Une journée pour partager les alternatives au glyphosate

Plus de 60 alternatives à l'utilisation du glyphosate, toutes filières confondues, sont déjà référencées sur le site internet du Centre national de ressources glyphosate1. Cet outil à destination des conseillers agricoles et des agriculteurs a été mis en place par trois partenaires : l'Inra, l'Acta (instituts techniques agricoles) et l'APCA et présenté lors du séminaire « Préparer la sortie du glyphosate, quelles solutions techniques pour quels débouchés ? » mardi 19 novembre à Lyon. Le site permet la capitalisation de solutions applicables sur le terrain et offre la possibilité de réagir, commenter ou d'apporter des retours d'expériences pour les utilisateurs ayant créé un compte. Suite à cette présentation, plusieurs conseillers agricoles et animateurs de fermes Dephy de la région Auvergne-Rhône-Alpes ont présenté différentes solutions alternatives à l'usage des herbicides. Si l'efficacité des alternatives est dans la plupart des cas assez bonne, elles présentent un point commun, celle d'entraîner une hausse du temps de travail et/ou des charges de structure.
Arboriculture : l'entretien du rang
En arboriculture, de nombreuses techniques sont testées sur les stations expérimentales pour trouver des alternatives opérationnelles aux désherbants chimiques. Le projet Ecopêche mené sur la ferme expérimentale de la Sefra dans la Drôme a été présenté par Bastien Labeyrie, ingénieur Écophyto.
« Le désherbage est assuré par le passage de disques de buttage/débuttage en travail sur le rang avec de bons résultats en termes de maîtrise des adventices, a-t-il expliqué. Un complément manuel est parfois nécessaire. Cette technique demande plus de temps et de moyens qu'un traitement chimique, de l'ordre de 9 heures/an/ha. » La technique est utilisable sur sol peu caillouteux et plat, mais elle n'est pas adaptée aux variétés ayant un système racinaire superficiel ou aux productions récoltées au sol. Une autre expérimentation conduite avec des toiles tissées sur le rang de plantation montre que c'est une solution qui permet de contenir l'enherbement mais nécessite un passage manuel chaque année. C'est une technique trois fois plus coûteuse que la chimie. L'enherbement total est aussi expérimenté dans les vergers. C'est le cas des noyers. La pratique la plus répandue consiste à désherber chimiquement le rang d'arbres afin de faciliter le ramassage mécanique des noix au sol. « L'alternative est de conserver un enherbement maîtrisé sous les arbres et de pratiquer une tonte permettant d'obtenir une pelouse rase, explique Ghislain Bouvet, animateur du réseau Dephy noix et producteur de noix en agriculture biologique. Cette solution a un gros avantage, elle réduit considérablement la présence de pierres lors du tri et du lavage des noix. Cependant, elle entraîne une hausse du temps de travail d'un facteur de 3 à 10 et coûte beaucoup plus cher qu'un désherbant du fait de l'investissement dans du matériel de fauche. Par ailleurs, un réseau d'irrigation au sol est un facteur limitant pour la tonte qui oblige à faire un passage complémentaire à la débroussailleuse. »
Maraîchage : mener une culture sensible aux adventices
Le Gaec du Bon Repos, une ferme maraîchère bio basée à Thiers (Puy-de-Dôme), a développé une nouvelle technique pour réduire le besoin de désherbage. Ils procèdent grâce à l'occultation productive. « Le sol est préparé, puis arrosé abondamment pour faire lever les graines d'adventices, et enfin couvert par une bâche de paillage, décrit Medhi Aït Abbas, conseiller agricole et animateur d'un groupe Dephy à la Fédération régionale d'agriculture biologique Aura (Frab). Une première culture est implantée dans le paillage en motte et conduite jusqu'à la récolte. Ensuite, le paillage est retiré, les résidus de culture évacués, et la deuxième culture est semée sans travail du sol, en semis direct. Les levées d'adventices sont alors très faibles après la période d'occultation. » Sous serre, le Gaec procède de cette façon pour la culture des melons, suivie d'un semis de mâche avec aucun problème de salissement. Les maraîchers pratiquent cette technique pour la laitue, la chicorée, la blette ou l'épinard suivis par une carotte ou un panais.
Viticulture en pente, des contraintes fortes
Dans les vignobles en forte pente, la suppression des herbicides pose des problématiques spécifiques. Amandine Fauriat, conseillère viticole à la chambre d'agriculture de l'Ardèche et animatrice Dephy, a présenté les pratiques et les essais dans les vignobles des côtes-du-Rhône septentrionales. Pour gérer l'enherbement sur le rang, le travail du sol est une alternative au désherbant chimique, mais fait appel à des pratiques ancestrales dans les vignobles en pente. Ces dernières représentent un coût élevé : traction animale (9 à 36 heures/ha à environ 55 euros/h), le soc tiré par un treuil (environ 50 euros/h) ou la pioche (250 heures/ha). Différentes expérimentations ont été menées, notamment l'implantation au sol de sedum, une plante indigène présente spontanément sur certains vignobles. Elle permet une colonisation rapide, une bonne couverture du sol, peu de salissement et une faible concurrence hydrique. « Certains vignerons ont testé des paillages au moment de la plantation avec du miscanthus. Cela a nécessité 2 200 heures de travail de mise en place et 30 000 euros/ha d'achat de matière, et le résultat est décevant car le salissement est notable après 15 mois. D'autres paillages ont été testés, à renouveler tous les quatre ans. La paille de riz donne de bons résultats avec un coût de matière première de 30 000 euros/ha. » Un essai a même été mené avec de la laine de mouton tissée, sans être concluant.
