Accès au contenu
Biodiversité

Quand l'agriculture coopère pour préserver les zones humides

Comment concilier enjeux agricoles et environnementaux ? La question a été posée, plus particulièrement au sujet des zones humides, le 16 janvier dernier, sous l'égide du Conservatoire régional d'espaces naturels et des chambres d'agriculture de Drôme et Ardèche.
Quand l'agriculture coopère pour préserver les zones humides

Lors de la journée d'échanges techniques sur les zones humides, organisée par le Conservatoire d'espaces naturels Rhône-Alpes* en partenariat avec les chambres d'agriculture de l'Ardèche et de la Drôme, le 16 janvier à la Voulte-sur-Rhône (Ardèche), les 70 participants ont découvert des expériences régionales visant à la préservation de ces milieux avec l'implication du monde agricole.
D'un côté, les collectivités territoriales ont pris davantage en compte les zones humides, les gérant sans les mettre sous cloche. Les élus ont notamment pris conscience de l'importance de les inscrire dans tous les documents d'urbanisme. De l'autre, des agriculteurs se sont engagés pour prendre en considération ces milieux humides et modifier leurs pratiques. Cet investissement est réalisé en partenariat avec le Conservatoire d'espaces naturels (CEN) et il contribue à réaliser de meilleurs inventaires des zones humides, à gérer les sites, à sensibiliser tous les publics à l'intérêt de ces espaces.

Contraintes et opportunités

La présence de 70 personnes pour cette journée co-organisée par le CEN et les chambres d'agriculture témoigne de l'évolution de la prise de conscience du rôle joué par les zones humides. Les présentations ont montré combien les préoccupations et actions pouvaient différer d'un territoire à l'autre en fonction de sa pédologie et de l'implantation des zones humides (ZH).
Par exemple, en Drôme où 85 % des ZH se trouvent en bordure de cours d'eau et dans la vallée du Rhône, les agriculteurs les voient plutôt comme des contraintes fortes lorsqu'ils y maintiennent des cultures annuelles, tandis qu'en Ardèche, les 4 380 ha de ZH déclarées à la Pac se trouvent sur la montagne ardéchoise, où ils sont gérés en pâturage. Toutefois, si ces parcelles restent des milieux marginaux pour les exploitations et difficiles à valoriser, les éleveurs ont observé que ces ressources fourragères complémentaires ont été appréciables en période de sécheresse.

Aboutir à une gestion équilibrée

Bertrand Dury.

Le référent national zones humides pour les chambres d'agriculture, Bertrand Dury, a rappelé le cadre d'intervention de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), en lien avec le plan national d'action en faveur des milieux humides. Une enquête en 2014 a mis en évidence les zones à enjeux en tête des bassins versants. Pour tenir compte des diverses directives de protection des milieux, le parti a été pris d'aboutir à une gestion équilibrée permettant de soutenir une agriculture durable tout en maintenant des services écosystémiques et des milieux ouverts.
Dans une dizaine de départements en lien avec des pédologues, il est proposé aux exploitants un « diagnostic zones humides ». Un rapport sur les interactions entre agriculture et ZH doit être bientôt remis et le guide national « Maîtriser les notions de zones humides et milieux humides en lien avec l'activité agricole » doit être mis à jour. Enfin, une formation du 26 au 28 septembre 2018 doit aider les intervenants des chambres d'agriculture à mieux s'approprier les notions de ZH et identifier les outils pour y accompagner les projets agricoles.

Expériences exemplaires

Des expériences présentées, les participants ont retenu les « recettes » qui ont fait avancer la prise en compte des zones humides. Pour préparer la restauration de la ZH de la Véore, dans la plaine de Valence, l'animation foncière par la Safer a limité les oppositions et contribué à préparer le plan de gestion interne à valider en 2018 via des achats de parcelles et échanges. Dans la plaine du Forez (Loire), c'est la capacité d'adaptation des pratiques et techniques agricoles en fonction de la pédologie complexe et l'organisation du parcellaire des exploitations qui a permis d'avancer. En Savoie, la renaturation du marais de Chautagne sur 250 ha a donné lieu à une réflexion sur tout le territoire (2 000 ha), visant le développement de nouvelles filières locales pour utiliser la biomasse produite sur les marais via notamment l'élevage extensif.

Louisette Gouverne

* Le Conservatoire des espaces naturels Rhône-Alpes co-construit des programmes agri-environnementaux et climatiques et contribue à leur mise en œuvre en lien avec les chambres d'agriculture. Dans la région Aura, les CEN sont en contrat avec 200 agriculteurs sur 2 000 ha et 4 500 animaux paissent sur les sites en gestion.
Plus d'informations : www.cen-rhonealpes.fr / www.reseau-cen.org

 

Les zones humides
Parmi les zones ou milieux humides, on rencontre les sagnes, les narces, mouillères et tourbières, prairies humides... des milieux semi-naturels exploités par les agriculteurs, utilisés pour la pâture et parfois pour la fauche, et beaucoup plus rarement cultivés. Ces surfaces sont importantes pour la gestion de la ressource en eau et sont également des habitats remarquables, en matière de biodiversité, pour des espèces patrimoniales. Une réglementation nationale préserve les zones humides. Sur ces espaces, des engagements contractuels volontaires - mesures agro-environnementales spécifiques (MAEC par exemple) - favorisent les bonnes pratiques agricoles de gestion de ces zones humides.

 

Synergies / Echanger pour mieux comprendre et intégrer les enjeux de chacun, cela semble fonctionner en ce qui concerne l'utilité des zones humides... Même si entre environnementalistes et agriculteurs perdurent quelques points d'achoppement.

Des perspectives de coopération

Bertrand Dury (APCA) l'a rappelé : « l'important est de diffuser les manières de travailler transférables d'une zone humide à l'autre, plutôt que des résultats techniques ». Les rencontres et le dialogue entre agriculteurs pour échanger sur les valeurs agronomiques et écologiques des ZH doivent se multiplier.
La question de la rémunération des bonnes pratiques agricoles a été au centre des débats. Éric Mounier, élu chambre d'agriculture de la Drôme), a regretté le cadre trop rigide des MAEC. Philippe Costet, vice-président de celle de l'Ardèche, a reconnu : « Nous devons prendre en compte les nouvelles ressources des ZH pour développer de nouvelles filières », la création de marques collectives de territoires pouvant aller dans le sens d'une valorisation économique de la gestion des milieux. Le représentant de la Dreal(1) a appelé au développement des projets alimentaires territoriaux (PAT) pour mieux reconnaître les services rendus.
« Installer un lac collinaire, c'est recréer une zone humide », a souligné Philippe Costet (au centre).
D'autres intervenants comme les représentants d'agences de l'eau(2) ont reconnu la difficulté de raisonner pour les agriculteurs face aux contraintes de protection. Toutefois, un travail de longue haleine porte ses fruits : « Dans les territoires où les compétences agricoles et celles des milieux aquatiques se rejoignent, on arrive à avancer ».
Entre naturalistes et agriculteurs, il reste toutefois des sujets délicats à aborder, comme celui de l'adaptation des pratiques de drainage ou les retenues collinaires. « Il faudra trouver une solution à ce qui est un affrontement. Installer un lac collinaire, c'est recréer une zone humide », a souligné Philippe Costet.
L. G.
(1) Dreal : direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement.
(2) Agence de l'eau Loire-Bretagne et Rhône-Méditerranée-Corse.