Une petite bête qui peut dégrader incognito votre santé
depuis bientôt quinze ans.

Une simple balade en forêt et une tique s'invite sur votre corps. Presque imperceptible à l'œil nu, elle pénètre votre épiderme, attirée par le dioxyde de carbone et l'odeur de votre peau. Si l'acarien parasite n'est pas retiré au plus vite, les galères commencent. C'est, à quelques détails près, l'histoire des 33 000 personnes atteintes chaque année de Borrelia Burgdorferi, mieux connue sous le nom de maladie de Lyme.
Cette estimation repose sur les déclarations des médecins du réseau Sentinelles, avec seulement 105 cas confirmés et déclarées en 2015. Le Centre national de référence des Borrelia (CNR), l'institut de veille sanitaire (InVS) et la Mutualité sociale agricole (MSA) ont établi des taux d'incidence sur le territoire. Avec plus de 100 cas pour 100 000 habitants, l'Est et le Centre de la France semblent être plus exposés que l'Ouest et le Sud méditerranéen où moins de 50 cas pour le même nombre d'habitants sont moyennement recensés par an. Ces chiffres restent néanmoins tronqués. Malgré la recrudescence des victimes, de nombreux cas sont encore mal diagnostiqués dans le pays.
Une maladie complexe
Été 2003, lorsqu'une tique se pose à l'arrière de son genou, Élisabeth Le Saux se trouve dans le Finistère, une zone moyennement impactée par les morsures de tiques, selon les données recensées par l'InVS. Très humide, la Bretagne est pourtant un biotope favori pour le développement de ces acariens. Salariée pour une société d'édition, la correctrice commence sans le savoir à ressentir les premiers troubles de la maladie de Lyme. Au départ, c'est l'incompréhension. « Dans les semaines qui ont suivi, j'ai commencé à ressentir des douleurs au genou gauche. Je n'arrivais plus à descendre et à monter les escaliers, j'avais des pertes d'équilibre régulières. Dès que je me levais de mon bureau, je me déportais », se rappelle-t-elle. Douleurs aux articulations, vertiges, étourdissements... « On m'a parlé de fibromyalgie, d'arthrose, de fatigue chronique, de dépression, de burn-out. On m'a même dit que je n'avais pas fait le deuil de ma mère décédée lorsque j'étais jeune. Il m'a fallu 10 ans pour avoir un diagnostic correct aux nombreux maux dont je souffrais ». Suite à un licenciement économique, en 2011, Élisabeth Le Saux atteint « le point de non-retour ». Elle commence à rédiger un journal pour parler de sa situation, « une sorte d'enquête sur moi-même », explique-t-elle. Puis un beau jour, surfant sur internet, à la recherche de la cause de ses symptômes, la maladie de Lyme apparaît comme une évidence. « D'un coup, tout est devenu limpide. Je me suis souvenue d'une grosse rougeur apparue derrière mon genou gauche à l'époque. Ne voyant pas de tique, j'avais immédiatement pensé à une piqûre de moustique. Le parasite était sans doute encore au stade de nymphe », imagine-t-elle.
Des tests peu fiables
Faiblement positif, Élisa, le test référence de dépistage de l'assurance maladie, n'est pas suffisant pour confirmer son diagnostic. Un autre nommé Western Blot (WB) permet d'affiner le taux d'anticorps dans le sang, si Élisa donne des premiers signaux de contamination. Pas de surprise pour la patiente. « J'étais au stade aigu de la maladie », explique la membre de l'association France Lyme. Si ces tests sérologiques sont régulièrement prescrits par les médecins, il est néanmoins impossible de se fier à leur simple résultat. « Il peut y avoir des faux négatifs, si les tests sont réalisés dans la phase précoce de la maladie. Il arrive parfois que votre système immunitaire soit tellement terrassé, que vos anticorps ne répondent plus du tout », précise Gwenaël Vourc'h, responsable de l'Unité épidémiologie des maladies animales au sein du centre de recherches de l'Inra de Clermont-Ferrand. Le test WB peut aussi donner des faux positifs, en particulier lorsqu'il y a une maladie auto-immune ou des infections aiguës autres que Lyme. « Pour ma part, on a trouvé en plus de la Borrelia deux autres agents pathogènes transmis par la tique : la Babesia et la Bartonella affaiblissant encore plus mon organisme et mon système immunitaire ». C'est ce qu'on appelle une co-infection. Ces bactéries, bien connues des laboratoires vétérinaires, se cachent tellement bien qu'il est très difficile de les retrouver dans le sang. « Elles se planquent dans des endroits très peu irrigués, en plein cœur de vos cellules du cartilage. Elles sont même capables de fabriquer des biofilms, des enzymes qui les protègent, résistants aux antibiotiques », explique Élisabeth, devenue experte en la matière.
