Retour aux origines du Saint-Félicien pour bâtir une IGP

Le Saint-Félicien est un fromage pouvant être produit n'importe où puisqu'il n'est actuellement pas protégé par un signe de qualité garantissant son origine. Pour remédier à cette situation, l'Union des producteurs laitiers de Saint-Marcellin (UPLSM) a lancé, fin 2015, un projet d'indication géographique protégée (IGP). Un signe par lequel est identifié un produit agricole, brut ou transformé, dont la qualité, la réputation ou d'autres caractéristiques sont liées à son origine géographique. Depuis un an, plusieurs rencontres ont eu lieu (avec l'Inao1 et certaines laiteries) et une enquête a été lancée auprès des adhérents de l'UPLSM. Pour avancer dans la démarche d'IGP Saint-Félicien et tenter de définir un périmètre historique de production, une étude a été engagée. Les résultats de cette vaste enquête menée par Aymeric Bosneagu, étudiant en master de gestion des territoires et développement local à l'université de Lyon 2, ont été présentés le 10 août à Romans-sur-Isère.
Un label rouge et une marque
Les premières recherches d'Aymeric Bosneagu l'ont conduit en 2006, année du dépôt par la fromagerie iséroise l'Etoile du Vercors du Saint-Félicien label rouge. Le produit est défini comme étant « un fromage à pâte molle et à croûte fleurie élaboré à partir de lait cru de vache ». Ce que confirme le « décret fromage2 » de 2007 en classant le Saint-Félicien dans la catégorie des fromages à pâte molle, fabriqué à partir de lait de vache. Quant au caillé doux de Saint-Félicien, il n'apparaît pas dans le « décret fromage ». Toutefois, une marque collective a été déposée en 1981 par le syndicat de défense du caillé doux de Saint-Félicien. Ce produit est défini comme étant « un fromage de chèvre fermier à caillage rapide d'un lait très peu acidifié, réalisé selon une pratique locale traditionnelle ». Son aire de production est délimitée dans le Nord-Ardèche.
Une première trace en 1956
Peut-on alors considérer que le Saint-Félicien correspond à un seul et même produit ou bien à deux fromages différents ? En recherchant des traces de la mention « le Saint-Félicien », la plus ancienne date du 6 novembre 1956. Aymeric Bosneagu l'a trouvée dans les archives départementales du Rhône. Il s'agit d'un dépôt de marque effectué par Marius Bouchet, alors industriel fromager à Villeurbanne (69). Antoine Fuster, qui a racheté la fromagerie devenue Etablissements Fuster et Cie, l'a renouvelé en 1971. Un autre dépôt de marque « Le Saint-Félicien » a été fait en 1963, cette fois à Saint-Marcellin (38) et par Ferdinand Brun, président des industriels laitiers de l'Isère, dont le fils avait une laiterie à Lamastre (07). Dans les années 1980, contestant la marque déposée par A. Fuster, les industriels produisant du Saint-Marcellin ont commencé à fabriquer du Saint-Félicien. Et les volumes n'ont cessé de croître alors que les fromageries lyonnaises cessaient leur activité sous l'effet de l'urbanisation et de la concurrence.
Sur un vaste territoire
Dans ses recherches concernant le caillé doux de Saint-Félicien, Aymeric Bosneagu indique n'avoir trouvé aucune trace écrite avant les années 1970. Lors de sa rencontre avec Charles Fourel, qui fût président du syndicat de défense de ce fromage, ce dernier lui a confirmé la fabrication de ce fromage dans toutes les communes du Nord-Ardèche, et principalement dans celle de Préaux. D'autres témoignages d'anciennes familles de producteurs et de coquetiers3 sont venus compléter cette version. De plus, sous l'effet de l'exode rural, les savoir-faire ont voyagé. Ainsi, le caillé doux de Saint-Félicien (qui désigne un produit à base de lait de chèvre) est plus connu sous le nom de Rogeret dans la région de Saint-Etienne. Il désigne alors un caillé doux au lait de mélange (chèvre et vache).
Au fil de son enquête, Aymeric Bosneagu a donc trouvé des traces de fabrication du Saint-Félicien en Ardèche, Drôme, Rhône, Isère et Loire. Mais aussi, et dans une moindre mesure, dans l'Ain et la Savoie. Cependant, précise-t-il, « sous un nom similaire, on constate l'existence de deux fromages fabriqués avec deux laits différents (vache, chèvre), selon deux techniques de fabrication et dans deux zones de production ». Les participants à la réunion semblent avoir bien intégré cette dualité dans leur projet d'IGP Saint-Félicien.
Christophe Ledoux
1 Décret fromage : décret n°2007-628 du 27 avril 2007 relatif aux fromages et spécialités fromagères.
2 Inao : institut national de l'origine et de la qualité.
3 coquetier : collecteur sur les marchés.
Repères /
Production de Saint-Félicien
Nombre de producteurs : environ 160.
Tonnage commercialisé : 2 500 à 3 500 tonnes.
« Ce sont des estimations, a indiqué Thomas Huver, animateur à l'UPLSM. Mais la production n'a rien d'anecdotique. On est proche des volumes commercialisés en Saint-Marcellin ou Abondance. »
Débat / Lors des échanges qui ont suivi la présentation de l'étude sur l'historique du Saint-Félicien, représentants des producteurs et de laiteries ont donné leur avis sur le projet d'IGP.
« Il faut que nous soyons tous d'accord »

« Nous avons davantage de chances d'exister demain en faisant du Saint-Félicien que de la poudre de lait pour la Chine », a considéré Pierre Degabriel, directeur de la section Alpes Sud-Est d'Eurial (ex-Valsud). Développer un signe de qualité est une bonne idée même si l'on sait que le dossier sera complexe à mener. » D'autres voix ont souhaité que soient différenciées les productions fermières et industrielles.
A la fin de la réunion, un consensus semble s'être dégagé ; d'une part, pour protéger et conforter la caillé doux de Saint-Félicien à base de lait de chèvre et fabriqué en Nord-Ardèche ; d'autre part, pour proposer un zonage Saint-Félicien à base de lait de vache sur les secteurs de la Drôme, l'Isère et du Rhône. La gouvernance du projet d'IGP, dernier point de la réunion du 10 août, sera assurée par des représentants de ces quatre départements. Une réunion est programmée en septembre.
Christophe Ledoux