Quel avenir pour la filière caprine ?

Samedi 20 juillet, à la veille de sa fête du picodon, Saoû a accueilli une journée d'ethnozootechnie caprine GEC-SEZ. La table ronde organisée à cette occasion a permis de soulever un sujet d'avenir : « quelles places et perspectives de la filière caprine en Drôme-Ardèche ? » Devant une trentaine de participants, Christian Nagearaffe, représentant du syndicat caprin de la Drôme, a animé les débats. Etaient invités à échanger sur le sujet, Karine Mourier, chevrière et présidente du syndicat du picodon AOP, ainsi qu'Eliane Bres, chevrière à Brette. Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d'agriculture de la Drôme, s'était excusé de son absence.
Des freins à l'AOP
Alors qu'au début des années 1960, la Drôme comptait près de 46 000 chèvres, le département en élève aujourd'hui la moitié moins. Et si le picodon connaît actuellement une stabilité de ses volumes (20 à 30 % des producteurs de fromages en Drôme-Ardèche sont en AOP), l'évolution du cahier des charges pose quelques difficultés. « Certains producteurs n'ont pas besoin de l'AOP, a observé Karine Mourier. Ils ont la volonté d'être unique et de proposer un fromage local, pas comme le picodon qui est, pour certains, un produit standardisé et générique. D'autres ont peur des contrôles permanents sur l'année, en termes de production et du goût, et n'ont pas envie de devoir rendre des comptes. Il faudrait réaliser un diagnostic au sein de la filière afin de déterminer les vrais freins qui empêchent les producteurs de nous rejoindre ».
Malgré tout, l'appellation a des atouts non négligeables : « L'AOP peut être un levier, notamment pour les laitiers qui bénéficient d'une valorisation supplémentaire. Pour les fermiers, cela offre des débouchés et des arguments commerciaux pour faire augmenter le prix du fromage », a expliqué Karine Mourier, qui a également insisté sur le « sentiment d'appartenance au terroir, à la filière ». Inès de Rancourt, chevrière à Saoû, a ajouté : « Nous avons la chance que l'AOP nous demande de faire sortir nos bêtes un maximum. Nous devons insister là-dessus. C'est un point vraiment important, d'autant plus que c'est ce que recherchent les consommateurs aujourd'hui ».
Un virage à prendre
Ces dernières années, le modèle économique tend à évoluer : la grande distribution perd des parts de marché. Et pour cause, les consommateurs recherchent davantage de produits locaux, du terroir, et sains. « Il y a une piste à creuser de la part des producteurs pour s'approprier un nouveau mode de distribution, de vente directe, a commenté Christian Nagearaffe. Nous devons retourner vers les consommateurs pour leur expliquer ce qu'on produit, comment on le fait, etc. Personne ne peut mieux l'expliquer que les producteurs. » Selon les intervenants, il s'agirait là d'un élément majeur à prendre en compte pour continuer de faire vivre la filière fromagère et fermière.
Mais, pour Karine Mourier, la problématique est toute autre : « Notre objectif est que notre métier soit viable et vivable. Le plus gros défi n'est pas tellement de réussir à écouler nos produits mais plutôt à vivre au quotidien : en tant qu'agriculteur, on ne veut plus être en décalage avec la société ». Pour cela, la question du prix du fromage, par exemple, suscite des interrogations. « On ne peut pas mettre en place une stratégie à ce sujet, a poursuivi la présidente du syndicat du picodon AOP. Les ententes sur les prix sont totalement interdites. En revanche, c'est localement, et en bonne intelligence avec ses voisins, qu'il faudrait s'entendre sur un niveau de prix. »
Le prix du foncier inquiète
Autre inquiétude pour la pérennité de la filière, celle du renouvellement des générations. Cela renvoie à l'éternel problème de la gestion du foncier. « C'est un domaine qui nous dépasse, nous en tant qu'ODG », a remarqué Karine Mourier. Le discours est le même pour Eliane Bres. Au fil du temps, et loin du bassin de consommation, elle redoute que les générations futures ne puissent faire perdurer le métier : « On ne peut pas multiplier le nombre d'élevages. La terre est très chère et très demandée. Il y a dix ans, un hectare se monnayait 1 500 €, contre
5 000 € aujourd'hui. Je ne vois pas comment un jeune, qui n'a pas de terre, qui n'est pas dans un cadre familial, pourra encore acheter. Ce n'est pas qu'on ne veut pas les voir arriver mais ce n'est plus possible. On ne veut pas les retrouver pendus... »
Des mots forts auxquels a réagi Christian Nagearaffe : « Le monde agricole s'est terriblement réduit, nous avons perdu énormément d'agriculteurs et nous avons vu apparaître d'autres usages pour le foncier comme la chasse, le loisir, qui amènent une surenchère supplémentaire. Peut-être que nos structures ne jouent plus leur rôle... N'oublions pas aussi que la Pac a beaucoup impacté le prix du foncier avec les primes ».
Et pourtant, dans certaines zones rurales, le maillage agricole est symbole de lien social. « Aujourd'hui, les élevages caprins permettent de conserver une crèche, une école, une caserne de pompiers... Il faut vraiment que cela perdure. », a confié Eliane Bres. Les décennies à venir devraient donc être déterminantes, non seulement pour la filière caprine mais pour le développement du territoire. Quant au picodon, s'il devait venir à disparaître, la filière caprine en serait menacée : « Cela resterait davantage du folklore reculé dans les montagnes... Aujourd'hui, je pense que l'AOP est une richesse du territoire. C'est un gage de sauvegarde de notre patrimoine, culturel, gustatif et biologique », a noté Karine Mourier. Un patrimoine gustatif quelque peu bousculé par les récentes communications du ministère de l'Agriculture quant au danger de consommation de fromages au lait cru par les enfants de moins de cinq ans.
Amandine Priolet