique est très utilisée pour les cultures pérennes mais beaucoup moins pour le maraîchage. Cette technique exigeante se justifie lorsqu’il faut apporter une résistance particulière à un ravageur ou une maladie bien identifiée qui ne peut se solutionner autrement.
C’est ce que pratique Rémy Valeix, maraicher dans la plaine de Montélimar (Drôme). Celui-ci a repris avec sa compagne, il y a une dizaine d’années, une ancienne exploitation horticole pour produire des légumes en plein champ et sous abris. Mais le couple découvre rapidement la présence de nématodes dans les sols de la ferme, qui affectent la vigueur des cultures d’été et leurs rendements. Les techniques prophylactiques de lutte contre les nématodes (solarisation, fumigation, nématicides autorisés en AB…) se révèlent insuffisantes pour contenir les dégâts. Rémy a donc mis en place une technique et du matériel de greffage pour pouvoir produire ses propres plants greffés résistants aux nématodes. Il partage son expérience sur son blog : http://maraîchageinsectes.com/tec/comment.html.

L’opération de greffage
Pour pratiquer sa greffe, il fait des semis :
• de ses plants porte-greffe à partir de graines conventionnelles (pas de disponibilité en bio) et il change régulièrement de variété pour contourner la résistance des nématodes ;
• de ses plants greffons avec les variétés qu’il souhaite cultiver en tomates, poivrons, aubergines.
Ces semis sont faits dans des plaques à 103 trous pour qu’il soit facile de transplanter l’ensemble terreau + plants dans des pots plus grands. Rémy étale devant lui les plants porte-greffe et greffons pour trouver ceux qui ont le même diamètre. Sur un carrelet en bois préalablement nettoyé, il pratique alors une coupe droite du porte-greffe en dessous des cotylédons. Il réalise la même opération sur le greffon, au-dessus des cotylédons, pour récupérer le haut de la tige. Et il positionne le porte-greffe et le greffon dans une pince de taille adaptée (1,2 ou 1,6 mm) qui va maintenir les tissus des deux parties en contact. Cette pince est maintenue à bonne hauteur à l’aide d’un tuteur en fil de fer. Il transfère alors la greffe dans un pot plus grand et place ses plantations dans le châssis à 25°C et 100 % d’humidité.

Des conditions sanitaires adaptées

Le greffage nécessite des précautions sanitaires pour éviter la contamination des tissus coupés : nettoyage des pinces, changement des lames mais ce n’est pas l’essentiel. Selon Rémy, les facteurs les plus importants sont le maintien d’une hygrométrie de 100 % et la protection vis-à-vis de la lumière directe pour assurer une bonne implantation de la greffe. Pour cela, Rémy a auto-construit des éléments adaptés : un grand coffre de bois couvert d’isolant d’un côté et de bâche plastique de l’autre. Ce coffre est placé à l’abri pour éviter les variations fortes de température. Et à l’intérieur du coffre, on trouve le châssis de plants : une nappe chauffante au fond, une couche de terreau pour absorber et restituer l’humidité, un thermomètre et un thermostat étanche. Avec cette technique et ce matériel, Rémy a un taux de réussite du greffage de 98 %. Il compte 2 heures de travail pour réaliser 60 à 70 greffes. Il dispose ainsi sur place de tous les plants souhaités résistants aux nématodes. 

La production des plants de poireaux

Si les plants de tomates, courges, légumes feuilles et racines sont fréquents dans les ateliers de productions de plants, ceux de poireaux sont souvent achetés en extérieur. Corinne Pigeard est installée à Viscomtat (Puy de Dôme) depuis 2004. Faire ses plants lui permet de maitriser la période de plantation, d’avoir les plants prêts quand il y a la place sur l’exploitation. Elle peut ainsi maitriser leur croissance et les ralentir au besoin (baisse de la température, ouverture de la serre, limiter l’arrosage) sans pour autant les pousser au stress. Corinne a besoin d’être prête pour la plantation ce qui ne lui semble pas possible si des plants étaient livrés à une date fixe, quelle que soit la météo ou l’organisation de la ferme. 
Edouard Mortier est installé depuis 2003 à Aubazat (Haute-Loire). Ne trouvant pas de fournisseurs de plants, il les a toujours produits. L’exploitation a perdu de la surface l’année dernière et est en phase de réorganisation. Si faire ses plants a des avantages, c’est aussi une charge mentale supplémentaire. Cela pèse sur l’organisation et induit de nombreux enjeux économiques. Pour compenser la surface perdue, Edouard se concentre désormais sur l’intensification des planches. Pour les poireaux il a fait le calcul, acheter les plants lui couterait aussi cher que lorsqu’il les produit. Si un producteur de plants s’installait à proximité, c’est sans hésiter qu’il cesserait de produire  les  siens.

Mini-motte repiquée sous pépinière plein champ. 

Points de vigilance

En pépinière l’irrigation doit être régulière ! Le désherbage sur le rang dépend de la pression des adventices présentes. Dans les trois itinéraires techniques (voir tableau en cliquant ici), les poireaux sont systématiquement arrosés après semis, repiquage en motte et repiquage en plants en plein champ. Les plus petits sont éliminés au moment de la taille. Il est important de raccourcir feuilles et racines des poireaux pour favoriser le repiquage.

Production en mini-motte puis en plein champ

Corinne ne souhaite plus consacrer de la place sous serre à la production de plants de poireaux. Ils sont désormais faits en plein-champ sous filet (photo 1). La plantation en trois fois lui permet d’échelonner le travail mais surtout le désherbage. Chez elle, la galinsoga est très présente et rythme le travail de la ferme, de la pépinière à la récolte… On arrache les plants en motte, on casse les mottes en laissant les poireaux en paquet, c’est plus facile pour les tailler. Ensuite on les compte et on les regroupe par paquets de 50. Pour échelonner le travail, on peut les arracher un jour, les tailler et compter le lendemain, les planter le jour d’après. Il faut simplement les stocker au frais dans un bâtiment frais. La dernière série est plantée après le 14 juillet et sera prête pour la sortie de l’hiver.

Production 100 % en plein champ 

Edouard s’est inspiré de la technique chez des collègues maraichers (photo 2). Il la pratique depuis 5-6 ans et en est satisfait. Une fois la planche préparée, il nivelle parfaitement le sol. Il met du carton sur le sol et le recouvre de 4 cm de terreau. Il veille à nouveau à ce que le niveau du terreau soit bien plat, régulier et fin. Il sème à la volée les 10 000 graines en veillant à la densité. Il les recouvre d’un terreau tamisé puis les roule avec un tube de PVC de 10 cm de large (récupération). Il arrose, installe les arceaux, le filet puis le voile. Quand il fait trop chaud, il enlève simplement le voile pour ne pas avoir à toucher le filet. Il faut arroser tous les jours, le terreau étant vite séchant. Edouard souhaite trouver des micro-asperseurs à mettre sous les arceaux : cela économiserait de l’eau et serait plus efficace. Cette méthode permet de produire des plants sans autre travail que l’installation : objectif produire 5 000 plants. Au final, vu la diversité des méthodes, il faut trouver ce qui convient le mieux à sa situation, ses contraintes et ses envies.

Rémi Colomb (ADABio) - Samuel L’Orphelin (Agribio Drôme) - Alexandre Barrier-Guillot (Frab Auvergne-Rhône-Alpes)