Quand le colza associé devient moteur du développement agricole

«Mener du colza en association avec des légumineuses m'a redonné envie d'accorder une place à cette culture dans mon assolement. » Voilà ce que répond Philippe Pradelles quand on lui demande les raisons qui l'ont amené à tester puis adopter l'association de légumineuses au colza sur ses parcelles. Les impasses techniques, en particulier la lutte contre les insectes d'automne, avaient poussé cet agriculteur à renoncer à la culture du colza pendant plusieurs années. Depuis, l'émergence de leviers agronomiques innovants a totalement changé la donne.
Regain d'intérêt du colza pour les producteurs
Ce témoignage est loin d'être isolé. Les surfaces de colza associé à des légumineuses sont en constante progression : 12 % de la sole nationale en 2018 contre 7 % en 2014. Les enquêtes « Pratiques culturales » de Terres Inovia, dont sont issus ces chiffres, indiquent que la plante associée la plus utilisée est la féverole : seule (41 % des surfaces) ou en mélange avec une autre espèce (14 %). On trouve aussi du trèfle (8 %) et de la lentille (11 %). La lutte contre les insectes est le premier objectif cité par les producteurs, viennent ensuite la couverture du sol et l'économie d'azote minéral. Depuis une dizaine d'années, Terres Inovia a mené une batterie d'essais et réalisé de multiples observations en grandes parcelles autour de l'association de légumineuses au colza. Ces travaux ont permis d'identifier trois grands types de services pouvant être attendus de cette technique : améliorer la nutrition azotée et le fonctionnement du colza ; contribuer à limiter les dégâts d'insectes d'automne, et accroître la concurrence de la culture vis-à-vis des adventices. D'autres bénéfices à l'échelle du système de culture peuvent également être visés, avec des espèces pérennes notamment. « Avec ces espèces en association, les agriculteurs mettent en avant l'intérêt soit de pouvoir les récolter, soit de bénéficier d'une couverture du sol après récolte du colza. Cela ouvre, outre la possibilité de semer le blé suivant en direct dans le couvert avec un gain de temps, un sol propre si le couvert est homogène et beaucoup plus de portance », précise Laetitia Masson, conseillère agronomie à la chambre d'agriculture de l'Isère.
Des dynamiques locales autour du colza associé
De nombreuses structures de développement agricole partagent le même constat : d'une part le colza associé présente une réelle attractivité pour les agriculteurs, il peut d'autre part aider un colza bien implanté à avoir un meilleur comportement face à des facteurs limitants, voire des impasses techniques très impactantes. Il est donc logiquement devenu le moteur de dynamiques locales de développement. Cependant, un besoin légitime d'adapter les références de Terres Inovia, principalement acquises dans le Centre et l'Est de la France, à des contextes pédoclimatiques différents s'est imposé.
Il s'agissait notamment d'élargir la base de connaissances opérationnelles : choix et intérêt d'autres espèces de légumineuses, influence des modes de semis, optimisation des programmes de désherbage, adaptation aux exigences de la production de semences.
La maîtrise de l'implantation
« Associer des légumineuses ne rattrapera jamais une implantation ratée », rappelle néanmoins Gilles Sauzet, ingénieur développement chez Terres Inovia. La réussite de l'implantation et une croissance dynamique à l'automne sont « les deux piliers indissociables » d'un colza robuste, c'est-à-dire apte à être moins impacté par les bioagresseurs ou les aléas climatiques. Il convient donc de cumuler les leviers agronomiques, choix du précédent, apport de produits organiques, optimisation du travail du sol et de la date de semis, et bien évidemment associations aux légumineuses, pour donner toutes les chances de réussite au colza. Avec cette approche, il est possible de réussir et de sécuriser l'implantation du colza, comme en témoigne le groupe d'agriculteurs du Berry accompagné par Gilles Sauzet. Dans le Berry, les surfaces en colza ont drastiquement chuté en 2019 et 2020, entre 70 % et 80 % par rapport à la moyenne des 20 dernières années. Or, au sein d'un groupe de 15 agriculteurs accompagnés par Terres Inovia, chez qui le colza occupe au moins 20 % de la SAU, 90 % des intentions de semis se sont converties en colza, bel et bien installé à la sortie de l'hiver. Un réseau de parcelles (voir encadré) suivi en 2020 par 12 partenaires a montré un taux de réussite de 90 % des parcelles par rapport aux intentions de semis. Preuve qu'avec ces approches, il est possible de réussir et de sécuriser l'implantation du colza. « L'accompagnement est un plus pour aider les agriculteurs à trouver des solutions à leurs problématiques », complète Gilles Sauzet.
Matthieu Abella, Terres Inovia ([email protected]) en collaboration avec L.Masson (CA 38)
1 Terres Inovia = Institut technique des professionnels de la filière des huiles et protéines végétales et de la filière chanvre.
