Un cinéaste filme la zizanie semée par le loup

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au thème du loup ?
Jérôme Ségur : « Entre le loup et moi, c'est une vieille histoire. En 1992, je commençais tout juste mon métier de réalisateur et j'ai lu un article qui m'a beaucoup marqué sur le retour du loup en France. Cette histoire m'a interpellé, mais je ne voyais pas quoi raconter. L'an dernier, j'ai effectué des recherches et j'ai constaté que partout et à toutes les époques, là où le loup passait, il semait la zizanie et générait un vrai conflit entre les hommes. Cet état de fait pose de vraies questions sur la société, notre rapport au monde, notre façon de réagir aux bouleversements de la société. Aussi, je me suis intéressé à l'aspect humain, aux passions que le loup provoque chez nous. J'en ai fait une comédie du réel, avec du rire, de l'émotion, avec des beaux personnages. »
Comment avez-vous travaillé pour faire ce film alors même que le sujet divise profondément ?
J. S. : « Je suis allé voir ceux qui se réjouissent du retour du loup et ceux qui s'en désespèrent. Et souvent, on me demandait si j'étais pro ou anti-loup. Je répondais que ce sont les humains qui m'intéressent, que je n'étais d'aucun camp. Et c'est comme cela qu'ils acceptaient de discuter avec moi. Je ne voulais pas filmer un discours travaillé politique ou syndical, je voulais filmer la vie des éleveurs et des défenseurs du loup. Ceux qui m'ont emmené avec eux, ceux qui m'ont ouvert leur porte et leur cœur sont dans ce film. »
Derrière la thématique du loup, il y a la figure du berger qui subit la présence de l'animal. Qu'est-ce que vous a intéressé chez ces éleveurs ?
J. S. : « Chez les éleveurs que j'ai rencontrés, c'est leur sincérité, leur souffrance et leur façon de réagir face à ce qu'ils vivent qui m'a touché. Dans le film, il y a par exemple un couple qui garde son troupeau. La femme est pour le loup et son mari est contre. Les deux souffrent énormément des attaques. Malgré toutes les souffrances, l'éleveuse ne veut pas qu'on éradique le prédateur et considère qu'il a sa place. A contrario, son mari est favorable à des solutions plus radicales, mais il avoue une fascination pour l'animal. Ils m'ont beaucoup marqué par leurs réactions et leur façon de vivre ensemble malgré un grand différend sur ce sujet. Quand on passe du temps avec les éleveurs, on voit bien qu'ils sont toujours sur le qui-vive. Chaque fois qu'ils rejoignent le troupeau, ils ont la boule au ventre. Cela les oblige à avoir des horaires de travail éreintant. J'ai aussi vu du désespoir chez certains. Quel que soit son camp, on ne peut pas être insensible à cette souffrance. »
Et qu'avez-vous ressenti auprès des défenseurs du loup ?
J. S. : « Il y a un vrai engagement de la part de certains défenseurs du loup. J'ai par exemple filmé un militant qui est toujours sur les traces du loup, dans la forêt, dans la neige, en montagne. C'est un personnage sincère dans son engagement. Il le paie de sa personne. Il n'est pas là à donner des conseils au chaud dans un fauteuil. Et il pose de vraies questions sur la nature, sur le rapport de l'homme à son environnement, sur le monde que nous voulons. Le loup est devenu un conflit si difficile à résoudre parce qu'il n'y a pas les bons d'un côté et les mauvais de l'autre. Dans ses propres arguments, chacun à raison.
Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ?
J. S. : « On est dans une situation paradoxale. Le loup, en revenant, s'attaque à une production d'agneaux très naturelle, comme le demandent les consommateurs, au profit de l'agneau « industriel » de Nouvelle-Zélande. Les éleveurs se battent pour défendre leur passion et ne veulent pas laisser la place à l'agneau importé. Et de l'autre côté, les défenseurs du loup ne veulent pas que tout soit inféodé à l'économie, ils défendent l'existence du loup même s'il détruit une activité économique plutôt vertueuse. À leur manière différente, chacun refuse la mondialisation. Cela pousse à réfléchir, c'est l'objet du film. C'est une autre manière de parler du loup qui ramène tout cela sur un plan humain. »
Propos recueillis
par Camille Peyrache