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ARTISANAT

Tonnelier, gardien d’un savoir-faire ancestral

Après deux exercices stables, la tonnellerie française vient d’annoncer une activité en hausse pour 2015.
Si de nombreuses entreprises sont implantées en Bourgogne ainsi que dans le Sud-Ouest, l’ex-région Rhône-Alpes
n’est pas en reste. Des tonnelleries sont en effet situées à Moras-en-Valloire (Drôme), à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, Saint-Savin ou encore Saint-Sauveur (Isère).
Tonnelier, gardien d’un savoir-faire ancestral

On ne la remarque presque pas, à la sortie du village de Moras-en-Valloire, dans la Drôme. Pourtant, elle appartient véritablement au patrimoine et au savoir-faire local. La tonnellerie Vallaurine (3 200 fûts/an, 1,5 million de chiffre d'affaires en 2015) a été fondée en 1885 par Moïse Desrieux. Depuis 2008, l'entreprise est dans le giron de la famille Jaeglé. Attachée aux valeurs familiales, ce fut aussi l'occasion pour celle-ci de se rapprocher de ses clients en vallée du Rhône. « Aucune tonnellerie ne peut vivre avec le marché intérieur. Mais nous avons toujours vendu en vallée du Rhône. Il y a également tout un tissu de vignerons haut de gamme qui se développe », précise Jean-Marcel Jaeglé, président de la tonnellerie bourguignonne Dargaud & Jaeglé. Selon la Fédération des tonneliers de France, 64 % de la production a été exportée en 2015. La France, les États-Unis, l'Espagne, l'Australie et l'Italie concernent près de 80 % du marché.

Jean-Marcel Jaeglé, président de la tonnellerie Dargaud & Jaeglé, implantée à Romanèche-Thorins, en Saône-et-Loire.

Une véritable expertise

Revenons dans la Drôme. Ici, les tonneaux arrivent en kit, avant l'assemblage, le process de chauffe ou encore les finitions. Vallaurine a en effet gardé son propre style et émet ses propres propositions pour répondre aux besoins des vignerons. Le réglage s'effectuera par la suite au degré près. Mais le rachat a permis à la société drômoise de bénéficier d'une certaine expertise et d'un nouveau positionnement. Elle ne se concentre désormais que sur la tonnellerie ; une activité de bacs à plantes ayant été développée par le passé. Vallaurine peut également profiter d'un matériel de pointe et d'un important volet R & D. « En Saône-et-Loire, nous produisons jusqu'à 100 fûts par jour. Nous avons donc une ligne d'usinage, inabordable pour les petites structures », poursuit le dirigeant. Avant l'usinage, il y a le séchage du bois. Une opération qui est là encore effectuée en Saône-et-Loire, pour des raisons climatiques. « Le séchage est trop rapide à Moras-en-Valloire. C'est beaucoup plus sec et venté. Le bois est dégradé. Or, le séchage du bois fait totalement partie du process d'affinage. En Saône-et-Loire, la pluviométrie est plus importante », ajoute encore Jean-Marcel Jaeglé. Le merrain y restera deux ans au minimum, son taux d'hygrométrie se situera à terme entre 15 et 17 %.

Le chêne, roi des forêts françaises

Au XIXe siècle, il était courant que les tonnelleries de la vallée du Rhône utilisent du châtaignier. Aujourd'hui, la part belle est au chêne, issu des forêts françaises. Certains vignerons préfèrent toutefois l'acacia, un marché relativement « confidentiel », selon Jean-Marcel Jaeglé. « Il fait un petit retour pour certains vins fraîcheurs. C'est assez aromatique, il apporte un côté floral », précise-t-il. La sélection du bois est rigoureuse, la connaissance du terrain essentielle. Les bois proviennent principalement du Centre (arc ligérien), d'Ile-de-France, de Bourgogne et de l'Est de la France (Vosges, Alsace-Lorraine). Le dirigeant s'attarde sur chaque détail : le climat, le sol ou encore la génétique des arbres. Lorsqu'un chêne est débité, c'est au mérrandier de diriger l'arbre vers la bonne industrie. Seuls iront au merrain les bois aux grains fins et homogènes. L'absence de nœuds, de fentes et défauts pouvant nuire à l'étanchéité ainsi que l'aptitude au cintrage seront aussi prises en compte. Toutefois, le prix de ces matières premières est aujourd'hui une vraie problématique pour la profession. En cause, un volume restreint et une concurrence rude. Les forêts domaniales, gérées de manière durable par l'ONF ne suffisent plus. Des arbres manquent à l'appel et les forêts privées ne peuvent compenser les besoins.

