Récolte fruitière : une année noire à tous les niveaux
Après le gel exceptionnel d’avril dernier, les structures de mise en marché de la filière arboricole gèrent tant bien que mal cette campagne 2021. Le point sur la situation avec des opérateurs drômois.

La production fruitière dans le département de la Drôme a été durement touchée par le gel du 7 et 8 avril 2021. Les volumes sont considérablement restreints, comme en témoigne Christophe Claude, directeur général de la coopérative Rhoda-Coop à Saint-Rambert d’Albon. « La récolte est extrêmement faible, en particulier sur notre produit phare qui est l’abricot, avec une prévision inférieure à 10 % des volumes. C’est catastrophique. Sur la cerise, nous sommes à 15 ou 20 % de récolte. Au niveau des pêches et nectarines, la diversité des terroirs et des territoires permettra d’avoir une demi-récolte, mais en Drôme et Ardèche, nous ne serons pas loin du zéro pointé », poursuit-il. Pour limiter les dégâts économiques, Rhoda-Coop a fermé des sites de réception, en réduisant le recrutement de main d’œuvre, « tout en respectant les besoins des producteurs ».
« Il est dangereux d’être hors du marché »
La difficulté désormais sera de continuer d’exister sur les marchés. « C’est une triple peine : pour nos adhérents, pour notre structure économique et pour la partie commerciale. La production française est dans un mauvais tournant et il est dangereux d’être hors du marché. » C’est pourquoi Rhoda-Coop est déjà tourné vers l’avenir : « Il faut d’ores et déjà préparer 2022. On ne perd pas juste une saison mais presque 21 mois sans exister sur le marché. Quel est l’industriel, quelle est l’entité économique qui peut supporter cela ? Il ne faut pas que les clients oublient les entreprises de la vallée du Rhône », alerte Christophe Claude, qui souligne toutefois l’esprit de résilience des 300 producteurs adhérents à la coopérative. L’entreprise du Comptoir Rhodanien à Tain-L’Hermitage dresse également un constat assez dramatique, avec un manque de volumes de plus de 80 %, cerises et abricots confondus, en Drôme et Ardèche. « Notre production complémentaire dans le sud de la France va limiter les dégâts », estime Christophe Soulhiard, le PDG du groupe. « C’est une triste année. Malgré tout, il faut rebondir. Je ressens de la part de toute la profession arboricole une certaine démobilisation. Même si les aides viendront en partie compenser ces pertes, nous aimerions bien pouvoir vivre du fruit de notre travail. Moralement, c’est compliqué », ajoute-t-il.
Des récoltes entre pluies et orages de grêle
Du côté de Lorifruit, le contexte est similaire. « Les volumes sont encore amoindris par la météo de ces dernières semaines », juge Katia Sabatier-Jeune, la présidente. L’état qualitatif des abricots s’est dégradé, notamment avec des problèmes de marbrure. Elle espère donc de meilleures conditions pour la récolte des pêches, afin de proposer sur le marché des produits de qualité. Mais la situation est compliquée : « Le marché se cherche beaucoup. Toutes les enseignes ne jouent pas le jeu et les consommateurs ne sont pas au rendez-vous. Pourtant, les fruits d’été ne resteront pas longtemps en rayons », regrette-t-elle. Katia Sabatier-Jeune évoque également ce qui sera, selon elle, la problématique majeure de la filière arboricole dans les mois à venir : le recrutement et la gestion de la main d’œuvre, en déclin total.
Plus au sud, du côté des adhérents du syndicat de l’Abricot des Baronnies, les récoltes d’abricots précoces, comme l’Orangered, touchent à leur fin. « Nous avons pu récolter 15 % de la production », annonce Franck Bec, le président, par ailleurs producteur à Saint-Auban-sur-L’Ouvèze. Les variétés tardives seront elles aussi revues à la baisse, tout comme les abricots de saison. « Il semblerait qu’on atteigne 20 % de la production », espère-t-il. D’ordinaire, les producteurs des Baronnies récoltent près de 10 000 tonnes. Cette année, les volumes globaux devraient atteindre seulement
1 500 tonnes. Malgré tout, Franck Bec se veut rassurant pour les années futures : « L’image de l’abricot des Baronnies est déjà reconnue. Si nous avons les volumes nécessaires l’an prochain, nous serons présents sur les marchés et les acheteurs seront au rendez-vous », espère-t-il.
Quant à l’enveloppe de 150 millions d’euros d’aides annoncée par l’Etat et destinée aux entreprises de l’aval, les réactions sont mitigées : « nous attendons beaucoup de la main tendue du gouvernement même si nous savons que cela ne suffira pas », déclare Christophe Claude. « Nous faisons face à un manque de visibilité totale. Nous avons besoin de connaître les retombées pour commencer à rebondir et pouvoir payer, avec équité, nos producteurs », conclut Katia Sabatier-Jeune.
Amandine Priolet
Le point sur la situation
Régis Aubenas / « Le moral des producteurs est au plus bas »
Président de la section fruits à la FDSEA de la Drôme et arboriculteur à Châteauneuf-sur-Isère, Régis Aubenas ressent une baisse de moral au sein de la profession arboricole. « Le moral des producteurs n’est pas très bon, voire au plus bas », annonce-t-il. Deux raisons à cela : le manque de volumes lié à la période de gel d’avril dernier, combiné aux intempéries du début du mois de juillet. « Depuis deux semaines, il ne fait que pleuvoir », soulignait-il le 6 juillet dernier. « Il y a des orages de grêle ici et là. Le métier est déjà compliqué, mais aujourd’hui, tout se cumule ». Avec la pénurie de fruits locaux – et des prix soutenus -, la clientèle est aux abonnés absents. « Les consommateurs ne sont pas là puisque la météo n’est pas au rendez-vous ». La campagne de commercialisation s’annonce donc rude : « c’est déroutant qu’avec si peu de volumes, nous devions autant batailler », déplore-t-il. Autre problématique à souligner, le manque de main d’œuvre. Alors que les besoins sont moindres au regard de la faible récolte de l’année, les bras manquent. « C’est compliqué de trouver de la main d’œuvre. En cas de pleine campagne, je ne sais pas comment on aurait fait », s’inquiète Régis Aubenas. L’arrivée des contrats Ofii a également été retardée, en raison de nouvelles procédures pour entrer sur le territoire. « Des analyses sérieuses seront à effectuer en fin de campagne pour pouvoir anticiper la récolte 2022 », conclut, anxieux, le président de la section fruits.
* Office français de l’immigration et de l’intégration
Bruno Darnaud / « Le marché n’est pas fluide »
Arboriculteur à La Roche-de-Glun, Bruno Darnaud est président de l’AOP Pêches et Abricots de France depuis 2011. Pour la campagne 2021, la situation est hétérogène entre les différentes régions. Suite aux épisodes de gel du printemps, les chiffres sont toutefois sans appel : « Le manque de volumes se confirme. En abricot, la récolte nationale devrait approcher des 30 à 35 %. En pêches et nectarines, nous espérons atteindre 60 à 70 % des volumes habituels », explique-t-il. Si les conditions météorologiques du printemps ont eu des conséquences directes sur les fruits, elles jouent également une part importante en cette période de récolte et de mise sur le marché. « La météo actuelle nous fait défaut, notamment au niveau de la commercialisation. Le marché n’est pas fluide. De plus, face à l’irrégularité des volumes chaque année, les enseignes ont du mal à se projeter. Elles ont d’ailleurs du mal à basculer en pêches et abricots français, face à la hausse des cours et la peur du manque », conclut-il.
A. P.