Un protocole de soins plus adapté
Un peu plus précis que les tests humains, les tests vétérinaires par PCR, méthode de biologie moléculaire d'amplification d'ADN, sont pour l'heure le dernier recours pour les victimes de la maladie de Lyme. Par des prélèvements de sang, de liquide synovial dans les articulations ou de liquide céphalo-rachidien par ponction lombaire, ils peuvent s'avérer fiables, surtout en présence de symptômes articulaires et neurologiques. « Certains malades m'ont avoué s'être fait passer pour des chiens ou des chevaux pour être mieux diagnostiqués », reprend Élisabeth. En effet, la plupart des laboratoires vétérinaires refusent de pratiquer ces tests sur les humains, ne faisant pas partie du protocole de diagnostic officiel de la maladie de Lyme. Afin de mieux accompagner les victimes, Élisabeth souhaite que cette pathologie soit reconnue en affection de longue durée (ALD) et que les médecins soient mieux formés pour la diagnostiquer. « Il faut absolument revoir le protocole de soins de l'assurance maladie de 2006. Il ne préconise que trois semaines de traitement antibiotique. Ce n'est pas assez ». Aujourd'hui encore, des médecins sont d'ailleurs poursuivis et radiés pour avoir rallongé ou personnalisé le traitement de leurs patients. Le plan national de lutte contre la maladie de Lyme lancé en septembre 2016 devrait donner lieu à un nouveau protocole dans les prochains mois. Quant à Elisabeth, après trois ans d'antibiothérapie pulsée, elle ne se soigne plus qu'aux plantes et aux huiles essentielles. Dans son livre « Face à Lyme : le journal d'un naufrage » publié en 2015, elle se confie librement. « Une petite bête peut vraiment ruiner votre vie. Pendant longtemps, j'ai cru être une malade imaginaire. Aujourd'hui, je sais que je finirai mes vieux jours avec elle ». Elle, c'est la neuroborréliose. « Il n'y a pas d'immunité définitive. De nouvelles souches sont découvertes tous les jours. L'État doit donner les moyens à la recherche d'avancer ».
Alison Pelotier
Recherches / L’UMR épidémiologie des maladies animales et zoonotiques de l’Inra et le service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Clermont-Ferrand ont mis en place le projet LymeSnap. Il vise à obtenir une meilleure estimation du nombre de nouveaux cas en Pays des Combrailles entre avril 2017 et mars 2018.

Les tiques dans le viseur des scientifiques
Au Nord-Ouest du Massif central, la zone est caractérisée par un climat propice au développement des populations de tiques. « Nous invitons toutes les personnes ayant le moindre doute à nous envoyer une photo de leur érythème migrant - tache rougeâtre qui grandit lentement autour du point de morsure de tique - par SMS ou par mail1 », explique Gwenaël Vourc’h. La deuxième phase de l’étude consiste à recenser le nombre de nouveaux cas par mois par les médecins et les pharmaciens de la même zone. « Les résultats des deux projets seront ensuite comparés pour évaluer la pertinence de l’approche participative ». Sur le même principe, une application téléchargeable sur Android et IOS vient d’être lancée par l’Inra. Appelée Signalement-Tiques, elle permet de déclarer sa piqûre en la géolocalisant et en transmettant une photo aux équipes scientifiques. « Peut-on se faire piquer en hiver et en été alors que les périodes propices sont plutôt le printemps et l’automne ? Se fait-on plutôt piquer dans les forêts, dans les parcs urbains ou dans nos jardins ? ». Les résultats de l’étude permettront d’apporter des réponses plus précises à ces questions.Préventif plutôt que curatif
D’ici quelques mois, l’école des Mines de Paris publiera aussi les résultats d’une grande cartographie réalisée par une ancienne élève. « Elle a fait le tour des experts avec l’Inra. Le résultat de ses échanges est en cours de restitution », explique Pascal Le Masson, professeur au Centre de gestion scientifique des Mines ParisTech. « Il y a énormément de voies de soins couvertes par la médecine mais la solution pourrait venir du côté de la prévention ». Cela pourrait passer par une meilleure formation des médecins et des pharmaciens mais aussi par des échanges directs entre spécialistes de la tique et spécialistes du vêtement. En attendant, la prévention est de mise. Pour prévenir toute morsure de tique, il faut porter des vêtements longs, couvrant les bras et les jambes, serrant les poignets et les chevilles, de couleur claire de préférence. Il est indispensable de mettre des chaussures fermées et appliquer un répulsif sur les parties couvertes, à l’exception des femmes enceintes et des enfants. Après chaque sortie en forêt ou en zone rurale, les gestes d’inspection doivent être automatiques. Cuir chevelu, cou, nuque, arrière des oreilles, pliure de l’aine, creux des bras et des genoux, chevilles et intérieur des cuisses doivent être vérifiés soigneusement. Si la tique arrive à s’introduire, surtout ne pas utiliser d’éther ou de produit qui risquerait de l’endormir. Il faut la retirer rapidement à l’aide d’un tire-tique vendu en pharmacie. Attention : le geste doit être délicat mais suffisamment ferme pour ne pas casser l’appareil buccal de la tique. Lorsque sa salive rentre en contact avec le sang humain, le mal est fait. Les bactéries se mettent en route dans un long voyage incognito au plus profond des cellules humaines.
A. P.
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