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ECOPHYTO

Réduction des phytosanitaires : les résultats des fermes Dephy

Le 24 novembre à Eurre (26), à l’occasion d’un colloque inter-régional, ont été présentés les résultats de dix années de suivi des fermes en grandes cultures et polyculture élevage engagées dans le réseau Dephy en Auvergne-Rhône-Alpes. Evolution du recours aux phytosanitaires et performances technico-économiques étaient à l’ordre du jour.

Réduction des phytosanitaires : les résultats des fermes Dephy
Célia Creff (Civam) et Philippe Blondeau (réseau des chambres d’agriculture) ont présenté les résultats du réseau Dephy "grandes cultures et polyculture élevage" en Auvergne-Rhône-Alpes. ©AD 26.

Dephy, quèsaco ? Ceux qui ont suivi de près le lancement du premier plan Ecophyto en 2009 se souviennent qu’il s’est accompagné de la mise en place du dispositif Dephy, acronyme de « Démontrer, Expérimenter, Produire des références sur les systèmes économes en produits pHYtos ». Dephy s’appuie sur un réseau de 3 000 fermes en France qui ont choisi de participer à ce dispositif expérimental. 

Le colloque du 24 novembre en Drôme a mis l’accent sur les résultats des fermes du réseau « grandes cultures et polyculture élevage » en Auvergne-Rhône-Alpes (Aura). Neuf groupes en polyculture élevage et sept en grandes cultures, soit 177 agriculteurs au total, ont été accompagnés par des ingénieurs réseau Dephy mis à disposition par des structures engagées dans le dispositif (chambres d’agriculture, Adabio, entreprises du négoce…). 

A l’entrée dans le réseau de chacune des fermes (en 2009 pour les plus anciennes, en 2016 pour les plus récentes), leur système de culture a été passé au crible pour définir « un état initial ». Puis, au fil des années, ont été renseignées les pratiques et modifications du système de cultures mises en place par l’exploitant. Le tout a été compilé dans une base de données, Agrosyst, qui a permis d’extraire et d’analyser les résultats présentés lors du colloque. 

Des IFT réduits de 30 % en polyculture élevage

En s’appuyant sur 107 systèmes de culture (38 en grandes cultures et 69 en polyculture élevage) suivi par Dephy en Aura, Célia Creff du réseau Civam et Philippe Blondeau du réseau chambres d’agriculture ont dévoilé les résultats les plus significatifs. « Pour l’ensemble des systèmes la diminution des indices de fréquence des traitements (IFT*) est très encourageante », révèlent-ils. Plus précisément, en comparant les données de 2009 et celles de la moyenne 2017-2018-2019, les fermes suivies en polyculture élevage ont réussi à réduire de 30 % leur IFT total (hors biocontrôle et traitement de semences), dont 28 % en herbicides et 34 % en insecticides et fongicides. En grandes cultures, la diminution de l’IFT total est de 25 %, dont 21 % sur les herbicides et 31 % sur les insecticides et fongicides. 

« Les leviers diversification des cultures et allongement de la rotation ont eu de forts impacts sur la baisse des IFT », signale Philippe Blondeau. Ainsi, les 47 systèmes qui ont modifié leur rotation ont réussi à diminuer de 43 % leur IFT, contre seulement 14 % pour les 60 systèmes qui ne l’ont pas fait. « L’étude de l’évolution de l’assolement moyen pour l’ensemble des systèmes montre un recul des cultures fortement consommatrices de produits phytosanitaires telles que le colza et le maïs, et une progression d’autres cultures plus économes en phytosanitaires telles que les prairies temporaires et les mélanges fourragers (méteil) », précisent les résultats de l’étude. Mais ces leviers, démontrés comme les plus efficaces dans la réduction des IFT, restent plus faciles à actionner en polyculture élevage qu’en grandes cultures. 

Performances technico-économiques à la loupe 

Les résultats technico-économiques de 71 fermes ont ensuite été analysés. Un constat s’impose selon Philippe Blondeau : « Une réduction des produits phytosanitaires s’accompagne d’une réduction des charges et d’une augmentation de la marge semi-nette ». Selon l’étude, les charges totales (mécanisation + opérationnelles) ont diminué de plus de 10 % et la marge semi-nette a progressé de près de 20 % dans les systèmes de culture où les changements de pratique engagés par les agriculteurs ont permis de faire baisser l’IFT. À l’inverse, les systèmes dont l’IFT est en hausse ont vu leur marge stagner et leurs charges légèrement augmenter. 

