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Expérimentation

Réduction d'intrants dans les vergers : des stratégies comparées

Des moyens existent pour réduire les intrants dans les vergers. Mais ils ont un coût et augmentent la prise de risques. Des essais conduits sur nectariniers, pommiers et abricotiers le montrent.
Réduction d'intrants dans les vergers : des stratégies comparées

Sur nectariniers à la Sefra

 « Il est essentiel de chercher des solutions pour réduire l'utilisation des intrants au sens large ». Ainsi Yannick Montrognon a-t-il introduit son intervention lors de la journée technique organisée par la Sefra (station expérimentale fruits Rhône-Alpes), le 27 septembre à Etoile-sur-Rhône. En tant que technicien chargé du programme pêches et nectarines au sein de cette station, il suit un essai mis en place en 2012 sur la plateforme Tab* à la ferme expérimentale d'Etoile dans le cadre du projet Ecopêche. Trois modes de conduite y sont comparés sur nectariniers : raisonnée (RAI), faibles intrants (FI) et agriculture biologique (AB). Voici les enseignements tirés de cette expérimentation.

« Il est inenvisageable, avec les variétés actuelles, de produire des pêches en

Yannick Montrognon a constaté une perte de vigueur (de croissance) dans le système FI à partir de la troisième année, où la quantité d'azote apportée a été réduite de 30 % par rapport au système RAI. En tonnage commercialisable cumulé de 2014 à 2017 (récolte 2016 perdue à cause de la grêle), par rapport à RAI, la production en FI est inférieure de 14 % et celle en AB de 52 %. Le technicien a donné un coût moyen de main-d'œuvre (sur les trois ans) de 0,50 euro le kilo en AB et 0,35 dans les deux autres systèmes. Et un prix de vente moyen (fourni par l'AOP** pêches et abricots de France) de 3,13 euros en AB, 1,32 en RAI et 1,29 en FI. AB a dégagé une marge cumulée « impressionnante » grâce à un prix de vente élevé.

Produits « verts », désherbage mécanique

Différents méthodes alternatives ont été mises en œuvre dans l'essai. Des produits « verts »*** : huile contre les pucerons, glu contre les forficules, soufre contre l'oïdium, confusion sexuelle contre la tordeuse orientale du pêcher... Le désherbage mécanique avec des disques de buttage et débuttage est « un très bon système » (les racines ne sont jamais atteintes). En AB, la conservation post-récolte est « un point noir » : 50 % des fruits pourris au bout de 6,6 jours en 2015 (contre 16,5 en FI et 19 en RAI) et de 4 jours en 2017 (contre 12 en FI et RAI). Pour le monilia, « le douchage à l'eau chaude en post-récolte sera peut-être une solution », note Yannick Montrognon.

La génétique, levier numéro un

Au regard des résultats obtenus, sur le terrain et en post-récolte, il estime « inenvisageable, avec les variétés actuelles, de produire des pêches en "zéro résidu" sans compensation financière. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas travailler le sujet. La génétique est le levier numéro un. » Concernant la cloque du pêcher (toutes les variétés commerciales plantées à la Sefra y sont « hypersensibles »), pour réduire les intrants, il conseille d'utiliser les produits les moins nocifs. Il constate aussi que les réductions importantes d'intrants peuvent engendrer des problématiques de ravageurs secondaires. Et il remarque : « Si une variété est sensible aux ravageurs, vous pourrez être le meilleur, mettre en œuvre tous les leviers possibles, la marge sera faible dans un système AB ou FI. Par contre, si elle est tolérante à tout, vous pourrez réussir ». Et la stratégie AB est « la seule à prendre en compte le risque, avec ses prix de vente élevés ». Mais le calendrier des variétés ainsi cultivables est très restreint.

 Sur abricotiers à Balandran, Gotheron et ailleurs

Muriel Millan, du centre CTFL de Balandran, a fait le point sur différents moyens de réduction des intrants testés en vergers d'abricotiers.

