Quelques centimes pour la survie des éleveurs laitiers

Ils avaient tout d'abord pensé à un barrage filtrant. Mais l'objectif premier n'était vraiment pas de gêner les habitants. Exit les images de débordements. Ici, le rassemblement organisé par la fédération départementale des producteurs de lait (FDPL) de la Drôme se voulait avant tout pacifique et constructif. Ainsi, dès 10 heures, une soixantaine de personnes s'est réunie sur les berges de la Galaure à Hauterives. Certains élus avaient également fait le déplacement, tels Serge Brunet (maire d'Hauterives), Pierre Jouvet (président de la communauté de communes Porte de DrômArdèche), Aurélien Ferlay (maire de Moras-en-Valloire et conseiller régional), Daniel Arnaud (maire de Tersanne), Micaël Bordas (Saint-Martin-d'Août) ou encore Thierry Sénéclauze (conseiller régional). La députée Nathalie Nieson ainsi qu'Emmanuelle Anthoine, élue à Hauterives et vice-présidente au conseil départemental de la Drôme, étaient excusées.
L'agriculture, cette variable d'ajustement
Pour sûr, ce rendez-vous était un rassemblement de désarroi. Comme un dernier espoir. Il faut dire que les revendications sont légitimes. Le prix du lait se dégrade, une situation qui pèse sur les trésoreries. Si celle-ci devait perdurer, de nombreuses exploitations mettront la clé sous la porte, avec pour conséquence la destruction d'emplois directs et indirects.
Dans un communiqué, qui a été lu devant l'assemblée, la FDPL demande ainsi « la révision de la répartition des marges entre les acteurs de la filière ». Comme l'a précisé Jean-Pierre Chancrin, éleveur laitier, le prix du litre de lait est progressivement passé de 36 centimes d'euros en 2014, à 32 en 2015 (fin des quotas). À l'heure actuelle, les propositions oscillent entre 28 et 30 centimes. Or, le coût de production est de 30 centimes. Une situation intenable. L'enjeu est important : il s'agit de vivre du métier sur le territoire.
Les élus invités à réagir
« Et si avant d'installer des portiques de sécurité dans les lycées, on proposait du lait aux lycéens ? », a lâché l'un des agriculteurs. « Des chômeurs touchent plus de 1 000 euros alors qu'ils ne travaillent pas. Nous bossons plus de 60 heures par semaine », a soulevé un autre. « Reprenez la main sur vos administrations ! », a exhorté un dernier. Tour à tour, les élus, dans la ligne de mire des éleveurs en crise, ont tenté de s'expliquer. Un échange vrai et apprécié de tous.
Aurélien Ferlay (PS) a ainsi indiqué accepter « d'en prendre plein la gueule ». Oui, car il faut l'avouer, les agriculteurs n'ont pas hésité à hausser le ton. Une colère toutefois saine. L'élu notait qu'à son niveau, il essayait de faire des choses et n'a cessé d'accompagner les agriculteurs porteurs de projets. Il a également précisé que les produits servis à la cantine de sa commune étaient cuisinés à la MFR d'Anneyron et achetés auprès d'agriculteurs locaux. D'autre part, il a expliqué avoir essayé de faire des choses, même s'il n'y arrivait pas toujours. « Pas assez, je l'entends. », a-t-il avoué.
Pierre Jouvet (PS) a dit aussi avoir compris ce ras-le-bol. Il faut dire que l'élu communautaire rencontre régulièrement des agriculteurs sur son territoire et voit ces difficultés. Il a aussi rappelé ses actions locales en la matière, ainsi que la création de la plateforme Agrilocal. Mais là aussi, Pierre Jouvet a rappelé ne pas être parlementaire. Il s'est toutefois engagé à faire remonter les revendications auprès de la députée Natalie Nieson et du ministre Stéphane Le Foll.
Aimé Chaléon (LR) a quant à lui dit avoir bien entendu les diverses revendications. Il a noté aussi que, pour sa part, la politique agricole du Département reste « limitée ». Thierry Sénéclauze (FN), enfin, a proposé plusieurs solutions pour aider les agriculteurs, dont priver de subventions les grandes coopératives qui ne jouent pas le jeu. Il s'est en tout cas dit prêt à travailler avec les autres élus.
Réguler le marché laitier
Selon la FDPL, des décisions politiques fortes doivent être prises pour sauver l'élevage laitier drômois. Ce jeudi, aucun parlementaire n'était présent. Pour autant, de nombreuses questions ont été soulevées. Chaque profession connaît son prix de vente : pourquoi n'est-ce pas le cas d'un éleveur laitier ? Comment autoriser de vendre à perte ? Pour Thierry Ageron, président de la fédération, il ne peut y avoir qu'une seule solution : la régulation du marché laitier. « Il n'y a qu'à Bruxelles que cela peut se faire », a-t-il souligné.
Aurélien Tournier
Une opération au supermarché
Aux alentours de midi, les éleveurs accompagnés des élus se sont rendus au magasin Intermarché d'Hauterives. C'est dans le calme, et sans avoir causé de dégâts, qu'ils ont ainsi parcouru les allées et contrôlé le prix du lait et du fromage. Une opération qui se voulait pédagogique. De quoi constater également les prix en rayon et les marges des intermédiaires.
Témoignages / Lors de l'action de la FDPL, le 4 février à Hauterives, les éleveurs ont exprimé leurs difficultés. Le ressenti de certains d'entre eux.
Une profession qui vit au jour le jour
Ce jeudi, les agriculteurs étaient nombreux à témoigner de leurs difficultés. Dans leurs rangs, Céline Ferlay, productrice laitière au Grand-Serre et vice-présidente à la FDSEA de la Drôme. Agée de 45 ans, la voilà aussi confrontée à cette réalité. « C'est catastrophique : baisse des revenus, une situation critique, des difficultés pour entrevoir des perspectives positives. Parfois, le revenu, c'est zéro. On gère vraiment au quotidien, ce n'est plus possible de faire des projets ». Des difficultés qui ont un impact sur la vie familiale. L'un de ses fils, Antoine, aimerait rejoindre l'exploitation. Mais, dans pareilles circonstances, difficile de l'imaginer. Antoine n'est pas seul, la fratrie compte au total quatre enfants. « Il faudra aussi payer les études secondaires des autres. Mais où trouver l'argent ? », s'interroge-t-elle.Jean-Pierre Chancrin, 55 ans et dont l'exploitation est située à Hauterives, arrive quant à lui à couvrir les charges mais plus à se rémunérer. « C'est une période suicidaire. Nous ne sommes pas ici à Hauterives de gaieté de cœur, nous sommes venus le cœur dans l'âme. De Saint-Vallier à Roybon, cette vallée compte plus de 1 000 vaches laitières, qui font vivre plus de 30 familles », indique-t-il.
Lilian Berthelin, âgé de 29 ans et installé à Saint-Uze, sent lui aussi cette crise financière. Pour l'heure, ses perspectives sont assez claires : dans deux à trois ans, il pourrait arrêter la production de lait. « Je ne peux pas faire une production qui n'est pas rentable », explique-t-il.
A. T.