Contact Terres Inovia en région : Alexis Verniau – [email protected]
Deux groupes techniques dans le Sud dont un en Rhône-Alpes
Dans le Sud de la France, Terres Inovia anime deux groupes techniques réunissant des partenaires autour de la pratique du colza associé. Objectifs : favoriser la réussite du colza dans les systèmes de culture du Sud, ou encore valider et faire connaître aux agriculteurs les services rendus par la pratique du colza associé. Les intérêts de ces travaux en réseau sont multiples : diversifier les situations et donc les observations, aller plus vite dans l’acquisition de références, et gagner en efficience dans le transfert aux agriculteurs. En Rhône-Alpes, un groupe s’est constitué autour de Terres Inovia dans le cadre d’un projet financé par la région (Pepit). Ce collectif mobilise des conseillers des chambres d’agriculture départementales (Isère, Ain, Rhône et Drôme) depuis près de trois ans. Au sein de ce réseau, différentes thématiques sont travaillées chaque année (techniques d’implantation, types de mélange, itinéraires techniques, analyses agroéconomiques). Pour acquérir un maximum de références, chaque conseiller met en place une plateforme dans son département avec un agriculteur. Un outil d’échange et d’animation autour de cette technique qui suscite de plus en plus d’intérêt dans la région.
Témoignages
Philippe Petrequin, agriculteur à Saint-Sorlin-de-Vienne (Isère)
Depuis quand pratiquez-vous l’association de légumineuses au colza ?
Philippe Petrequin : « Cela fait maintenant quatre ans, j’ai commencé en 2016. »
Quelles ont été vos motivations initiales ?
P. P. : « Je recherchais une meilleure vigueur du colza et aussi à couvrir le sol. Je suis embêté par la vulpie queue-de-rat et les géraniums, il fallait trouver un moyen d’étouffer ces adventices. L’aspect fertilité des sols et les fournitures d’azote restent aussi importants. »
Aujourd’hui, qu’attendez-vous de cette pratique ?
P. P. : « Je considère que mon colza doit être mené de façon économe. Je sème, j’associe avec des plantes pérennes comme le trèfle violet et je vois si ça passe ou non. Si ça ne marche pas, je considère que j’ai fait un beau couvert et je peux même récolter le trèfle. J’essaye d’être opportuniste, le colza associé me permet d’avoir un autre recours si jamais la culture fonctionne mal et doit être abandonnée. »
Quels sont les principales limites et bénéfices que vous avez pu identifier ?
P. P. : « Sur mon exploitation, le gros problème est l’enherbement. Ce n’est jamais évident de décider si je conserve mes plantes compagnes ou si je dois les détruire en même temps que les adventices. C’est la première année que je réussis à ce point. Les années précédentes, l’implantation était plus compliquée. J’ai eu recours, pour la première fois cette année, à un outil à dents qui m’a permis de moins assécher le sol avant le semis, je pense que c’est ce qui a fait la différence. Dans mes sols battants et souvent asphyxiés par l’eau, l’association avec le trèfle violet porte vraiment ses fruits. Aujourd’hui il n’y a pas photo, on couvre mieux le sol et en plus on améliore sa structure, je ne reviendrais plus en arrière. »
Lætitia Masson, conseillère agronomie à la chambre d’agriculture de l’Isère
Pour vous, qu’est ce qui est attractif dans cette technique pour les agriculteurs ?
Lætitia Masson : « Dans le groupe que j’anime, les premiers agriculteurs ayant adopté cette technique étaient sensibilisés aux associations de cultures, à la vie du sol, la biodiversité... Certains étaient engagés en agriculture de conservation ou en non-labour. La plupart limitent leur désherbage aux graminées, dès lors que l’implantation du colza et des couverts est réussie. »
Aujourd’hui, qu’est-ce qui décide les agriculteurs à se lancer dans cette technique ?
L. M. : « La perspective de réduire la fertilisation azotée de 30 unités au printemps compte. Tout comme le fait d’apporter un nouveau levier de lutte contre les ravageurs d’automne. Pour les agriculteurs engagés dans les réseaux Ecophyto Dephy, il y a aussi un intérêt à réduire l’usage des herbicides et insecticides. »
Quelles animations collectives ou actions ont été réalisées sur votre territoire autour de cette technique ?
L. M. : « Nous organisons des visites d’essais colzas associés ou de parcelles chez les agriculteurs, sous forme de rallye par exemple. Des articles paraissent également dans la presse, dans notre newsletter MinutAgro 38... »
Comment percevez-vous la dynamique vis-à-vis du colza associé dans votre secteur ?
L. M. : « Pour le moment, la technique reste assez peu développée et peu relayée par les organismes économiques, même si c’est en train d’évoluer. Dans la région, nous n’avons pas de problématique de fourniture d’azote, ni de gestion de l’enherbement pour le moment. Ce dernier point pourrait cependant contribuer à lancer la technique, avant de ne plus en avoir le choix, comme dans certaines régions. » n