Pour son intervention à la journée technique de la Sefra sur la réduction des intrants, Muriel Millan, du CTIFL (centre technique interprofessionnel des fruits et légumes) de Balandran (Bellegarde, Gard), s'est appuyée sur des travaux de groupe, les projets CAP ReD**** et FAN de BIO*****.

Prophylaxie, impasses

Comme moyens, l'intervenante a d'abord cité la prophylaxie, notamment sur monilia : taille, retrait des momies. Autre possibilité : faire des impasses, si les conditions météorologiques et la pression parcellaire le permettent, d'un ou deux traitements monilia sur fleur et fruit, oïdium, rouille, tavelure. C'est, cependant, une prise de risque. Cette solution nécessite des outils d'aide à la décision pour le pilotage mais, en abricot, « il n'y a pas grand-chose ». Dans le cadre de FAN de BIO, avec l'Inra de Gotheron (Saint-Marcel-lès-Valence), un modèle de prévision de risque a été conçu pour monilia sur fleur. « Il ne révolutionnera peut-être pas les traitements mais permettra d'en supprimer un ou deux et de "taper" au bon moment, a commenté Muriel Millan. On va l'intégrer dans nos futurs essais. »

Biocontrôle

Autre levier, le biocontrôle avec des produits « verts » : le soufre au printemps contre la rouille et l'oïdium ; l'argile en automne contre les pucerons - « qui fonctionne mais dont l'application est à refaire après une pluie » - ; le BNA contre le psylle (ECA) - « qui est cher, compliqué à appliquer et ne semble pas très efficace » - ; le Curatio (polysulfure de calcium) - « intéressant mais coûteux et compliqué à positionner » (conditions d'humidité) ; la confusion sexuelle - « bien mais chère ».

Doses réduites, bâche anti-pluie

L'Inra de Gotheron a testé la bâche anti-pluie avec la palmette densifiée. Crédit photo : CTIFL.

Le mur fruitier (forme plate) taillé à la barre de coupe et traité avec un pulvérisateur tangentiel (prototype) a été mis à l'essai par Sud Expé. « Cela veut dire une densification de la production. Résultats 2017 : rendement de 31 tonnes à l'hectare et IFT réduit de 60 %. » L'Inra de Gotheron, lui, a testé la bâche anti-pluie avec la palmette densifiée. La bâche s'est révélée efficace contre monilia et rouille (baisse de l'humectation). Inconvénients : des fruits moins colorés et une maturité décalée. « Ces deux leviers fonctionnent pour réduire l'utilisation de produits phytosanitaires mais obligent à re-concevoir le verger, le coût est important. »

Greffage haut, choix variétal

Contre la bactériose, en essai à Gotheron, le greffage haut se révèle « efficace sur variétés sensibles mais génère un surcoût » (car demande spécifique au pépiniériste). L'intervenante a aussi « enfoncé le clou » sur le choix variétal : « l'efficacité peut être très importante sur certains bioagresseurs. » Dans le cadre de FAN de BIO, un travail est en cours sur un calendrier de variétés modernes et de qualité gustative recommandées en bio (peu sensibles au monilia sur fleur).

Forficules, agroécologie

Piégeage massif de forficules à l'aide de pots placés dans les arbres. Crédit photo : CTIFL.

Contre les forficules, la glu est efficace mais chère, se salit vite. A en outre été pratiqué le piégeage massif à l'aide de pots placés dans les arbres. « On est arrivé à capturer 700 individus par pot et à réduire les dégâts. » Testée dans le cadre de CAP ReD, l'agroécologie consiste à favoriser la biodiversité et la régulation naturelle en installant poteaux, nichoirs, haies composites, surfaces aquatiques, bandes fleuries... « Ce sont des solutions à long terme mais intéressantes. »