Grandes cultures : les enseignements de 18 ans d'expérimentation
En grandes cultures, la maîtrise de l'enherbement est le fruit de multiples techniques à mener parallèlement, a souligné Nicolas Munier-Jolain, ingénieur agricole à l'Inra Dijon qui a tiré les enseignements de 18 années d'expérimentation systémique sur cinq modalités, dont l'une sans herbicide. Différentes stratégies ont été suivies pour chaque modalité en jouant sur l'intensité du travail du sol (labour, désherbage mécanique, faux semis) ou sur le recours au semis direct sous couvert. « Ces expérimentations montrent que sur la période d'expérimentation, les adventices sont maîtrisées dans les systèmes "protection intégrée des cultures" autant qu'en agriculture raisonnée grâce à des stratégies agronomiques tout en réduisant les matières actives de 50 % et les désherbants de 70 à 90 %. On note également qu'il n'y a pas d'explosion de la flore adventice malgré le faible usage ou l'absence d'herbicide. » Par rapport à la modalité agriculture raisonnée, la perte de rendement des parcelles menées sans herbicide est d'en moyenne 5 % avec une grande variabilité : + 15 % à - 25 %. Cette perte est entre 1 et 3 % en protection intégrée. Par ailleurs, Nicolas Munier-Jolain insiste : « Il n'y a pas de système bas intrant universel, chaque situation doit adapter ses solutions. Ainsi, en zone de polyculture-élevage, les prairies temporaires, le labour et la diversité d'assolement permettent d'avoir de faible IFT herbicide. En zone maïs, ce seront plutôt le désherbage mécanique et la réduction de la dose. La thèse de Martin Lechenet de mars 2017 à l'Inra montre qu'en blé, par exemple, dans 75 % des cas la baisse des charges phytosanitaires compense les rendements modérés. Son travail démontre ainsi que des systèmes moins productifs à faible intrant génèrent autant, voire plus de marge nette sur la durée. »
Camille Peyrache
Glyphosate / L’Anses retire les AMM de 36 spécialités sur 69
Suite aux évaluations menées dans le cadre de la pré-approbation du glyphosate au niveau européen en 2017, l’Anses a annoncé le 9 décembre qu’elle retire les autorisations de mise sur le marché (AMM) de 36 spécialités à base de glyphosate sur les 69 autorisées actuellement en France. Les spécialités« ne pourront plus être utilisées à compter de 2020, en raison de l’insuffisance ou de l’absence de données permettant d’écarter tout risque génotoxique », indique l’agence. La vente de ces produits restera autorisée pendant six mois, et leur utilisation pendant un an. Cette décision ne sanctionne pas le caractère cancérogène des produits, mais bien les manquements identifiés dans les études remises par les industriels. Les 33 produits restants ne sont pas à l’abri d’un futur retrait, puisque l’Anses attend, pour un certain nombre d’entre eux, les conclusions des agences d’autres pays européens. « Pour tous les dossiers conformes, dont nous maintiendrons l’AMM, les études présentées ont en revanche bien permis d’écarter les inquiétudes en matière de génotoxicité », souligne Caroline Semaille, directrice générale de l’Anses déléguée aux produits réglementés. Les spécialités interdites représentent, selon l’agence, environ trois quarts des utilisations actuelles de glyphosate en France.
État des lieux / Des achats de glyphosate assez stables sur les cinq dernières années
Au sein de la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’agriculture a acheté, sur une moyenne quinquennale entre 2014 et 2018, 493 tonnes de glyphosate par an avec un plus haut en 2018 à 576 tonnes qui s’explique en partie par des achats anticipés de produits avant une hausse de taxe. C’est beaucoup moins qu’une région comme la Nouvelle-Aquitaine (1 680 tonnes) ou l’Occitanie (1 280 tonnes). Mais notre territoire est moins important et couvert à près de 35 % par de la forêt. « Le glyphosate représente moins de 15 % des substances actives utilisées par les agriculteurs d’Auvergne-Rhône-Alpes et 35 % des herbicides utilisés », détaille Françoise Baubet, chargée de mission au pôle Écophyto de la Draaf Aura, notamment en charge de la surveillance biologique.Les achats sont naturellement plus importants dans les zones de grandes cultures, de viticulture et d’arboriculture, telles que la vallée du Rhône, le val de Saône, la Limagne ou les plaines de l’Est lyonnais que dans les zones de polyculture-élevage de moyennes montagnes. « Quand on recherche les concentrations de glyphosate, et surtout de son métabolite dans les eaux superficielles, on le retrouve principalement dans les mêmes zones où les achats sont les plus importants : Beaujolais, vallée du Rhône et Limagne », poursuit Françoise Baubet. « Dans la région, l’utilisation du glyphosate est beaucoup liée aux semis en grandes cultures, en pré-semis et en post-semis sur les cultures de printemps. Il intervient également pour la lutte contre l’ambroisie dans les chaumes lorsque le travail du sol n’est pas possible. Pour la viticulture et l’arboriculture, avec le développement fort de l’enherbement de l’inter-rang, le glyphosate est principalement utilisé pour désherber sur le rang. » Selon Nicolas Munier-Jolain, ingénieur à l’Inra Dijon, l’usage du glyphosate sur des vivaces ne représente que 10 % des usages.
C. P.