" Une crise sans précédent au pire des moments "

A Molompize (Cantal), chaque matin, Ingrid Gardel jette tous les plants devenus impropres à la vente faute de clients. 95 % des primevères à la poubelle, idem pour les salades semées en janvier et qui auraient dû être vendues depuis un mois… Au fil des jours, la liste s’allonge. « C’est horrible de détruire ce que l’on a produit. Ce n’est pas dans l’ordre des choses », se désole la trentenaire. Pour tenter de sauver son activité, elle multiplie les démarches auprès de l’administration. « Depuis le 1er avril, une dérogation nous permet de vendre nos plants potagers sur les marchés de plein air ». A priori, une bonne nouvelle pour l’entreprise familiale, qui écoule sa production au rythme de deux à trois marchés par jour. Sauf qu’il faut le temps que les décisions s’appliquent sur le terrain… « Nous sommes des habitués du marché de Langogne, a priori l’arrêté n’est pas remonté jusqu’au préfet, puisque pour le moment nous ne pouvons pas y retourner. » Ingrid tente d’informer ses clients sur Facebook, elle a mis en place un système de drive, mais le volume écoulé reste anecdotique.
Un ennemi invisible
« Notre entreprise a connu les guerres. Mais la crise que nous traversons est complexe, car l’ennemi est invisible », explique Philippe Laperrière, rosiériste et créateur depuis cinq générations à Saint-Quentin-Fallavier (Isère). Depuis le 15 mars, les livraisons sont à l’arrêt. Les grandes enseignes de la jardinerie et les collectivités au niveau national, principaux clients de la roseraie, ont stoppé leurs commandes. « Certains magasins sont ouverts mais ne peuvent vendre que des plants et semences potagères. Nos rosiers sont considérés comme de l’agrément ». De l’agrément certes, mais du vivant. Le niveau des charges du chef d’entreprise n’a pas baissé, les quatre salariés travaillent encore mais, en face, aucun produit ne rentre. Dix jours seulement avant le confinement, Delphine Vernier a rejoint la société de son mari « Les Serres Fleuries » à la Roche-Blanche (Puy-de-Dôme) et créé avec lui une EARL. Elle reste optimiste, mais « voir les dettes s’accumuler sans grosse rentrée d’argent, ça fait flipper. On a commencé à jeter de la marchandise, nous avons fait des dons à un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes voisin ». Comme beaucoup d’acteurs du secteur, elle se démène. Pour pallier la fermeture de ses serres au public, qui représente l’essentiel de son activité, le couple mise sur les livraisons à domicile avec les limites que cela peut représenter. « Nous n’avons plus de saisonniers. On assure à deux les livraisons. En mai, nous accueillons en moyenne 200 clients par jour, on ne pourra pas faire 200 livraisons par jour. » Difficile dans ces conditions d’envisager l’avenir sereinement.
Sophie Chatenet
Semences et plants autorisés à la vente
La secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, Agnès Pannier-Runacher, a autorisé la vente des semences et plants potagers désormais considérés « comme achat de première nécessité ». En Auvergne-Rhône-Alpes, la préfecture de région a annoncé, en fin de semaine dernière, cette autorisation sous certaines conditions bien précises, spécifiées dans un texte : « dans les jardineries qui disposent de rayons alimentaires et fournitures pour animaux ; par extension dans tous les marchés autorisés par dérogation préfectorale ; sous la forme de vente directe à la ferme ou de type drive ». Dans son communiqué, elle rappelle aussi que « la livraison à domicile de produits horticoles, y compris des plantes d’ornement et des fleurs, est autorisée dans le cadre général permettant ce type de vente. La vente de plants destinés aux professionnels est également autorisée car elle entre dans la catégorie des fournitures nécessaires aux exploitations agricoles. »
MARCHÉS DE GROS / Corbas (Rhône) retrouve une activité proche des 70 %
Bien entendu que les produits de proximité sont importants, mais il ne faudrait pas oublier que le marché de Corbas est essentiel pour ne pas dire indispensable dans le circuit de l’alimentation », précise Christian Berthe, président du premier marché de gros français privé en fruits et légumes. Si, au lendemain des premiers jours de confinement, l’activité du marché de Corbas a baissé de 30 à 40 %, elle est remontée à 70 %, encore loin des 1200 t de marchandises quotidiennes. Les 30 % manquants sont les marchés restés fermés dans la Métropole de Lyon. Mais sur le site de Corbas, pas de chômage partiel et peu de défaillance humaine : « Ce sont les grossistes livreurs qui peuvent connaître ce type de situation. Habituellement il y a près de 500 personnes sur le site, on est environ 450 en ce moment, certains sont en télétravail ». Depuis trois semaines, personne, sinon le personnel, ne circule dans les allées de l’entrepôt et, depuis quinze jours, les stocks ne sont accessibles qu’aux préparateurs. Fin mars, le gouvernement a invité les grandes surfaces à acheter Français, une conséquence là aussi sur le marché de gros. « La production française ne représentant que 20 % des besoins de certains produits, il y a donc eu une rétractation de l’offre qui a entraîné des hausses de prix, notamment sur des produits très printaniers comme l’asperge, la tomate et la fraise. De toute manière, il n’y a pas assez de production française pour répondre à la demande. Sur le grand import, ce sont des produits de fonds de rayons, il n’y a donc pas d’inquiétude (avocat, banane, ananas). Pour l’import, il y a en revanche moins de rentrées (agrumes d’Espagne). C’est toujours cet équilibre entre l’offre et la demande qui dicte la gestion de notre activité. Quoi qu’il en soit, le marché tourne et la filière est en ordre de marche », conclut Christian Berthe.
Cédric Perrier