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Neige

Une neige lourde de conséquences

La neige lourde tombée le 14 novembre et la nuit suivante sur une partie de la Drôme a causé la pagaille sur les routes et des dégâts considérables sur la nature. En agriculture, elle a dévasté des vergers, désorganisé des élevages, détruit des infrastructures...

Une neige lourde de conséquences

En arboriculture, « les dégâts sont considérables et inédits par l'ampleur et la puissance du phénomène et son zonage, constate Régis Aubenas, président de Fruits Plus. Toute la zone arboricole allant de la rivière la Drôme (à hauteur de Saulce, Grâne...) jusqu'au nord du département est concernée. De gros dégâts sont à noter sur abricotiers, en particulier sur les jeunes vergers non taillés, qui sont perdus. Des vergers de kiwis et de pommiers sont tombés. Pour les vergers de pommiers non récoltés, tout doit être fait pour rentrer au plus vite les pommes. Quant aux châtaigniers et noyers, les dégâts sont colossaux. Certains producteurs touchés par les violents orages de grêle de juin et juillet, qui avaient recépés ou taillés depuis, ont à nouveau tout perdu. Pour eux, c'est la double peine. » Des tunnels ont également cédé sous le poids d'une neige très lourde. L'ouverture d'une procédure pour pertes de fonds au titre des calamités sera demandée. « L'urgence, c'est de pouvoir obtenir une prolongation des contrats de travail Ofii* d'une quinzaine de jours afin que ces travailleurs puissent nous aider à récolter très rapidement les pommes et à restructurer les vergers impactés, ajoute Régis Aubenas. La FDSEA travaille à cela ainsi qu'à monter des opérations de solidarité. » Des parcelles peuvent avoir été détruites parfois au-delà de 50 %.

Des dégâts inédits en arboriculture

Sur le secteur de Livron, Allex, Grâne, Loriol jusqu'à Saulce, il est tombé 20 à 30 centimètres de neige, indique Marc Fauriel (arboriculteur à Loriol). Selon lui, ce sont les plantations de kiwis qui ont le plus souffert : infrastructures, câbles, poteaux et arbres cassés. Les fruits, eux, étaient quasiment tous récoltés. Au deuxième rang des dégâts, il classe les pommiers : des arbres écroulés, surtout quand les fruits n'étaient pas encore cueillis ou en cours de récolte. En troisième place, viennent les abricotiers : de jeunes arbres ouverts en deux. En pêchers, il estime les dégâts sont moins marqués, plus hétérogènes.
Sur le secteur d'Allex et de Grane, où 25 centimètres de neige sont tombés, beaucoup de vergers ont été très fortement endommagés. « Alors que la récolte est en cours, mes pommiers sont couchés sur la moitié de mon verger et les têtes des arbres cassés », témoigne Katia Sabatier-Jeune (EARL Fruit'ail). Dans son verger de kiwis, sous le poids de la neige, les fils de faîtage ont cassé. « Jamais nous n'avions connu une neige aussi lourde à cette époque de l'année. Et comme nos récoltes n'étaient pas tout à fait terminées, nos filets n'étaient pas encore "boudinés". » En abricot, trois hectares de jeunes plantations (vergers entre deux et six ans) ont été détruits. « C'est catastrophique car ce sont des vergers qui allaient entrer ou viennent d'entrer en pleine production », confie-t-elle. A noter encore, les haies qui entourent les parcelles pour protéger les vergers du vent ont été entièrement détruites. « C'est l'apocalypse », résume Katia Sabatier-Jeune.

Noyers : des « champs de bataille »

En noyers, les dégâts sont énormes dans la Drôme et l'Isère. « C'est la catastrophe, déplore Christian Nagearaffe, nuciculteur à Montmiral. Des champs de bataille. C'est au-delà de ce qu'on pouvait imaginer. » Noyers arrachés ou fendus en deux, grosses branches cassées. Le CING (comité interprofessionnel de la noix de Grenoble) a décidé de réunir son conseil d'administration le 19 novembre pour faire le point et communiquer rapidement. « Il va falloir mettre en place une cellule de soutien spécifique, confie Christian Nagearaffe. Car c'est une couche de plus dans la perte de potentiel pour les années à venir, qui s'ajoute aux dégâts de tempête et grêle du début de l'été. Des nuciculteurs n'ont pas eu de récolte cette année. J'ai peur que certains n'arrivent pas à faire face. Je suis vraiment inquiet. Il faut une réaction très rapide des pouvoirs publics. »
Guy Péran (Saint-Martin-d'Août) fait également état de beaucoup de dégâts sur noyers et arbres fruitiers, dont les abricotiers (les feuilles n'étant pas encore tombées) mais aussi sur les clôtures concernant l'élevage. Philippe Juven (Hostun) fait également le constat de noyers (encore feuillés) déracinés sous le poids de la neige, aidée par des sols gorgés d'eau, et de charpentières cassées. « Des dégâts importants et impressionnants. »

