Saisonniers agricoles étrangers : la France desserre l'étau

L'instruction autorisant les saisonniers agricoles européens dotés d'un contrat de travail à venir en France a été signée dans l'après-midi du 20 mai par le Premier ministre. Pour les employeurs agricoles, c'est un soulagement. Le matin même, juste avant cette annonce, Laurent Badois (EARL des Lilas) exprimait son inquiétude auprès du préfet de la Drôme, lors d'une visite de son exploitation organisée par la FDSEA de la Drôme à Châteauneuf-sur-Isère. « En pleine saison, nous accueillons jusqu'à 130 saisonniers entre le verger (80 à 90 personnes) et la station fruitière (une quarantaine), a expliqué l'exploitant. La main-d'œuvre saisonnière devient de plus en plus compliquée à gérer. En station fruitière, on arrive bon an mal an à recruter localement. Mais en verger, c'est la catastrophe. La main-d'œuvre locale est peu présente et avec les jeunes de quartier, c'est ingérable », a-t-il confié. Il a aussi évoqué l'arrivée, depuis trois à quatre ans, de Roumains et de Bulgares, des sans-papiers aussi, autour de filières bien organisées mais cependant douteuses. « Si l'on veut continuer à développer de nouvelles espèces fruitières dans l'entreprise, il faut pouvoir recourir à de la main-d'œuvre par l'intermédiaire de contrats Ofii (1), a souligné Laurent Badois. Les personnes reviennent chaque année, on peut les spécialiser, ce sont des salariés exemplaires. Mais c'est la croix et la bannière pour obtenir ce type de contrat », a déploré l'exploitant.
« Quatorzaine sur l'exploitation »
La main-d'œuvre sous contrat Ofii, qui regroupe essentiellement des saisonniers originaires du Maroc et de Tunisie, ne devrait pas pouvoir revenir en France avant plusieurs mois. Reste les travailleurs saisonniers ressortissants ou résidents d'un pays membre de l'Espace économique européen, désormais autorisés à venir travailler en France sous réserve d'un contrat de travail et du respect des mesures de protection sanitaire face à la pandémie de coronavirus. « Ils ne seront pas testés avant d'arriver en France parce que c'est très compliqué de les mettre en quatorzaine dans leur pays, mais ils seront en quatorzaine sur l'exploitation agricole et ne pourront pas se mélanger avec d'autres, et donc ils seront surveillés évidemment », a indiqué Didier Guillaume le 20 mai sur France Info. Le soir, ils ne pourront vraisemblablement pas sortir (...) pendant les 14 premiers jours », a précisé le ministre de l'Agriculture. Durant cette quatorzaine, il est possible de faire travailler les saisonniers agricoles étrangers immédiatement dès lors que l'employeur respecte les mesures prévues par le protocole paritaire et les fiches élaborées par les pouvoirs publics. Les exploitants agricoles auront donc l'absolue nécessité d'assurer le respect des gestes barrières, incluant si nécessaire le port du masque ou de visière. Des guides de bonnes pratiques - pour les travaux et l'hébergement - seront à disposition. « Il ne faudra pas hésiter à faire tester les salariés dès qu'il y a un doute sur leur santé, a prévenu le préfet Hugues Moutouh. Le résultat, en cas de test positif, s'obtient en vingt-quatre heures. »
Des coûts de production plus élevés
Interrogé sur la pérennité du dispositif TODE (2) de réduction de charges sur les emplois saisonniers, « il n'y aura pas de remise en cause », a assuré le préfet. Lors de cette rencontre à laquelle ont assisté, entre autres, Bruno Darnaud, membre du bureau de la chambre d'agriculture, la directrice et la chef du service agricole de la DDT, le maire de Châteauneuf-sur-Isère, d'autres sujets ont été évoqués comme la consommation de produits phytosanitaires. « Les médias disent que les agriculteurs en utilisent de plus en plus. C'est faux, a assuré Laurent Badois. On utilise de plus en plus de produits de biocontrôle, lesquels ne devraient pas entrer dans les statistiques globales sur les phytosanitaires. » Le gérant de l'EARL des Lilas a aussi expliqué au préfet qu'« en arboriculture sur terrain caillouteux, on ne peut pas se passer du glyphosate tant qu'il n'y a pas de produit alternatif ». Et pour lutter contre la mouche de la cerise, après l'interdiction du diméthoate en France, il a pointé le coût très élevé des filets de protection et la concurrence déloyale qu'engendre cette situation.
Bruno Darnaud, par ailleurs président de l'AOP pêches et abricots de France, a fait un point sur le lancement de la campagne abricot. « 2020 est une année avec moins de volumes et des coûts de production plus élevés du fait des règles sanitaires ». Des surcoûts que le président de la FDSEA, Grégory Chardon, espère bien retrouver dans les prix payés aux producteurs. « En pleine crise covid-19, les enseignes de la grande distribution ont axé leur communication sur les produits agricoles français. Nous attendons d'elles un juste retour sur nos prix. »
Christophe Ledoux
(1) Ofii : Office français de l'immigration et de l'intégration.
(2) TODE : travailleur occasionnel demandeur d'emploi.
Repères
L'EARL des Lilas
- Surfaces :65 ha d'abricotier.
7 ha de kiwi.
5 ha de cerisier (production en en label rouge).
2 ha de prunier.
- Protection contre le gel
42 ha sous filet.
9 éoliennes + irrigation.
- Points forts
Membre de l'OP Fruits et Compagnie depuis 1997.
Certifiée Global Gap depuis 2004, Vergers écoresponsable et depuis peu HVE.
Travailleurs saisonniers et en détachement /
Précisions de la préfecture de la Drôme

Les travailleurs ressortissants d'un État membre de l'Union européenne dont la mission de détachement ne peut être reportée, et qui est attestée par un contrat de prestation de service, pourront entrer et travailler sur le territoire national. Les documents justifiant le caractère non reportable de la mission seront transmis, en même temps que la déclaration de détachement. Les travailleurs détachés devront détenir une attestation de déplacement international dérogatoire. Elle aura la même durée de validité que l'attestation qui l'accompagne (contrat de prestation de service).
Concernant les règles sanitaires applicables, l'employeur est responsable de la mise en œuvre des conditions de prévention des risques professionnels. Les travailleurs qui demeurent moins de 48 heures ne seront pas soumis aux mesures de quarantaine. Les travailleurs dont la durée de séjour excède 48 heures, seront soumis à une mesure de quatorzaine à la charge de leur employeur. Pour les travailleurs en détachement, ces mesures devront être mises en œuvre dans leur pays d'origine.