Un métier qui attire

Jean-Marcel Jaeglé n'a pas à se plaindre. Cette activité plaît, et notamment aux jeunes. En France, trois formations forment à la tonnellerie (Dijon, Cognac et Blanquefort). À Brive-la-Gaillarde, une tonnellerie a même lancé sa propre formation, aucun cursus n'étant proposé dans la région. « C'est un métier très physique, les jeunes n'ont pas le sentiment de ne rien faire. En regardant cet objet noble et séduisant, ils peuvent mesurer leurs efforts. Et c'est aussi une part de rêve qui s'envole à l'export. C'est valorisant », explique le dirigeant. En effet, seuls 2 à 3 % des vins seront élevés dans des tonneaux. Lui-même accueille de nombreux apprentis. Il faut dire également que le métier, les salaires et les conditions de travail ont évolué lors de ces dernières années. Bref, voilà un métier au savoir-faire pointu et ancestral, qui a encore de belles années devant lui. Et ce, malgré la mécanisation. 

 

Aurélien Tournier

 

Parole de vignerons /  A chacun son tonneau

Lucie Michel (Vaucluse)
À Visan, le domaine de Lucena a fait le choix de travailler essentiellement avec des barriques de 1 à 2 ans. « Le prix d’achat d’une barrique neuve est trop élevé pour nous », concède Lucie Michel, co-gérante. « De plus, pour nos vins, nous ne recherchons pas le goût boisé en priorité mais plutôt un équilibre entre le fruit, les épices et la souplesse des tanins », poursuit-elle. À terme, le domaine souhaite investir dans 2 demi-muids pour vinifier du grenache. Les autres cépages sont vinifiés en cuve béton non revêtue. « Le béton, qui est poreux, permet une micro-oxygénation des vins », ajoute-elle encore.
Chartreuse Diffusion, Voiron (Isère)
Dans la plus longue cave à liqueurs du monde, les Chartreux utilisent eux aussi des tonneaux. Ceux-ci sont en chêne de Russie et de Hongrie pour les plus anciens, en chêne d’Allier pour les plus récents. Le bois doit être très serré, permettant ainsi un vieillissement lent et aéré, grâce auquel les échanges entre arômes peuvent s’opérer et se fixer. Les bois recherchés sont ceux qui possèdent cette qualité de fibre, sans avoir subi aucune dénaturation de quelque sorte.
David Large (Rhône)
À Montmelas-Saint-Sorlin, David Large choisit également les tonneaux en fonction de leur coût. Mais aussi à l’instinct. « Je mets le nez dedans, je regarde l’aspect et éventuellement la chauffe. Je recherche surtout la micro-oxygénation sur mes gamays, plus que le bois lui-même », précise-t-il.
Maison M. Chapoutier, Tain-l’Hermitage (Drôme)
Pour les vins rouges, la maison M. Chapoutier évalue la capacité du fût à « porter le vin » d’un point de vue aromatique et structural, ou encore la capacité à encadrer le caractère réducteur de la syrah sans l’annuler et sans la fatiguer. Pour les vins blancs, l’apport de tension et d’allonge en finale, la préservation de la fraîcheur aromatique et du caractère réducteur font aussi partie des critères. Dans les deux cas, la préservation des différentes propriétés au fil du temps est également prise en compte.
Domaine Grand, Passenans (Jura)
Pour les fûts à chardonnay, le domaine demande notamment une chauffe moyenne ainsi que des fûts de Bourgogne (uniquement) qui ont entre 2 à 3 ans d’âge. « Nous ne souhaitons pas que le boisé marque le vin. Nos chardonnays restent ainsi frais, fruités, et bien équilibrés. Le terroir s’exprime ainsi », précise-t-on.