Une filière qui maintient sa foulée

Le Centre-Est, Rhône-Alpes et Bourgogne en particulier, compte parmi les berceaux de l'élevage de chevaux de sports (concours de saut d'obstacles...) et de courses (trot et galop) en France. Deux secteurs qui, au demeurant, s'ignorent souvent. à titre d'exemple, Rhône-Alpes est une des régions leader en nombre de licenciés. Un dynamisme qui s'explique en partie par les dividendes redistribués par le PMU.
Élevage : une rentabilité pas toujours évidente
Mais la situation des éleveurs demeure cependant hétérogène selon les spécialités. Bruno Montginoux, éleveur de chevaux de sports en Isère, s'inquiète de la rentabilité économique. « Moi je suis cavalier, donc je peux former mes chevaux. Mais pour le petit éleveur qui doit faire appel à une personne extérieure pour assurer le débourrage, sortir en concours, c'est difficile économiquement », reconnaît-il. « Les meilleures ventes, ce sont les chevaux clé en main, âgés de 5 à 7 ans, mais l'élevage est très long. » Les ventes ne suivent pas forcément une cotation clairement établie. « Il y a un cours, mais il faut être dans le coup pour le connaître. Certains éleveurs ont du mal à évaluer la qualité de leurs chevaux. » Les événements nationaux type Bois-le-Roi, Saint-Lô ou Equita Lyon servent souvent de baromètre à l'état de marché. Malgré l'impact de la hausse de la TVA, de 2,10 ou 5,5 % selon les cas à 20 %, qui a fragilisé l'équilibre économique de la filière, une embellie pointe. « On sent un regain d'activité, en volume et en valeur, après deux ou trois années très calmes », se réjouit l'éleveur de Dizimieu. « Je pense qu'à terme, on va manquer de chevaux et que le prix va augmenter, à condition que la qualité soit au rendez-vous. » La sociologie des propriétaires évolue. Si autrefois, il s'agissait majoritairement d'agriculteurs, la filière accueille aujourd'hui de nombreux particuliers amateurs, avec des moyens financiers conséquents. « Certains réussissent très bien », analyse Bruno Montginoux. Ils investissent dans des installations, dans de bonnes juments. Il faut compter entre 10 000 et 15 000 euros pour une jument avec une bonne génétique. »
Les trotteurs du Forez
Du côté des chevaux de courses, les spécialités sont variables d'un territoire à l'autre. Historiquement, le Forez est une terre de trotteurs. « On ne s'en sort pas trop mal. Le nombre d'éleveurs se maintient presque », note le président de l'association des éleveurs locaux, Pascal Giroud. La plupart de ces élevages sont de taille modeste, 1 à 3 poulinières. Les éleveurs à plus de 5 poulinières se comptent sur les doigts d'une main. La plupart sont pluriactifs, cumulant pour certains l'activité d'éleveur à celle d'entraîneur (la Loire en compte 70 !). « Ce tissu de petits éleveurs est essentiel à la vie de la filière, analyse l'éleveur de Saint-Cyr-de-Favières, près de Roanne, notamment à la bonne marche des hippodromes et des syndicats ». Le talon d'Achille de la filière se trouve dans la saillie. Les semences congelées sont interdites et s'il existe quatre à cinq étalonniers dans le Forez, 95 % d'entre eux se trouvent en Normandie. « En trot, c'est la jument qui va à l'étalon. Entre le transport et l'hébergement cela nous coûte très cher. Les juments restent deux mois là-bas... » Pour rentabiliser leurs chevaux, les propriétaires ont plusieurs possibilités : la vente à 18 mois, notamment à Maraut dans la Nièvre ; la mise en pension chez un entraîneur, le propriétaire assume les frais de pension et récolte l'intégralité des gains ; ou la situation la plus fréquente, la mise en carrière à un entraîneur qui assume les frais mais ne reverse qu'un pourcentage de gains au propriétaire. Un métayage hippique en quelque sorte.
Les galopeurs sont plus à l'Est
Le Parc du cheval de Chazey-sur-Ain en accueille environ 300. Le profil des propriétaires est encore différent dans cette catégorie de chevaux. « Il faut de hauts revenus pour assumer les 1 500 euros de pension mensuelle », note le directeur Edouard Boutolleau dont le centre attire des entraîneurs de toute la France, « parce qu'il est bien situé géographiquement pour sortir en concours. »
La Saône-et-Loire conserve une forte vocation d'élevage équin, parfois couplé à l'élevage bovin allaitant. La Bourgogne est par ailleurs le berceau de la race de chevaux de course AQPS (Autre que pur sang) et compte avec Cercy-la-Tour une station de monte d'envergure nationale.
Incontestablement, la région Centre-Est demeure une zone phare de l'élevage de chevaux hippiques, même si elle n'échappe pas à une tendance lourde : la réduction du nombre d'élevages et leur grossissement.
