Quel vin produira-t-on dans 20 ans ?

«Sauvignon, grenache, chardonnay, merlot.... Dans quarante ans, il sera très difficile de produire ces vins dans le Sud de la France. » Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l'Inra à Montpellier, est formel : la viticulture est d'ores et déjà exposée au changement climatique. Hausse des températures, baisse de la pluviométrie moyenne, récurrence des extrêmes climatiques (gel, épisodes cévenols, grêle, sécheresse).... : les conséquences pour les vignobles sont nombreuses, de la baisse des rendements à l'avancée de la date des vendanges, en passant par la hausse des taux d'alcoolémie ou les évolutions des arômes. Pour faire face, la filière viticole est déjà à pied d'œuvre : « Tous les vignerons sont conscients de l'urgence qu'il y a à agir, affirme le chercheur. Aujourd'hui, scientifiques et professionnels travaillent ensemble et explorent des pistes d'adaptation au changement climatique. »
Des variétés de pays du Sud...
Liz et William Robinson sont installés depuis 2004 à Murviel-lès-Montpellier, sur une quinzaine d'hectares de sol plutôt caillouteux. En bio depuis 2009, le Domaine de Saumarez a adopté des cépages venus du sud dans son vignoble : « San giovese italien, petit verdot du Sud-Ouest et le malbec argentin, sur des surfaces réduites, liste William Robinson. Des variétés d'abord plantées par passion et par intérêt commercial mais qui s'avèrent intéressantes pour leur résistance à la chaleur. Elles l'ont prouvée lors de la sécheresse de 2017 : ce sont les seules qui ont donné de bons rendements, tandis que toute la production a chuté pour tous les autres cépages. »
Greffées en 2013, ces variétés étaient dès 2015 en pleine production. « Je ne produis que de petites quantités de ces variétés et les commercialise uniquement en direct à la cave », explique-t-il. Mais il est certain que progressivement, en Occitanie, des surfaces de plus en plus importantes seront consacrées à ces cépages résistants, au détriment de ce qui se fait aujourd'hui. Lui-même repense peu à peu ses parcelles selon l'altitude et l'exposition en se projetant sur les années à venir. « J'ai récemment arraché une parcelle de cabernet, située plein sud, qui a beaucoup souffert des dernières sécheresses. »
Aussi le vigneron va-t-il bientôt tester le cépage grec agiorgitico, sur une petite parcelle : « Il donne un vin de qualité et est très adapté aux conditions climatiques. Ses faibles besoins en eau et son adaptation au terroir local sont intéressants, d'autant plus que depuis début janvier, nous n'avons reçu que 20 mm de pluies... »
...aux variétés anciennes
Le syndicat de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) Languedoc introduit également des variétés plus résilientes dans son vignoble. Une démarche auprès de l'Inao est en cours pour que les vignerons puissent introduire 5 à 10 % d'autres cépages dans leurs assemblages. « Nous revenons à des cépages anciens, historiquement présents dans la région (grenache gris, rivairenc, carignan gris et terray gris en rosé, piquepoul gris en blanc...), abandonnés car jugés insuffisamment productifs », explique Bruno Loquet, membre du syndicat. Des dégustations de vins d'assemblage intégrant ces cépages patrimoniaux ont été organisés, « et cela a plu aux vignerons, qui découvraient et parfois redécouvraient ces arômes ».
L'appellation introduit peu à peu des cépages « à fin d'adaptation », notamment grecs et italiens : assyrtiko, agiorgitico, nero d'avola, montepulciano. « Nous sommes en phase test. L'objectif est de pouvoir incorporer une quantité de ces cépages dans nos vins, sans déstructurer ni dénaturer le produit, et en veillant à préserver toutes ses qualités gustatives. » Les vins IGP Pays d'Oc ont eux aussi engagé une démarche similaire d'adoption de nouveaux cépages.
Variétés résistantes :l'Inra innove !