Les résultats soulignent par ailleurs que la réduction des charges liées à l’achat de produits phytosanitaires s’est accompagnée d’une baisse du poste fertilisation minérale, grâce à l’introduction de nouvelles cultures moins consommatrices d’azote comme les méteils ou protéagineux.

L’ensemble des données capitalisées dans le cadre du réseau Dephy vont désormais être diffusées au sein des « groupes 30 000 ». Pourquoi 30 000 ? Parce que l’idée est que chacun des 3 000 agriculteurs engagés au départ dans les fermes Dephy en entraine à son tour dix vers des pratiques agroécologiques réduisant le recours aux produits phytosanitaires. Selon la direction régionale de l’agriculture (Draaf), en région Aura, au 15 juillet dernier, on comptait plus d’une cinquantaine de « groupes 30 000 » constitués ou émergents, rassemblant près de 600 agriculteurs. Les auteurs de l’étude présentée le 24 novembre espèrent qu’elle pourra « convaincre conseillers et agriculteurs que la baisse d’utilisation des produits phytosanitaires peut s’accompagner du maintien voire de l’amélioration des résultats économiques de l’exploitation ».

A l’issu de ce colloque, une question émerge cependant : alors que le plan Ecophyto II+ prévoit de réduire de 50 % l’usage des phytosanitaires d’ici 2025 (par rapport à 2015), peut-on aller au-delà de la réduction des IFT obtenue par les groupes Dephy entre 2009 et 2019 ? La marge de progrès semble en tout cas étroite en grandes cultures.

S.Sabot

* IFT : indicateur de suivi de l'utilisation des produits phytosanitaires. Il correspond au nombre de doses de référence (par culture et cible ou fonction) appliquées par campagne culturale sur une surface donnée. Il est calculé au niveau d’une culture puis ensuite au niveau du système de culture et décliné en fonction de la cible des produits phytosanitaires : herbicides, fongicides, insecticides, traitements de semences, régulateurs.
Le désherbage mécanique est l'un des leviers permettant de réduire l'IFT mais la diversification des cultures et l'allongement des rotations restent les pistes identifiées comme les plus efficaces en Auvergne-Rhône-Alpes. ©AD 26.

Baisse des IFT : pas de recette unique

Difficile à l’issue de dix années de suivi des fermes Dephy de proposer une liste de leviers agronomiques permettant de réduire le recours aux phytosanitaires et reproductibles pour toutes les exploitations. En effet, l’efficacité de chaque levier et leur complexité de mise en œuvre seront propres à chaque système, à chaque production mais aussi à chaque territoire. 

En Auvergne-Rhône-Alpes, le suivi des groupes « grandes cultures et polyculture-élevage » a permis de ranger ces leviers en quatre catégories : 

- raisonner ses interventions en ciblant les zones de traitement, en observant les parcelles pour éviter les traitements systématiques, en optimisant l’utilisation du pulvérisateur ;

- éviter la concurrence avec le bioagresseur (ravageur, agent phytopathogène ou plante adventice), par exemple en décalant les dates de semis ;

- augmenter la compétitivité de la culture et éviter les conditions favorables au développement et à la propagation du ou des bioagresseurs, par exemple en choisissant des variétés tolérantes, en introduisant des haies ou des bandes fleuries, en associant différentes espèces végétales, en ayant recours aux produits de biocontrôle ;

- réduire le potentiel initial de bioagresseurs. C’est dans cette catégorie que l’on trouve le plus de leviers mobilisables : introduction de prairies temporaires dans la rotation, intercultures pour étouffer les adventices, labour une année sur trois, faux semis, allongement de la rotation, désherbage mécanique, diversification de la rotation en alternant les cultures d’hiver, de printemps et d’été...

Pour en savoir plus sur ces leviers et rejoindre un « groupe 30 000 » en région Aura, leur liste est disponible ici.