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Diversification

Une filière chanvre régionale en projet

Une filière chanvre est en projet en Auvergne-Rhône-Alpes, sous la houlette de la Maison François Cholat. Le point sur son organisation et sur l’itinéraire technique d’une culture qui tend à se développer en France avec Sylvain Lemaître, référent chanvre à la Maison François Cholat.

Une filière chanvre régionale en projet
Les 200 ha de chanvre ont été mis en culture cette année. La récolte permettra de mettre de la paille à disposition début 2023.

Créée en 1877, la Maison François Cholat compte une trentaine de sites en Auvergne-Rhône-Alpes. Son premier métier est la meunerie qui fournit tout un réseau d’artisans boulangers de la région. L’activité s’est ensuite diversifiée avec la nutrition animale et la collecte de céréales. « Nous avons accompagné les agriculteurs sur l’aspect technique, notamment vers la transition agroécologique via les réseaux de fermes Dephy », précise Sylvain Lemaître, de la Maison François Cholat qui a été la structure porteuse des réseaux de la Loire, de la plaine de Lyon et en Haute-Savoie.  « C’est dans ce cadre-là que la filière chanvre trouve ses origines. Nous étions en lien avec les animateurs des captages prioritaires au travers de contrats EC’EAU responsables. Plusieurs agriculteurs de ces territoires avaient commencé à lancer une réflexion autour du miscanthus puis elle a dévié sur le chanvre. En 2020, nous avons démarré des essais au sein du réseau de fermes Dephy. Les premiers résultats ont démontré que cette culture avait du potentiel dans la région. La partie agricole validée, nous nous sommes ensuite penchés sur les débouchés, d’où le lancement du projet Pépites porté par la Maison François Cholat », poursuit Sylvain Lemaître.

Vocations et objectifs

Ce projet a deux vocations : dynamiser l’implantation du chanvre en agriculture et répondre aux demandes des entreprises locales puis françaises en matériaux biosourcés et, à terme, en super-aliment. Pépites est en fait un acronyme pour Préservation de l’environnement, Économie, Production locale, Indépendance nationale, Traçabilité, Emploi et Sociétale. « Notre objectif est de produire et transformer en local. Nous avons implanté ce printemps 200 hectares de chanvre chez une quarantaine d’agriculteurs du Rhône, de l’Ain et de l’Isère, en favorisant les aires de captage prioritaires. Le projet Pépites consiste aussi à monter une usine (chanvrière) qui sera située à Morestel (Isère) pour défibrer, c’est-à-dire séparer la fibre de la chènevotte », indique le référent chanvre de la Maison François Cholat. Ce dernier liste les nombreux débouchés du chanvre. Les graines (chènevis) seront valorisées en alimentation humaine notamment pour leur teneur en protéines, également pour l’oisellerie et comme appâts pour la pêche. L’huile obtenue par pressage des graines de chanvre est, par ailleurs, intéressante en cosmétique. La paille défibrée (chènevotte) sert de paillage pour le jardinage et entre dans la catégorie des matériaux biosourcés pour l’écoconstruction. 
« Selon une nouvelle réglementation, les cimentiers doivent intégrer des produits biosourcés dans leurs solutions pour la construction, ce qui offre encore davantage de débouchés pour le chanvre », note Sylvain Lemaître. Les fibres de chanvre sont également adaptées à l’isolation et ont vocation à remplacer la laine de verre. Les constructeurs automobiles s’y intéressent pour fabriquer des parechocs et des tableaux de bord. L’industrie textile et la papeterie sont aussi d’autres débouchés. Quant aux poussières, elles peuvent alimenter les méthaniseurs. 

1 200 ha en 2024

Côté planning, la signature de la construction de l’usine de défibrage aura lieu au second semestre 2022 pour une livraison un an plus tard. Les deux-cents hectares de chanvre ont été mis en culture cette année, la récolte, qui interviendra fin août ou début septembre, permettra de mettre de la paille à disposition au démarrage de l’usine. Au printemps 2023, 600 hectares devraient être mis en culture. En 2025, il faudrait 1 200 hectares pour atteindre le seuil de rentabilité. Sur le plan économique, les agriculteurs concernés verront 100 % de leurs productions contractualisées. Des contrats seront par ailleurs signés en aval avec les partenaires et les fabricants de produits à base de chanvre. L’accent sera mis sur des partenariats locaux afin de réduire les coûts logistiques et sur le développement de débouchés à forte valeur ajoutée (automobile, textile…). Au niveau social, le projet Pépites vise à valoriser les agriculteurs qui vont vers des pratiques agroécologiques, ce qui répond aux attentes sociétales. À noter qu’une quinzaine d’emplois pourraient être créés grâce à ce projet de filière. Sur le plan environnemental, cette culture favorise la biodiversité, comme en témoigne la forte présence de carabes dans les champs, la baisse de l’indice de fréquence des traitements (IFT), et la qualité de l’eau utilisée pour l’irrigation. L’intérêt se situe également dans le carbone capté : 1 ha de chanvre capte 15 t de carbone par an et équivaut, au stade floraison, à 1 ha de forêt. L’intérêt du chanvre est donc multiple et colle aux exigences de la Pac.