En 25 ans, Nathalie Gravier s'est taillé une réputation d'éleveuse rigoureuse de poneys pure race new-forest. Ses animaux se distinguent dans les concours nationaux et internationaux. Mais la baisse des ventes de poneys la pousse à réfléchir à une diversification.
“ Ne plus rater la dernière occasion d'organiser la filière ”
Eleveuse et cavalière, Nathalie Gravier a fait naître ses premiers poulains en 1990, des poneys new-forest(1), race rustique et douée pour le sport. Installée seule à Sainte-Jalle en Drôme provençale sur 50 ha en zone de montagne, ses équins sont nourris sur des landes et prairies naturelles ; l'autonomie alimentaire de l'exploitation est de 8 mois, complétée par l'achat de fourrage. L'éleveuse a « toujours conservé les filles et changé les étalons ». Irréductible de la race pure qu'elle affectionne, elle a maintenu un cheptel de 30 à 60 poneys selon les périodes - trente, cette année, dont six poulinières et deux étalons. Elle est fière de son élevage bâti sur une sélection rigoureuse. L'affixe (2) Dupoet est renommé en Europe et ces dernières années, Nathalie Gravier a figuré plusieurs fois entre la 10ème et la 15ème place au top 50 des éleveurs français de poneys (toutes races) réalisé à partir des résultats en compétition.Titulaire d'un diplôme d'ingénieur en production animale, la frêle jeune femme a dû se battre pour imposer son projet professionnel. Elle a débuté avec une activité de tourisme équestre, le temps de faire monter en puissance son élevage, qui nécessite un effort de capitalisation puisque les poneys sont vendus au mieux à 3-4 ans. Ou l'étaient, car la situation s'est détériorée. « Je vends toujours sur ma réputation, mais c'est plus difficile et je constate qu'il n'y a pas eu d'installation depuis 10 ans dans cet élevage ».Multiples obstacles

La vente des poneys a chuté avec la crise de 2008-2009. Ces dernières années, le chiffre d'affaires brut de l'exploitation atteint en moyenne 25 000 € HT pour la vente des poneys et en sus environ 10 000 € pour les saillies et pensions. La plupart de ces produits étant assujettis à une TVA dont le taux est passé à 20 % depuis 2014. Cette hausse de la TVA a constitué un autre handicap pour les éleveurs équins, dont le nombre diminue régulièrement. « Et je ne suis pas sûre que cette baisse soit stabilisée en France », s'inquiète Nathalie Gravier.
Elle évoque aussi la concurrence des amateurs qui font pouliner et vendent leurs produits sans avoir les mêmes contraintes économiques. En parallèle, elle souligne qu'il n'y a pas surproduction dans les élevages de poneys dans le Sud-Est. « Avec 102 structures équestres dans la Drôme, demandons-nous pourquoi nous avons des difficultés ? Nous constatons un afflux de poneys importés de Grande-Bretagne ou Pays-Bas à des prix très bas car ils sont destinés initialement à la filière viande. » Enfin, l'éleveuse note un changement de mentalité. « Il faut expliquer aux cavaliers et même aux moniteurs qu'un poney ne naît pas avec une selle sur le dos ! Les centres équestres ont tendance à devenir des auto-écoles, mais on ne court pas un grand prix après avoir obtenu son permis ; n'oublions pas ce vieux dicton : à vieux cavalier, jeune cheval ». Face à ces menaces, Nathalie Gravier estime qu'il ne faut plus rater la dernière occasion d'organiser la filière, « avant que le cheval ne prenne le statut d’animal de compagnie, ce qui serait une dérive dangereuse... ». Elle s'est impliquée depuis trois ans à la chambre d'agriculture de la Drôme pour que la présence des équins devienne une réalité dans toutes les commissions et ouvrir aux éleveurs de chevaux les mêmes possibilités qu'aux autres. « Le milieu agricole reconnaît maintenant notre activité ». Elle espère également faire progresser la contractualisation entre éleveurs et centres équestres.
Sur son exploitation, elle développe la location de poneys dès 4 ou 5 ans, afin de conserver une certaine maîtrise sur le traitement accordé aux chevaux. Afin de maintenir une activité satisfaisante, elle réfléchit à reprendre une activité de tourisme équestre, voire à produire des plantes aromatiques et médicinales.
L. G.
(1) La race des poneys new-forest est originaire du Royaume-Uni, connue depuis le XIème siècle, importée en France dans les années 1960. De 300 naissances en race pure en 1990, on est passé cette année à 44 naissances en France, dont 6 chez Nathalie Gravier.
(2) Un affixe est un nom d’élevage que l’on ajoute à la suite du nom des chevaux. Il peut être déposé afin d’en réserver l’exclusivité à un élevage en particulier.