Des bâtiments d'élevage effondrés

Le toit d'un bâtiment semi-tunnel de Jean-Luc Guignard (Marches) abritant 38 vaches n'a pas résisté au poids de la neige (50 centimètres) dans la nuit du 14 au 15 novembre, des arceaux supportant la bâche ont cédé. Cinq vaches et un veau sont morts. Heureusement, le portail était ouvert, ce qui a minimisé la perte. Jean-Luc Guignard a aussi rencontré des difficultés pour abreuver son bétail, faute d'électricité. Des agneaux de sa sœur, Christelle, logés dans un tunnel qui s'est aussi effondré, ont pu se réfugier dans un couloir. Aucun n'a péri.

A Valence, le toit (amianté) d'un poulailler d'Hervé Espeisse (de 1 280 mètres carrés) s'est également écroulé. Heureusement, personnes n'était à l'intérieur lorsque c'est arrivé. Et les poulets étaient partis de l'élevage quinze jours avant. « Un bâtiment construit en 1981 et rénové à plusieurs reprises, la dernière fois il y a environ un an, raconte l'éleveur. La toiture s'est effondrée en quatre ou cinq fois à partir de 23 heures le 14 novembre et jusqu'au lendemain 10 heures. Il est tombé autour de 30 cm de neige et elle était lourde : un poids de 800 à 900 kilos par mètre carré. Je n'avais jamais vu ça. J'ai 62 ans et j'avais conservé cette activité pour compléter ma retraite. Je ne sais comment je vais faire maintenant. »
Concernant l'aviculture, Philippe Juven signale davantage de surveillance du fait de l'absence de réseau de téléphonie mobile, les alarmes ne fonctionnant pas. Mais aussi des problèmes liés à l'absence de courant pour les élevages ayant une ventilation dynamique. Corinne Deygas (Saint Barthelémy-de-Vals, 20 centimètres de neige) était inquiète ce début de semaine. Pour les 28 000 poulets de leur élevage, un groupe électrogène est utilisé. Mais pas pour leurs 5 000 dindes label rouge. Pour elles, « les nuits sont très longues. Quand il fait jour, elles sont très excitées, se battent et s'entretuent. En plus, nous devons les nourrir manuellement ». Et de signaler encore qu'un éleveur de poulets du Nord-Drôme ayant actuellement des poussins « chauffe à fond avec des radiants mais, sans électricité, ne peut ventiler. Il est donc obligé d'entrouvrir. »

Des problèmes laitiers

A Vassieux-en-Vercors (25 à 30 centimètres de neige), Gérard Breyton (retraité de 68 ans) et son épouse n'avaient toujours pas d'électricité mardi midi. Le courant était revenu la veille seulement sur une partie de la commune. Le téléphone fixe refonctionnait depuis lundi après-midi mais pas le portable. De l'eau, il n'y en avait plus dimanche matin dans tous hameaux de Vassieux, faute d'électricité pour alimenter les pompes. Un éleveur a loué un gros groupe électrogène et le maire a appelé Veolia, qui est venu brancher les pompes dessus.
« Sur les lignes électriques et les arbres, il y a eu peu de dégâts, constatait Gérard Breyton ce mardi. Le problème vient peut-être d'en bas. Avec le groupe électrogène que notre gendre nous a prêté, notre tank à lait a grillé. Et je n'arrive pas à en trouver un autre. Alors, nous mettons le lait de nos vaches dans des bidons et le montons chez notre genre, qui n'a pas d'électricité non plus mais un groupe électrogène. Quand on finit de traire, on branche le tank. Le laitier (fromagerie L'Etoile du Vercors) n'est pas passé vendredi. Il est passé dimanche. Mais le lait, comme on avait pas pu le refroidir, s'est acidifié et il n'a pas été collecté. Nous avons dû en jeter 400 litres. »
A Hauterives, la neige (autour de 50 centimètres) a cassé des arbres, bouché des routes, expliquait Julien Noir, mardi midi. La collecte du lait des vaches de l'EARL Chancrin-Noir, dont il est l'un des associés, a été assurée normalement. Mais il n'y a pas eu de courant ni de réseau téléphonique de jeudi après-midi à samedi soir. Et, sur le secteur, certains n'en avaient toujours pas mardi midi. « Notre souci, quand il n'y avait pas d'électricité, c'était l'eau. L'exploitation étant au même niveau que le château d'eau, il y a un système de surpresseur. Nous avons pu nous dépanner avec notre groupe électrogène, qui a aussi servi à faire tourner les brasseurs de notre unité de méthanisation. »