Emmanuelle Perrussel

Illustration de l’intérêt de la culture de chanvre en zones de captages prioritaires avec une visite de terrain organisée le 15 juin dernier à Ambérieux d’Azergues (Rhône) sur la parcelle de l’un des exploitants qui a implanté du chanvre ce printemps. Sur le secteur, 8,6 ha ont été semés sur les communes d’Ambérieux et de Quincieux chez trois agriculteurs, dans le cadre du projet de filière de la Maison François Cholat et relayée par l’établissement public territorial de bassin (EPTB) Saône et Doubs. Cette rencontre a été l’occasion d’expliquer aux exploitants présents les intérêts de cette culture. Sur six parcelles, les levées sont hétérogènes.

Itinéraire cultural

Du semis à la récolte

En 2021, la France comptait environ 1 300 producteurs de chanvre, d’où sa place de leader européen de cette production, avec près de 18 000 ha cultivés. Depuis une trentaine d’années, les surfaces progressent même si on est encore loin des 176 000 ha qu’elle occupait au milieu du XIXe siècle. Le chanvre est surtout présent en Vendée, dans l’Aube, la Haute-Saône, la Normandie, la Marne mais aussi dans le Sud-Ouest. Cette plante annuelle doit être semée entre mi avril et début mai dans un sol bien préparé et réchauffé (12 °C en Auvergne-Rhône-Alpes). « Les semences doivent obligatoirement être certifiées avec un taux de THC (substance psychotrope) inférieur à 0,2 %. Trois variétés sont utilisées dans la région : Uso 31, Fédora 17 et Futura 75, à une densité de semis de 45 à 50 kg / ha, à l’aide d’un semoir à céréales à une profondeur de 2 à 3 cm. Le chanvre est souvent vanté pour sa pertinence dans les rotations, car il les allonge et casse les cycles des maladies (chaque pied est indépendant). Son caractère très couvrant la dispense d’herbicides et sa croissance est rapide : en quatre mois, les plants peuvent atteindre 3,5 m de haut. Le chanvre a souvent un effet bénéfique sur la structure du sol grâce à ses racines qui permettront à la culture suivante d’exprimer pleinement son potentiel. Il peut être conduit en bio », énumère Sylvain Lemaître, référent chanvre de la Maison François Cholat.

Moins gourmand en eau

Pour la fertilisation, cette plante nécessite treize unités par tonne de matière sèche (MS) d’azote, soit 80 à 120 unités avant le semis. Le chanvre valorise bien la fumure organique et les besoins en fumure de fond sont de 50 unités de phosphore et de 150 unités de potasse, « ce qui est moins qu’un blé. Il prend l’azote du sol, ce qui limite la lixiviation vers les nappes phréatiques, d’où son intérêt dans les aires de captages prioritaires », commente le référent chanvre. Si le chanvre peut être comparé au maïs au niveau de l’eau en situation d’irrigation, les apports sont environ deux fois moins importants grâce à son système racinaire profond, pivotant et fasciculé. La récolte doit se faire lorsque le chènevis est arrivé à maturité. La moissonneuse-batteuse est équipée d’un bec Kemper et l’intérieur doit être blindé car le chanvre est une culture abrasive. « Selon les débouchés, il faut faire rouir la paille au champ, c’est-à-dire laisser l’humidité la dégrader avant de passer à l’étape du bottelage (bottes carrées ou balles rondes selon les débouchés). Pour les chènevis, le séchage est à réaliser dans les deux à quatre heures après récolte afin d’éviter l’oxydation », conclut Sylvain Lemaître qui invite celles et ceux qui souhaitent en savoir plus sur cette filière à contacter le technicien de leur secteur.
Emmanuelle Perrussel