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Valorisation laitière

Saint-Félicien : vers la reconnaissance d’une IGP

Les acteurs de la filière Saint-Félicien de plusieurs départements (Ardèche, Drôme, Isère et Rhône) se sont de nouveau réunis, le 20 février à Bourg-lès-Valence. Au centre des discussions : la poursuite du projet de mise en place d’un signe de qualité pour le fromage rhônalpin.

Saint-Félicien : vers la reconnaissance d’une IGP

«Permettre aux acteurs de s'exprimer librement sur la possibilité de dépôt d'un signe de qualité. » Tel était l'objectif de la rencontre du 20 février à Bourg-lès-Valence, selon Thomas Huver, animateur du comité de projet Saint-Félicien des chambres d'agriculture de l'Ardèche, de la Drôme, de l'Isère et du Rhône. Une rencontre qui a réuni industriels, coopératives, artisans et producteurs fermiers de Saint-Félicien des quatre départements, donnant suite aux précédentes réunions organisées autour de la mise en place d'un signe de qualité (lire L'Agriculture Drômoise du 24 août 2017 ou sur www.agriculture-dromoise.fr). Jean-Michel Bouchard, président de l'OP Saint-Marcellin, mais également du Syndicat de défense du caillé doux de Saint-Félicien, étaient également présents. « Nous souhaitons impliquer tous les acteurs concernés à la démarche afin que personne ne soit oublié ou pénalisé par ce projet », a-t-il précisé.

Industriels laitiers régionaux et producteurs fermiers de Saint-Félicien étaient atour de la table pour discuter du dépôt d’un signe de qualité, le 20 février à Bourg-lès-Valence.

La genèse du projet

« Aux origines de la démarche, a rappelé l'animateur du comité inter-chambres, la crise du lait fin 2015, qui a poussé les producteurs à réfléchir aux moyens d'une valorisation de la production de Saint-Félicien. » D'abord porté par l'Union des producteurs de lait du Saint-Marcellin, le projet de mise en place d'un signe de qualité, et notamment d'une indication d'origine protégée (IGP), s'est étendu plus largement aux départements de l'Ardèche et du Rhône, associant les quatre chambres d'agriculture. Dès juin 2016, une première rencontre avec l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) avait eu lieu et des travaux de recherche historiques sur le fromage avaient été lancés, de même qu'un travail de définition de la zone du production du Saint-Félicien. Aussi, plusieurs rencontres avec des élus des différents départements et de la Région ont eu lieu pour évoquer la possibilité d'un accompagnement financier d'un projet.

Dépôt d'un signe de qualité : les enjeux

Longue et complexe, la démarche de certification en IGP s'analyse au regard de plusieurs enjeux. « Vis-à-vis des producteurs de Saint-Félicien au lait de chèvre, le dépôt d'une appellation impliquerait pour eux le blocage de l'usage de la terminaison "Saint-Félicien", a indiqué Jean-Michel Bouchard. C'est pourquoi nous les avons associés à la réflexion avant même le lancement de la démarche. » C'est notamment le cas pour le caillé doux de Saint-Félicien (lire ci-dessous), avec qui la discussion est engagée depuis plusieurs mois. La volonté de faire coexister les deux fromages portant le même nom, celui au lait de vache et le caillé doux fermier au lait de chèvre, était au cœur de la réunion du 16 janvier dernier avec l'Inao. Ce qu'il en est ressorti ? « La quasi-impossibilité de réunir sous une même IGP deux fromages aux processus de fabrication aussi différents*, a relaté l'animateur. C'est pourquoi nous optons pour la création de deux signes de qualité différents pour chacun des fromages. » Pour le Saint-Félicien au lait de vache, c'est donc vers une IGP que se dirigent les responsables. Avec toutefois une inquiétude : « La terminologie étant très proche entre les deux fromages, dont les zones de production sont contiguës voire se superposent, nous craignons que l'Union européenne s'y oppose. Nous espérons que les deux demandes seront acceptées », a-t-il confié.
Autour de la table ce 20 février, des artisans et producteurs fermiers de Saint-Félicien mais également des industriels des quatre départements. Tous ont signifié leur volonté de voir aboutir le projet et de s'y impliquer.