De son côté, l'Inra travaille à la création de nouvelles variétés. Tout d'abord par le croisement de cépages existants, comme le marselan, créé en 1961 par l'Inra et SupAgro de Montpellier à partir du grenache et du cabernet sauvignon réputé résistant à la sécheresse. Il est aujourd'hui présent dans la vallée du Rhône. Seconde méthode : l'hybridation, soit le croisement successif de cépages réputés avec une vigne sauvage présentant des caractéristiques intéressantes pour l'adaptation au changement climatique. « Une méthode qui ouvre de nombreuses perspectives également pour la réduction des intrants », estime Jean-Marc Touzard (Inra). Quatre cépages de l'Inra, issus de croisement entre vignes européennes et américaines, ont ainsi été inscrits en janvier 2018 au catalogue français des variétés végétales. Vingt-cinq autres sont en cours d'études.
Un bémol cependant : certains pathogènes, comme le mildiou, ont démontré une capacité d'adaptation et de mutation qui leur permet de contourner la résistance génétique. Un écueil que les chercheurs s'emploient à éviter, avec déjà des premiers résultats probants.
Et le goût, dans tout ça ?
« Quand j’ai commencé mon métier il y a quarante ans, on atteignait difficilement les 12 % de taux d’alcool. Aujourd’hui, on atteint aisément les 14 à 14,5 %, explique Jean-François Vrinat, œnologue dans le secteur du Pic Saint-Loup, aujourd’hui retraité. Cela donne des vins plus épais, plus tanniques et plus forts en bouche. » Les vignerons ont ainsi dû revoir leurs pratiques, au champ et à la cave. L’introduction de cépages résistants permet de contrecarrer ces effets. « Ils mûrissent plus lentement, donnent davantage d’acidité et donc un vin plus fin, plus frais, aux arômes plus fruités », souligne l’œnologue.Le saviez-vous ? Un chiffre à retenir : 3 %
Entre 1980 et 2016, le taux d’alcoolémie moyen des vins de la région a augmenté de près de 3 %. Le niveau du sucre des raisins, dont dépend le taux d’alcool du vin, a en effet augmenté du fait de l’ensoleillement.Trois questions à / Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l’Inra.
« Adaptation doit rimer avec atténuation »
Où en sont les recherches sur l’adaptation au réchauffement climatique ?
J.-M.T. : « Une centaine de chercheurs de l’Inra et de laboratoires associés sont réunis depuis 2012 au sein du projet Laccave pour répondre à ces enjeux. La première phase a consisté à étudier les impacts du changement climatique et les leviers d’adaptation pour la viticulture. Parmi ces leviers : le travail sur les cépages, les changements de pratique en matière de gestion des sols et de l’espace, l’irrigation, les pratiques œnologiques, volet assurantiel et volet politique.
Nous avons ouvert une seconde phase du projet en 2018, beaucoup plus en lien avec le terrain, dans une démarche de recherche participative. Aujourd’hui, caves coopératives, syndicats, organisations de producteurs, chambres d’agriculture et petits groupes informels, qu’ils soient bio ou non, s’organisent pour expérimenter et mettre en commun leurs techniques afin de s’adapter au changement de climat. Les solutions de demain seront locales, propres à chaque région, à chaque terroir. »
S’adapter est souhaitable, mais est-ce suffisant ?
J.-M.T. : « Il faut aussi veiller à ce que l’adaptation de la viticulture au changement ne se fasse pas au détriment de la biodiversité. Par exemple, nous encourageons à mécaniser le désherbage par exemple. Mais la multiplication des tracteurs et du machinisme peut aussi signifier plus d’émissions de CO2. C’est pourquoi nous tentons de trouver des solutions d’adaptation mais aussi d’atténuation du changement. L’enherbement inter-rang est, par exemple, à la fois un moyen d’améliorer la rétention de l’eau dans les sols, de leur apporter une meilleure structure et, aussi, de capturer du CO2. »
Et dans le monde, comment sont considérés ces enjeux ?
J.-M.T. : « Le changement climatique concerne toutes les régions viticoles du monde. La France est plutôt en avance sur ces questions, et l’Inra sollicitée en Australie, autant qu’aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud, qui ont repoussé les effets du changement avec l’irrigation mais se retrouvent aujourd’hui démunis alors que la ressource se raréfie. Aussi, le projet Laccave a servi de base au plan national d’adaptation au changement climatique du ministère de la Transition écologique. »