Ravageur émergent, la punaise diabolique inquiète

La punaise diabolique (Halyomorpha halys) s'est invitée à la rencontre technique de Fruits Plus le 12 février à Anneyron D'abord, Romain Garrouste, entomologiste et écologue (spécialistes des hémiptères) au Muséum national d'histoire naturelle, a apporté sa connaissance scientifique sur cet insecte invasif. Puis Nicolas Drouzy, conseiller à la chambre d'agriculture Savoie-Mont Blanc, a fait part de son expérience et de celle de ses collaborateurs du Piémont italien (confrontés à un problème aigu). Mais avant, il a repris les conclusions de rencontres qui avaient eu lieu en 2015 : « L'éradication et/ou le confinement de la punaise diabolique ne sont plus possibles. L'invasion de France est inévitable ».
Cette punaise est « extrêmement polyphage et cause des dégâts à de nombreuses cultures », a-t-il commenté. On lui connaît plus de 120 plantes hôtes : arbres fruitiers, cultures maraîchères, grandes cultures. Les piqûres d'alimentation et l'injection d'une salive riche en amylases provoquent des dépressions à la surface des fruits. Les dégâts sont observés environ trois semaines avant récolte et vont en s'amplifiant. Les punaises changent d'hôtes et suivent la maturité des fruits. Pour elles, la poire, la pêche, la nectarine sont plus attractives que d'autres espèces (comme la pomme). Et, au sein d'une espèce, des variétés semblent l'être plus que d'autres.
En 2019 : de gros dégâts en Savoie
En Savoie, ces punaises pullulaient dans les habitations du bassin chambérien à l'automne 2018. En juillet 2019, quantité d'éclosions ont été observées début juillet. Dans les pièges (deux types essayés), les captures ont été élevées en août, septembre, octobre et « les dégâts énormes, à commencer sur William's, a précisé le conseiller. Le bassin de La Motte-Servolex a été très touché (zone agricole périurbaine avec vergers imbriqués entre les maisons). Des parcelles ont été atteintes à 100 % (fruits invendables). Classiquement, on avait des punaises Raphigaster nebulosa mais jamais autant de dégâts. Ça a été la catastrophe : des pêches, poires, pommes toutes déformées, bosselées. » La noisette est aussi très attractive pour la punaise diabolique (« en Géorgie, c'est le carnage »). Le frêne est également un hôte de ce ravageur, a signalé Romain Garrouste. L'environnement des vergers, les haies sont donc à surveiller.
A surveiller de près
Entre la sortie de leurs abris hivernaux et leur arrivée dans les vergers, on ne sait où sont les punaises diaboliques. Pour en savoir plus, « cette année, on va multiplier les sites de piégeage, a dit Nicolas Drouzy. En avril, on mettra des pièges (à phéromone) autour des maisons pour surveiller leur sortie. En mai, on fera davantage d'observations dans les vergers, notamment dans le haut des arbres, les filets paragrêle, faîtages et la végétation environnante. »
Observer les punaises diaboliques sur les arbres est difficile : elles se cachent sous les feuilles, sont très mobiles, se laissent tomber au sol. Les battages sont un moyen de vérifier leur présence : mieux vaut les réaliser tôt le matin (elles sont moins mobiles).
Recherche de parades
Quant aux moyens de protection, selon des tests faits par les Italiens, traiter en préventif ne sert à rien. Traiter directement sur l'insecte peut avoir une efficacité mais aucun produit n'a une action choc ; la mortalité n'est pas immédiate. Utiliser des produits à large spectre d'efficacité « risque de cabosser tous les efforts de PFI* réalisés », de déséquilibrer le système en tuant des auxiliaires régulateurs de ravageurs. Ce serait un recul de vingt ans en arrière. Les produits bio sont peu efficaces. Le CTIFL gère des essais depuis 2016, a indiqué Pascal Borioli, directeur du GRCeta de Basse Durance. Des produits phytosanitaires, produits alternatifs ont été testés mais « il n'y a pas grand chose qui fonctionne ». De son avis, « la lutte phytosanitaire, aujourd'hui, n'est pas la solution ».
Pour Nicolas Drouzy, « la meilleure solution, la plus rapide semble être de fermer les vergers avant le retour des punaises (mi-juin) avec des filets paragrêle au-dessus et des barrières latérales autour (filets anti-insectes). La solution chimique pourra être un appoint à condition qu'elle soit bien conduite. C'est pour ça qu'on va étudier un modèle. Mais la base, c'est l'observation. On va essayer, malgré tout, le piégeage massif pour attirer des punaises diaboliques hors du verger. On devrait aussi étudier des plantes de service ». Et de signaler la mise en place d'un projet avec différentes stations d'expérimentation sur l'étude de cette punaise et des alternatives à la lutte chimique. Et un autre, de l'Inra, sur l'observation de l'insecte et l'étude de parasitoïdes.
Annie Laurie
* PFI : production fruitière intégrée.
Plus de 120 « hôtes »
Plus de 120 plantes « hôtes » de punaises diaboliques sont connus :- arbres fruitiers : pommier, pêcher, cerisier, noisetier, prunus, pyrus, ficus, citrus, rubus...
- cultures maraîchères : haricot, tomate, poivron, aubergine, maïs doux, brassica, cucurbita....
- grandes cultures : soja, maïs, blé, tournesol...
Punaise diabolique / On sait que la punaise diabolique a une grande capacité de dispersion, un fort potentiel de reproduction... mais on a encore à apprendre sur sa biologie.Une espèce invasive




« L'une des raisons de la détection tardive de Halyomorpha halys tient à sa ressemblance avec d'autres punaises », a expliqué Romain Garrouste. Une ressemblance « poussée », même, avec Raphigaster nebulosa, qui a le même comportement en début d'automne : agrégation, rassemblement dans les habitations (y compris en villes) pour hiverner (sous forme adulte). Pour les différencier, Nicolas Drouzy, conseiller chambre d'agriculture, observe entre autres les antennes : les deux segments les plus éloignés de la tête de Halyomorpha halys sont blancs sur une petite partie de chaque côté de l'articulation qui les relie. Chez Raphigaster nebulosa, la bande blanche n'est présente que sur le dernier segment. Autres critères de reconnaissance, Halyomorpha halys n'a pas d'épine abdominale et la membrane de ses ailes (visible à l'extrémité de l'abdomen) n'a pas de taches alors que celle de Raphigaster nebulosa est mouchetée de points noirs.Un insecte piqueur-suceur
Insecte piqueur-suceur, cette punaise se nourrit de la sève des végétaux (feuilles, fruits, bourgeons). Elle a une grande capacité de dispersion, bouge beaucoup, vole très bien. Elle a un fort potentiel de reproduction et une grande fécondité. Elle pond entre 80 et 400 œufs par femelle. Et ce, sous forme d'ooplaque de 20 à 30 œufs blancs (Raphigaster nebulosa : 14 œufs noirs) sur la face inférieure des feuilles, qui éclosent trois à six jours après. La punaise diabolique passe par cinq stades larvaires et, dans son aire d'origine, il y a jusqu'à quatre générations par an. Elle ressort des habitations au printemps. Les premières pontes se situeraient à la mi-juin. Entre la ponte et l'adulte s'écoulent 40 à 60 jours. Pour avancer dans la compréhension de la punaise diabolique, « il nous manque le recul de la génétique », a conclu Romain Garrouste.A. L.