Usine d'aliment pour animaux

Pour l'usine d'aliment Duc à Montmeyran, l'absence d'électricité est « une catastrophe », indiquait Frédéric Moze, responsable filière Sud du groupe, lundi en fin de journée. Sans elle, le site ne peut fonctionner. « Nos stocks sont épuisés et nous n'avons aucune vision sur le rétablissement du courant », notait-il lundi. Trois camions d'aliments sont descendus de l'usine Duc de Chailley (Yonne). Par ailleurs, Frédéric Moze salue des partenaires du secteur - l'Ucab, Valsoleil, les établissements Albert, DNA, la société Bermond Nutrition - « qui ont été très solidaires ». Et ce, « même s'ils avaient, eux aussi, pris du retard dans leurs livraisons d'aliment aux élevages. Ils ont fait au mieux, nous ont donné un bon coup de main. Nous travaillons tous à flux tendus et sommes donc très vite coincés. Ces jours-ci, nous avons dû faire de l'épicerie en matière de livraisons. En plus, nous sortions de deux semaines à quatre jours (du fait du 1er et 11 novembre). Nous n'étions donc pas en avance. »
Mardi matin, l'électricité était de retour à l'usine Duc de Montmeyran. Soulagnement. « La journée ne sera certainement pas très productive car il risque d'y avoir des coupures, prévoyait son responsable, ce matin-là. L'idée est, si possible, de tourner en trois-huit pendant un jour pour rattraper un peu du retard. » Côté élevages, il signalait encore une situation compliquée pour ceux privés d'eau devant utiliser un groupe électrogène pour l'électricité. Mais aussi un bâtiment Duc à moitié écroulé, celui de Michel Richaud à Alixan.

Annie Laurie et Christophe Ledoux

* Ofii : office français de l'immigration et de l'intégration.

Dérogation au brûlage des déchets

La préfecture rappelle que l'arrêté (n°2013-114-0007) réglementant les feux et brûlage à l'air libre ou à l'aide d'incinérateur individuel en vue de préserver la qualité de l'air dans la Drôme autorise l'incinération des déchets végétaux dans certaines situations exceptionnelles et si d'autres solutions ne peuvent être mises en œuvre. L'épisode neigeux qu'a connu le département en fin de semaine dernière entre dans cette catégorie.

Procédure des calamités agricoles

Le régime des calamités agricoles peut intervenir afin d'indemniser les agriculteurs qui ont subi une perte de récolte (baisse quantitative de production) ou une perte de fonds (destruction ou dégradation de l'outil de production). Cette perte doit être occasionnée par la survenance d'un phénomène climatique ayant été caractérisé comme exceptionnel suite à une expertise météorologique. L'épisode neigeux du 14 novembre entre dans cette catégorie, cela ne fait aucun doute. Les dégâts occasionnés en agriculture sont principalement des pertes de fonds (arbres arrachés, jeunes plantations détruites, petits tunnels, brise-vent endommagés...) Cependant, des pertes de récoltes (kiwis, pommes) pourraient, potentiellement, être comptabilisées.
La procédure de reconnaissance d'un sinistre prend plusieurs mois. Elle débute par une ou plusieurs missions d'enquête destinée(s) à constater, sur le terrain, les dégâts. La DDT rédige ensuite un rapport, lequel est examiné par les membres du comité départemental d'expertise (CDE). Le dossier est ensuite transmis au comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA). Si le caractère de calamité agricole est reconnu, les demandes d'indemnisation peuvent alors être déposées.
L'indemnisation des pertes est assurée par le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA). Pour en bénéficier, les dommages aux récoltes doivent représenter une perte supérieure à 30 % de la production théorique de la culture sinistrée et dépasser 13 % de la valeur du produit brut théorique de l'exploitation. Pour les indemnisations liées aux pertes de fonds, aucun seuil de taux de pertes n'est requis à l'exception d'un montant minimal en valeur absolue de 1 000 euros. A noter, les biens assurables ne sont pas éligibles aux pertes de fonds.
Par ailleurs, les demandes d'indemnisation (actuellement en cours) pour pertes de fonds au titre des orages de grêle ne concernent que ce sinistre-là. Pour les dégâts de la neige, il faudra donc remplir un autre dossier dans quelques mois.

La neige tombée le 14 novembre 2019 a causé d'importants dégâts en agriculture