Adventices

Contre les adventices, dans le cadre de CAP ReD, ont été comparés travail du sol, mulch, bâche tissée, enherbement et désherbage par biocontrôle. « Deux leviers sont à retenir : le travail du sol et la bâche tissée. » Celle-ci est coûteuse « mais quand elle est amortie sur dix ans, elle revient à peu près au même prix que le désherbage chimique ». L'enherbement et le mulch sont « intéressants aussi » mais déconseillés dans un verger jeune car ils sont très concurrentiels.
En abricot, a conclu Muriel Millan, il existe des moyens pour réduire les herbicides et insecticides, moins pour les fongicides. Ils ont cependant un coût et augmentent la prise de risques. Les systèmes Eco (économes en intrants) sont moins rentables que PFI (production fruitière intégrée) : perte de rendement en conduite classique, davantage de déchets, coût de mécanisation plus élevé. D'où la nécessité de mieux valoriser les fruits (label agriculture biologique ou autre). Quant aux systèmes Eco densifiés, il semblent intéressants. Mais les expérimentations sont à poursuivre pour vérifier leur efficacité et rentabilité.

Annie Laurie

* Tab : techniques alternatives et biologiques.
** AOP : association d'organisation de producteurs.
*** En général, produits n'ayant pas de phrase de risques mentionnée sur l'étiquette (c'est-à-dire pas de risques encourus lors de leur utilisation, contact, ingestion, inhalation, manipulation ou rejet dans l'environnement).

**** CAP ReD : cerisier, abricotier, pruniers - réduction des intrants et durabilité des systèmes de production (projet Dephy expé Ecophyto). Quatre sites d'expérimentation en abricot : Inra de Gotheron, CTIFL de Balandran, Sud Expé et Centrex.
***** FAN de BIO : variété adaptées au bio et monilia sur abricot sont les deux axes de recherche de ce projet. Partenaires : Inra de Gotheron, Civambio 66, Sud Expé, chambre d'agriculture des Pyrénées-Orientales, Centrex.

 

Sur pommiers au verger de Poisy

Pour Nicolas Drouzy, conseiller en arboriculture à la chambre d'agriculture Savoie Mont-Blanc, moins utiliser d'intrants est possible mais sous certaines conditions.
A la journée technique de la Sefra, Nicolas Drouzy, conseiller en arboriculture à la chambre d'agriculture Savoie Mont-Blanc, a présenté un essai sur le verger expérimental de Poisy initié en 2009 (avec des partenaires suisses). Y sont comparées des stratégies faibles intrants et raisonnée. Les deux tiers des traitements concernent la tavelure et l'oïdium. Les maladies de conservation sont aussi une problématique. « Réduire les intrants ne se fait pas d'un coup, c'est un cheminement, a commenté cet intervenant. Depuis près de dix ans, nous apportons des modifications dans l'essai en fonction des observations faites. » Il a mis l'accent sur l'importance de la génétique et indiqué que le modèle « RIMpro tavelure » était un bon outil pour prévoir le niveau de risque et traiter au plus juste.
Un raisonnement global
A l'appui de ces années d'expérience, il estime la réduction des intrants possible mais sous plusieurs conditions. Voici ses conseils. Privilégier un raisonnement global de la conduite, considérer le verger comme un agro-écosystème (tous les paramètres entrent en compte). Pour chaque problème, identifier les causes et essayer de les réduire. Rechercher un équilibre, une conduite du verger adaptée à ses potentialités réelles. L'objectif est de le faire produire à son optimum, pas à son maximum. Réduire les stocks initiaux de bioagresseurs en mettant en œuvre toutes les mesures prophylactiques possibles. Préférer des variétés présentant une rusticité globale plutôt que résistantes à une seule maladie. Connaître les cycles des bioagresseurs pour savoir quand intervenir. Observer la présence d'auxiliaires, connaître leur cycle biologique et les favoriser. Adapter son choix d'intervention au niveau de risque, utiliser des techniques alternatives efficaces, éprouvées et adaptées. Mais aussi savoir accepter des dégâts en verger tant qu'il n'y a pas de dommages à la récolte et de pertes économiques.
A. L.