Une démarche rassembleuse

Dans un marché laitier fortement concurrentiel et avec des prix bas, se différencier semble aujourd'hui le seul horizon possible. Il en va aussi de la pérennisation des emplois locaux. Autre enjeu : la reconnaissance d'un marqueur identitaire fort pour la région.
Aussi devrait se mettre en place dès 2018 une association fédérant les producteurs de Saint-Félicien et les industriels laitiers rhônalpins pour porter ce projet d'IGP. Affaire à suivre... 
M. C.
* Un fromage de 180 à 200 g (60 à 70 % de matière grasse), caillé lactique au lait de vache, de fabrication artisanale ou industrielle d'un côté ; un fromage de 90 à 110 g (45 % de matière grasse), caillé doux fermier à caillage rapide au lait de chèvre de l'autre.

 

Le Saint-Félicien en chiffres
- Une vingtaine de transformateurs de Saint-Félicien identifiés (caillé doux inclus) : 7 industriels, 1 coopérative et 13 fermiers et artisans.
- Entre 2 500 et 3 500 tonnes de Saint-Félicien vache commercialisées en 2015.
- Industriels laitiers sur les différents départements :
la Fromagerie Étoile du Vercors de Saint-Just-de-Claix (Isère) et la Fromagerie du Dauphiné de Têche (Isère) : 300 t, appartenant toutes deux au groupe Lactalis ;
la Fromagerie Alpine de Romans-sur-Isère (Drôme) ;
la Fromagerie Sainte-Colombe - Groupe Granarolo (Savoie) ;
la coopérative Eurial (anciennement Curtet Valcrest) de Vinay (Isère) ; la Fromagerie du Vivarais - Fromagerie Beillevaire (Ardèche) ;
la coopérative Vercors Lait à Villard-de-Lans (Isère) ;
la Fromagerie Jeandin de Saint-Symphorien-sur-Coise (Rhône). 

Trois questions à / Rolande Fourel, présidente du Syndicat de défense du caillé doux de Saint-Félicien.
« Nous prenons la voie de l’AOP »

Vous avez étudié il y a quelques mois l’opportunité de demander la prise en compte du caillé doux de Saint-Félicien dans le décret lait*. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Rolande Fourel : « Lors de notre rencontre avec l’Inao en novembre 2017, nous avons décidé d’abandonner cette voie qui n’apparaît finalement pas comme la meilleure des solutions. Faire évoluer le décret lait induit de longs délais et semble difficile pour une petite zone de production comme la nôtre. D’autant plus que la reconnaissance d’une terminaision “caillé doux de Saint-Félicien” dans le décret protège la méthode mais pas la zone de production ; n’importe quel producteur pourrait donc s’en emparer. C’est pourquoi nous prenons aujourd’hui la voie de la reconnaissance en appellation d’origine protégée (AOP), complémentaire mais distincte de la démarche d’IGP vers laquelle se tournent les producteurs de Saint-Félicien vache. »

Quelle est la marche à suivre ?
R. F. : « La première étape est d’entreprendre des recherches historiques pour retracer l’évolution de la production du caillé doux de Saint-Félicien, puis de délimiter la zone de production et définir un règlement technique. Un travail en ce sens avait déjà été entrepris dans les années 1980 avec la chambre d’agriculture. Nous devrons aussi travailler sur l’alimentation du troupeau, ce qui va demander beaucoup d’investissement humain. Nous avons récemment rencontré le président du Groupement de producteurs de brousse du rove qui porte un projet semblable depuis une dizaine d’années, sur le point d’aboutir à une AOP. Il s’agit, comme nous, d’un produit qui concerne une toute petite zone de production. Cette expérience est source d’inspiration. »

Quels pourraient être les freins à l’obtention de l’AOP ?
R. F. : « Il s’agit d’une situation inédite, avec deux fromages aux terminaisons quasi-similaires souhaitant chacun prétendre à une appellation. Cela peut constituer une difficulté même si les deux fromages sont très différents. Autres difficulté : la démarche AOP demande des moyens administratifs, humains et surtout financiers importants pour une petite structure comme la nôtre. Nous allons chercher des soutiens pour que ce projet aboutisse. »

Propos recueillis par M .C.
* Le décret 2007-268 du 27 avril 2007, qui a été modifié par le décret 2013-1010 du 12 novembre 2013 ne prend aujourd’hui en compte que le Saint-Félicien fabriqué à partir de lait de vache.