Une année compliquée pour des nuciculteurs traumatisés

Salle comble pour l'assemblée générale du CING mardi 3 septembre à Chatte. « C'est un signe de bonne santé, alors que la situation est compliquée », relève le président, Yves Borel. Le propos fait sourire - un peu - une filière qui n'a pas le moral. Ebranlée par les intempéries du début de l'été, elle va devoir se consoler avec des prévisions de récolte... quasi impossibles.
Une grande partie de l'échantillon de vergers est en effet très endommagée, voire détruite. Seules 32% des parcelles sont indemnes. 41% sont touchées par la grêle à plus de 80% et cinq sont à renouveler à cause du vent (1). « Avec la Senura, nous avons décidé de faire une prévision réduite pour 2019 : la priorité est de reconstituer l'échantillon », annonce Nathalie Goulard, la nouvelle directrice du CING, qui remplace Catherine Petiet, partie vers d'autres horizons après 12 ans de loyaux services. Etant donné les circonstances, aucune prévision de volume n'est envisagée. « Nous ne pouvons que faire une estimation des calibres. » Ceux-ci semblent « relativement corrects », avec beaucoup de calibres de 32-34, comme pour la campagne 2018. Mais « les résultats sont très hétérogènes d'une parcelle à l'autre : aucune extrapolation n'est possible », avertit l'interprofession.
Campagne compliquée
Concernant le bilan de la campagne 2018, l'année a été « particulière en termes de qualité, car les noix ont été brûlées par le soleil, ont souffert de la sécheresse et été attaquées par le carpocapse », résume Yves Borel. Un gros travail de tri a été réalisé, et peu de lots ont été jugés non conformes. Il n'en reste pas moins que la production de noix de Grenoble a baissé de 7% (12 777 tonnes ) et que la commercialisation a reculé de 15% (8 605 tonnes commercialisées en AOP). Si la France reste le pays qui absorbe le plus gros de la production (46%), la consommation nationale de noix de Grenoble est elle aussi en baisse (3 984 tonnes pour la campagne 2018-2019 contre 4 732 pour la campagne précédente). Les quatre principaux marchés européens (Allemagne, Italie, Suisse et Espagne) suivent la même tendance : la Suisse (7% du volume commercialisé) voit sa consommation plonger de 33 % (de 943 à 643 tonnes) et de moitié pour l'Espagne (434 à 239 tonnes).
Et la campagne 2019 ne risque pas d'arranger les choses. « La récolte qui nous attend va être compliquée, répète Yves Borel. Elle se présente sous de meilleurs auspices que l'an dernier, mais avec la grêle, nous risquons d'avoir de gros soucis au niveau du triage. » La situation est d'autant plus préoccupante que les prix ont chuté de 60 centimes en moyenne par calibre. En cause, un marché bousculé par les Chiliens, les Australiens et les Américains, qui « donnent le ton ». Yves Borel invite la profession à per les problèmes de qualité de l'an dernier. A mon avis, 3 euros, c'est fini. Mais 2 euros, c'est trop bas. Il y a une formule à trouver entre les deux ».
Traumatisme
Ce sera d'autant moins simple que le bilan des intempéries est catastrophique et que nombre de producteurs, notamment chez les jeunes, sont aux abois. Certes, des mesures d'accompagnement ont été prises et les procédures d'indemnisations sont en cours. Mais les producteurs de noix font remarquer que le montant des dommages reconnus par l'Etat dépasse le 11 millions d'euros, alors que l'indemnisation, elle, n'atteindra pas 3 millions. « Cette catastrophe est sans doute la plus traumatisante que les nuciculteurs aient connue, affirme Yves Borel. En 82, nous avions tout de même fait la récolte et réussi à valoriser les troncs en bois d'œuvre. Cette année, on a eu la grêle, le vent, et plus personne ne veut du bois de noyer. Il n'y a plus de marché. C'est tout du Ikea. Même en broyage, personne n'en veut parce que ça ne vaut pas grand chose : les chaufferies les refusent expliquant que ça encrasse les chaudières. »
Information confirmée par le président de la chambre d'agriculture qui s'affiche tout de même confiant. « Nous avons une enveloppe pour faire du broyage qui pourra être épandu sous les arbres, mais il faut que ça ne coûte rien aux agriculteurs. Nous sommes aussi en train de voir comment valoriser ce broyat en litière dans les élevages de bovin viande. Il y a des gens qui ont de grosses difficultés à trouver de la paille. » L'interprofession et la chambre d'agriculture ont également demandé une dérogation au préfet pour autoriser le brûlage. « Il y a des dérogations possibles en cas de problème sanitaire, du type sharka, fait remarquer Jean-Claude Darlet. Mais il faudra être vigilant quant aux périodes de tension en termes de pollution atmosphérique. » Il reste 2 000 souches à traiter. Ceux qui n'ont pas encore répondu au questionnaire de la chambre d'agriculture peuvent encore le faire.
Marianne Boilève
(1) Dans les zones Drôme plaine (vergers de 18 à 30 ans), Chambaran-Drôme (vergers de 18 à 30 ans et plus de 30 ans) et Vinay-Tullins-Moirans (vergers plus de 30 ans).